Alors que Madrid poursuit sa campagne anti-catalane, les partis séparatistes Gauche Républicaine Catalane (ERC) et Ensemble pour la Catalogne (JxCat) négocient avec le premier ministre intérimaire Pedro Sánchez, du Parti Socialiste (PSOE), qui, après les élections du 10 novembre, cherche à être confirmé à ce poste.
Le PSOE a obtenu 120 des 350 sièges aux élections du 10 novembre dernier. Les sociaux-démocrates sont parvenus à un préaccord avec le parti pseudo de gauche Podemos (35 sièges) pour former un gouvernement de coalition minoritaire déterminé à imposer l'austérité et la répression contre les nationalistes catalans sous prétexte de défendre la « justice fiscale et l’
équilibre budgétaire » et de « garantir la paix sociale en Catalogne ». Toutefois, leurs 155 sièges en tout sont encore loin des 176 sièges nécessaires pour obtenir la majorité.
Sánchez sollicite maintenant le soutien de l'ERC et de JxCat, que ce soit par abstention ou en votant favorablement pour l'installer au pouvoir. Le PSOE a déjà reçu l'aval d'autres petits partis régionalistes et nationalistes, mais les 13 législateurs de l'ERC lui sont essentiels.
Le PSOE doit discuter de la formation du prochain gouvernement espagnol avec le parti sécessionniste JxCat le 5 décembre. Une deuxième réunion entre le PSOE et l'ERC est prévue le même jour.
Ces réunions font suite à une première rencontre entre l'ERC et les équipes de négociation du PSOE la semaine dernière. Celle-ci suivait un scrutin interne des membres de l'ERC leur demandant s'ils refuseraient de soutenir la candidature de Sánchez à moins que les gouvernements de Madrid et de Barcelone « ne conviennent préalablement d'entamer des pourparlers afin de résoudre la crise politique en Catalogne par le dialogue et la négociation ». Environ 95% d'entre eux ont soutenu cette proposition lors d’un scrutin.
Les appels ambigus lancés par l'ERC à Sánchez pour résoudre la « crise politique » ont été explicités dans La Vanguardia par Pere Aragonès, haut responsable de l'ERC et actuel vice-premier ministre régional catalan. Les quatre principaux points sont: 1) des pourparlers sur la crise politique doivent avoir lieu entre les gouvernements espagnol et catalan et pas seulement entre les partis politiques; 2) la capacité de tout proposer, sans limites, aux pourparlers - l'ERC proposera un référendum d'indépendance et une amnistie pour les neuf dirigeants catalans emprisonnés, conscients que Madrid ne cédera jamais à ces exigences; 3) une réunion entre Madrid et Barcelone avant le vote d'investiture sur Sánchez; 4) tout accord conclu doit être voté par les Catalans et un calendrier clairement établi.
Après la première réunion, l'ERC a annoncé qu'il maintiendrait son vote négatif, tout en laissant la porte ouverte, déclarant que « les deux parties ont établi un point de départ commun en confirmant la nécessité d'aborder politiquement un conflit qui est, fondamentalement, de nature politique ».
Le PSOE a dit de la réunion qu'il y avait « des divergences, mais aussi des points d'accord et, en tout cas, un désir commun de dialogue qui peut permettre de débloquer la formation d'un gouvernement et d'assurer la stabilité politique nécessaire pour aborder » certains des problèmes auxquels l'Espagne fait face.
Les négociations révèlent une fois de plus la faillite du nationalisme et du séparatisme catalans. Ces forces représentent les intérêts non pas de forces de gauche luttant contre l'aristocratie financière espagnole mais de factions de la classe dirigeante défendant leurs intérêts contre la classe ouvrière et le gouvernement central de Madrid.
Les nationalistes catalans et basques sont devenus un pilier essentiel de l'établissement politique espagnol. Dans le régime post-Transition qui a émergé après la dictature fasciste de Franco, les nationalistes ont collaboré avec Madrid pour défendre les intérêts de la classe dirigeante espagnole. Ils ont soutenu l'adhésion de Madrid à l'Union européenne, à l'Euro, à l'OTAN, et ses guerres impérialistes à l'étranger. Sur le plan intérieur, ils ont défendu des politiques draconiennes contre la classe ouvrière, dont l'austérité, la désindustrialisation, la réforme du travail et celle des retraites.
Les nationalistes catalans ont réagi au déclenchement de la crise capitaliste mondiale de 2008 en imposant une austérité draconienne tout en vantant l'idée que la Catalogne n'aurait pas besoin de ces mesures si elle devenait indépendante. L'ancien conseiller municipal catalan pour les Affaires Santi Vila a cyniquement fait remarquer à une réunion de politiciens et d'hommes d'affaires que si la Catalogne « n'avait pas avancé un discours basé sur le nationalisme, comment aurait-elle surmonté des ajustements de plus de €6 milliards » ?
Cela a culminé en 2017 avec l'organisation par les nationalistes d'un référendum sur l'indépendance, qui fut interdit par Madrid. Le référendum a aidé la classe dirigeante à enterrer les préoccupations socio-économiques des travailleurs et des jeunes, espagnols comme catalans, sous un torrent de rhétorique nationaliste. En même temps, Madrid en a profité pour pousser l'ordre du jour à droite, se servant de la crise catalane pour multiplier les mesures d’État policier et les attaques contre les droits démocratiques.
La tentative faite par ERC pour permettre au PSOE de se poser en défenseur du dialogue politique est une fraude. Sous le PSOE, neuf dirigeants catalans ont été emprisonnés pour leur participation aux manifestations pacifiques et au référendum sur l'indépendance d’octobre 2017, brutalement réprimés par le gouvernement. De plus, 33 hommes d'affaires, fonctionnaires et hauts fonctionnaires de l'ancien gouvernement régional catalan, dont les directeurs de la télévision et de la radio publiques catalanes, TV3 et Catalunya Ràdio, sont actuellement poursuivis en relation avec ces événements.
L'actuel premier ministre régional catalan Quim Torra est poursuivi pour non-respect d'un ordre de la Commission électorale de retirer de la façade du bâtiment du gouvernement à Barcelone les symboles dénonçant l'emprisonnement des dirigeants sécessionnistes. Il est le premier Premier ministre régional catalan en fonction à se trouver sur le banc des accusés depuis que Lluís Companys fut jugé et exécuté en 1940 par le régime franquiste, après la Guerre civile espagnole.
Tsunami Democràtic, le groupe indépendantiste à l'origine de protestations contre l'emprisonnement des neuf dirigeants catalans, fait l'objet d'une enquête de la Cour nationale espagnole sur des accusations de terrorisme. La police espagnole Guardia Civil a également fermé des sites Web associés au réseau protestataire sur ordre de la Cour espagnole. Les accusations sont similaires à celles portées contre sept militants accusés de terrorisme par les Comités pour la Défense de la République (CDR).
En dehors de la répression judiciaire, l'établissement médiatique a poursuivi sa campagne sensationnaliste pour attiser le sentiment anti-catalan, même si les sondages ont montré à plusieurs reprises que sept Espagnols sur dix veulent résoudre la crise catalane par le dialogue et non par la répression policière.
La semaine dernière, le parlement en exercice a ratifié, avec l'abstention de Podemos, la loi de l'exécutif sur la censure d'Internet, dite « Loi sur la sécurité numérique », adoptée par le gouvernement intérimaire du PSOE quelques jours avant les élections. Cette loi permet au gouvernement de fermer ou de gérer directement les réseaux et services de communications électroniques sous des prétextes très généraux comme l’ « ordre public, la sécurité publique ou la sûreté nationale ».
La loi, tout en ne mentionnant pas explicitement la Catalogne, cite des « événements récents et graves » en Espagne, compris comme une référence voilée aux protestations et aux troubles ayant suivi la condamnation des dirigeants indépendantistes catalans à des peines de 9 à 13 ans de prison.
Bien que l'ERC ait voté contre la loi, il n'a pas tenté de faire de son retrait une de ses conditions préalables dans ses négociations avec le PSOE. Le fait est que l'ERC et JxCat partagent les mêmes intérêts de classe que le PSOE, Podemos et le reste de l'établissement politique madrilène. Par-dessus tout, ils sont terrifiés par l'opposition sociale montante au plan international et en Espagne. En novembre dernier, l'ERC et JxCat, les partis au pouvoir du gouvernement régional catalan, ont collaboré avec Madrid pour écraser les protestations en faveur de la libération des prisonniers catalans, utilisant la police régionale.
(Article paru en anglais le 4 décembre 2019)