Colombie: les syndicats collaborent avec le président Duque pour arrêter le mouvement de grève nationale

Pour la troisième fois en deux semaines, une grève nationale a paralysé une grande partie de la Colombie mercredi 4 décembre. Bien que plus petite que la première grève du 21 novembre - en grande partie à cause de la perte de confiance dans la direction syndicale officielle - des dizaines de milliers de personnes ont de nouveau exprimé leur détermination à s'opposer au gouvernement du Centre démocratique (CD) de droite du président Iván Duque. Les sondages publiés le 4 décembre montraient son taux d'approbation à 24 %, une chute de 13 points depuis juillet et son plus bas niveau depuis son arrivée au pouvoir en août 2018.

Une partie de la manifestation de Bogota (Photo: Dylan Baddour via Twitter)

Déclenchée par la montée du chômage et des inégalités sociales, une série de politiques budgétaires réactionnaires et l'intensification de la répression étatique contre les étudiants, les peuples autochtones et les ex-guérilleros, la vague de grèves constitue le plus grand mouvement anti-gouvernemental depuis 1977. Les manifestants se sont inspirés de la marée montante des luttes de classe dans le monde entier, beaucoup comparant leur situation politique à celle des manifestants au Chili, en Équateur et dans d'autres pays dirigés par des partis de droite intransigeants.

Mercredi soir, les policiers de l'Escadron mobile anti-perturbations (ESMAD), un groupe haï de la police anti-émeute, ont violemment dispersé les manifestations dans quatre des cinq plus grandes villes de Colombie. Tirant des gaz lacrymogènes sans discernement, ils ont blessé au moins une personne et arrêté des dizaines de gens à Bogotá, Medellín, Cali et Bucaramanga.

Tout au long des manifestations des dernières semaines, la police et l’armée ont tenté d'intimider les manifestants, tuant cinq personnes et en blessant plus de cent. La semaine dernière, Dilan Cruz, 18 ans, a succombé à ses blessures après avoir reçu une cartouche de gaz lacrymogène à bout portant dans la tête, tirée par la police d'ESMAD.

Pour la première semaine de protestations, qui a donné lieu à deux grèves nationales et à des marches quotidiennes de milliers de gens, l'impact économique total est estimé à quelque 342 millions de dollars (1200 milliards de pesos colombiens), selon l'association professionnelle Fenalco.

Il y a deux semaines, Duque avait tenté de supprimer les protestations en tenant des discussions privées avec le Comité del Paro (Comité de grève), les dirigeants des principaux syndicats et groupes étudiants qui ont organisé la grève nationale. Lors de leur première rencontre, Duque s'est contenté de proposer d'entamer une ‘Grande conversation nationale’ pseudo-démocratique de quatre mois et a rejeté catégoriquement la liste des 13 revendications réformistes dressée par les dirigeants de la grève. En réponse, ceux-ci ont quitté les négociations et rencontré les représentants des partis d'opposition au Congrès le lendemain durant la deuxième grève nationale.

Manifestants indigènes à Bogota (Photo : Dylan Baddour via Twitter)

Sachant qu'il est largement méprisé par la population et que les grèves ont été largement soutenues, Duque a de nouveau cherché à s'entendre avec le Comité de grève avant la grève du 4 décembre. Il l’a invité à le rencontrer pour discuter de leurs 13 revendications, à condition qu'ils annulent la grève. Le Comité de grève - dirigé par des représentants des étudiants et des dirigeants du Syndicat central des travailleurs (CUT), de la Confédération générale des travailleurs (CGT), de la Confédération des travailleurs de Colombie (CTC) et d'autres grands syndicats - a rencontré Duque sans toutefois annuler la grève. Ils l'ont ensuite rencontré de nouveau le lendemain pendant seulement 30 minutes.

Le seul résultat de la brève réunion du 5 décembre a été que le Comité de grève a accédé à la demande de Duque de rédiger un document qui développe plus en détail leurs 13 revendications, qu'ils discuteront à nouveau ensemble le 11 décembre. Il est donc évident que Duque et le Comité de grève travaillent en tandem pour dissiper l'immense opposition aux inégalités sociales et à la criminalité gouvernementale en prolongeant les protestations à l'infini et en trouvant un compromis pourri sur ces 13 revendications.

Le contenu des 13 revendications est déjà parfaitement clair dans le "manifeste" initial du Comité de grève. Il s'agit notamment d’engagements creux que le gouvernement s'engage à ne pas privatiser les actifs de l'État ou le système public de retraite, de la dissolution de l'ESMAD, de la révision des accords de libre-échange, du rétablissement des dispositions des accords de paix de 2016 avec la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), de l'application des lois anti-corruption et du retrait d'une loi de réforme fiscale régressive et d'autres réformes mineures. Aucune de ces revendications ne constitue une atteinte à la richesse de l'élite dirigeante.

Un manifestant frappe un poêlon peint aux couleurs nationales colombiennes pendant la grève du 4 décembre, sur la place Bolívar à Bogotá (Photo AP/Fernando Vergara)

Mardi, le Congrès a présenté le projet de loi sur la réforme fiscale régressive qui figure dans les revendications du Comité de grève. Cette action provocatrice souligne la faillite de la perspective réformiste de la direction syndicale, qui cherche à cultiver des illusions dans le potentiel de compromis avec tous les politiciens, y compris le profondément réactionnaire Duque. En fait, tout l'appareil d'État fonctionne dans l'intérêt de la bourgeoisie colombienne et du capital étranger.

Le Comité de grève a demandé qu'une quatrième grève nationale ait lieu le 10 décembre, après quoi il prévoit de prendre une pause pour la période des Fêtes, une autre mesure pour étouffer la colère et l'énergie des masses.

Les travailleurs colombiens doivent assimiler les leçons des 40 dernières années, au cours desquelles les syndicats à l’international se sont complètement intégrés dans les entreprises et l'État. Avec la mondialisation de la production, tout programme basé sur la réforme du capitalisme au sein du système de l'État-nation est devenu non viable.

Si la suite de grèves nationales et de protestations quotidiennes de la part de milliers gens se poursuit de la même manière, sous la même direction syndicale conservatrice, rien ne sera accompli. En opposition au Comité de grève officiel, les travailleurs doivent élire leurs propres comités d'usine et de quartier pour orienter leur lutte dans une direction révolutionnaire et pour forger des liens avec les travailleurs à travers les Amériques et dans le monde. Ce n'est qu'à travers une telle orientation internationale que l'on pourra s'attaquer aux problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs en Colombie.

(Article original paru en anglais le 6 décembre 2019)

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