Le Forum d’Halifax sur la sécurité internationale, qui s'est tenu la fin de semaine dernière à Halifax, en Nouvelle-Écosse, avait le caractère d'un rassemblement de conspirateurs. Des politiciens américains et canadiens de haut rang, des militaires, des responsables du renseignement et des universitaires ont débattu de la stratégie et comploté des provocations et même la guerre contre leurs rivaux capitalistes.
Leur cible principale était la Chine, qui a été qualifiée de «concurrent stratégique» et d’«adversaire stratégique.»
Mais la Russie a également été identifiée comme une «puissance révisionniste» qui menace l’«ordre mondial» dirigé par les États-Unis. Des appels stridents ont été lancés pour que le Canada augmente considérablement sa présence militaire dans l'Arctique, notamment par l'entremise de l'alliance NORAD entre le Canada et les États-Unis, afin de contrer une présence russe et chinoise croissante là-bas. L'ancien président ukrainien de droite, l'oligarque milliardaire Petro Poroshenko, a prononcé un discours liminaire au forum. Porochenko et l'extrême droite ukrainienne ont attaqué avec amertume l'actuel président ukrainien, Volodymyr Zelensky, pour avoir pris des mesures provisoires afin de désamorcer la guerre avec les rebelles prorusses en Ukraine orientale et de trouver un compromis avec Moscou.
Le conseiller américain pour la sécurité nationale, Robert O'Brien, a profité de ce rassemblement, qui en est à sa onzième année, pour affirmer clairement que, quelle que soit l'issue des négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine, Washington a l'intention de continuer à intensifier ses pressions militaires, diplomatiques et économiques sur Pékin.
«Nous espérions, a dit M. O'Brien, qu'un accord (commercial initial) serait conclu d'ici la fin de l'année. Je pense toujours que c'est possible. En même temps, nous n'allons pas fermer les yeux sur ce qui se passe à Hong Kong ou dans la mer de Chine méridionale, ou dans d'autres régions du monde où l'activité de la Chine nous préoccupe.»
O'Brien a ensuite dénoncé ce qu'il a appelé le silence du monde sur le traitement réservé par la Chine à sa minorité musulmane ouïghoure. Comme s’ils n’attendaient que ça, quelques heures après les propos d’O'Brien, les principaux médias occidentaux, du New York Times à la BBC, en passant par la CBC, publiaient ce qu'ils disaient être des documents fuités du renseignement chinois qui décrivaient la répression de masse des Ouïghours.
O'Brien a également dressé une liste d'exigences que l'impérialisme américain impose à ses partenaires canadiens pour contrer ce qu'il a qualifié de «très graves menaces à notre liberté et à notre sécurité», en provenance de Chine, de Russie, d'Iran et du Venezuela.
Ces exigences comprennent: respecter l'engagement qu'Ottawa a donné à l'OTAN de consacrer 2% du PIB à la défense d'ici 2024; exclure le géant chinois des télécommunications Huawei du réseau 5G du Canada; et militariser rapidement l'Arctique canadien, qu’O'Brien a qualifié de nouvelle «ligne de front» pour défendre l'Amérique du Nord.
Citant de multiples sources gouvernementales, le réseau d’informations Global News a rapporté le 24 novembre que Washington a envoyé à Ottawa une lettre «directe» demandant officiellement au Canada d'atteindre l'objectif de 2% de dépenses militaires d'ici 2024, adopté pour la première fois au sommet de l'OTAN en 2014.
La mise en œuvre de la demande américaine exigerait qu'Ottawa dépense des dizaines de milliards de dollars de plus par année que ce qui était déjà prévu dans le plan du gouvernement libéral Trudeau, annoncé en 2017, qui prévoit une augmentation des dépenses militaires de 73% d'ici 2026. Cette augmentation, qui équivaut à des dépenses militaires annuelles supplémentaires d'environ 14 milliards de dollars, ne fera «simplement» que faire passer les dépenses de défense du Canada de 1,2 à 1,4% du PIB.
Il existe des divergences tactiques de longue date entre Ottawa et Washington au sujet de la promesse de dépenses de l'OTAN. En 2014, même le premier ministre conservateur de droite Stephen Harper s'est plaint qu'il ne pouvait pas être mis en œuvre parce que la population canadienne ne comprendrait pas pourquoi il est nécessaire de consacrer 2% du PIB aux dépenses militaires. Craignant qu'une augmentation aussi massive ne déclenche une opposition populaire généralisée, les libéraux ont refusé de dire si le Canada atteindra l'objectif de l'OTAN et à quel moment.
Cependant, le ministre canadien de la Défense, Harjit Sajjan, a évité de s'opposer directement à la demande d’O'Brien. Il a dit que c'était un projet à long terme, tout en vantant les énormes sommes supplémentaires que le gouvernement Trudeau dépense déjà pour de nouvelles flottes de navires de guerre et de chasseurs à réaction, et les contributions du Canada à l'OTAN.
Comme l'a fait remarquer le premier ministre canadien Justin Trudeau le mois dernier, le Canada joue un rôle important dans l'intensification des préparatifs de la guerre de l'OTAN contre la Russie, notamment en dirigeant un bataillon «déployé-avancé» en Lettonie. Le Canada a également appuyé le retrait de Washington du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, qui permettra aux États-Unis de déployer des missiles intermédiaires à têtes nucléaires contre la Russie et la Chine.
Les élites dirigeantes américaine et canadienne planifient activement une confrontation stratégique et militaire directe avec leurs deux «concurrents stratégiques» dotés d'armes nucléaires. Cependant, comme indiqué plus haut, le forum d'Halifax de 2019 a surtout été une occasion pour proférer des menaces et multiplier les provocations envers la Chine.
Samedi dernier, Cindy McCain, la veuve du faucon proguerre américain, a présidé une cérémonie au cours de laquelle «le peuple de Hong Kong» a reçu le Prix John McCain pour service public. Emily Lau, ancienne législatrice de Hong Kong et leader du parti Pan-démocrate, pro-impérialiste et pro-américain, et l'activiste étudiant Figo Chan, ont accepté le prix en «leur nom».
L'événement a démontré la collaboration de plus en plus ouverte entre les forces politiques de droite représentées par Lau – qui, en raison de l'absence d'une perspective socialiste, ont été en mesure d'exploiter les revendications démocratiques et sociales légitimes des travailleurs et des jeunes de Hong Kong – et les gouvernements impérialistes du Canada et des États-Unis.
Lau a profité de sa participation au forum d'Halifax pour défendre la Loi fondamentale de 1997 négociée par l'impérialisme britannique et le régime du Parti communiste à Pékin, afin de garantir la position de Hong Kong en tant que centre du capital financier mondial et porte d'entrée pour les investisseurs cherchant à exploiter la main-d'œuvre bon marché chinoise. «Ce pour quoi nous nous battons, c'est pour que la Chine tienne la promesse de la Déclaration commune sino-britannique de 1984 et de la Loi fondamentale de 1997, que Hong Kong puisse continuer à jouir d'un système capitaliste, de notre État de droit et de notre sécurité personnelle pendant 50 ans, jusqu'en 2047», a déclaré Lau.
La cérémonie a servi de tribune à des personnalités comme O'Brien, le ministre de la Défense Sajjan et le chef républicain de la Commission des relations étrangères du Sénat américain, Jim Risch, pour se poser en défenseurs des «droits de l'homme» et de la «démocratie».
Peter Van Praagh, le président du Forum d’Halifax sur la sécurité internationale, a affirmé que «ce n'est plus un secret que la Chine de Xi Jinping travaille pour rendre le monde sûr pour l'autoritarisme». Il a ensuite déclaré qu'il était temps d'élaborer une stratégie globale pour les États-Unis, le Canada et leurs alliés. À cette fin, le forum d'Halifax, a annoncé Van Praagh, collaborera avec des experts pour produire un document stratégique anti-Chine pour le forum de l'an prochain.
Le Forum d’Halifax sur la sécurité internationale est organisé en étroite collaboration avec le gouvernement canadien. Lancé par le ministre de la Défense Peter McKay au cours de la décennie au pouvoir des conservateurs de Harper, le forum est devenu un lieu de discussion important sur la stratégie mondiale des puissances impérialistes nord-américaines et de leurs alliés européens.
L'hôte officiel de la réunion de cette année, le ministre de la Défense Sajjan, n'a été que légèrement moins agressif dans ses attaques contre la Chine que Van Praagh. «Nous n'allons pas reculer, a déclaré Sajjan, quand il est question des valeurs de notre nation en matière de droits de l'homme et d'ordre international fondé sur des règles».
Cet «ordre international fondé sur des règles» fait référence à la prédominance mondiale que l'impérialisme américain a établie au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Dans sa politique de défense nationale de 2017, le gouvernement libéral s'est engagé à faire davantage pour maintenir l'«ordre» dirigé par les États-Unis, y compris, comme l'a déclaré la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland dans un discours connexe, en utilisant la «puissance forte», c'est-à-dire la guerre.
O'Brien était loin d'être le seul à utiliser le forum d'Halifax pour inciter Ottawa à adopter une position encore plus dure envers Pékin. Plusieurs dirigeants du Congrès américain, dont les sénateurs Risch et Angus King, ont affirmé que la coopération canado-américaine en matière de renseignement serait menacée si Ottawa ne réussissait pas à exclure Huawei du réseau 5G du Canada.
Suivant les traces de Harper, le gouvernement Trudeau a intégré davantage le Canada dans les préparatifs de guerre des États-Unis contre la Chine, notamment en déployant des navires et des sous-marins canadiens dans la mer de Chine méridionale. Il s’est également plié à la volonté de l'administration Trump en arrêtant la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, en décembre dernier en vue de l’extrader sur la base d’accusations inventées de toutes pièces.
Il y a toutefois des tensions au sein de l'élite dirigeante canadienne au sujet de sa politique chinoise. Alors que l'establishment de la sécurité militaire est tout à fait d'accord avec l'intensification de la confrontation avec la Chine, une faction de l'élite des affaires considère l'expansion des liens économiques avec la Chine comme essentielle pour générer une croissance des profits.
Au cours d'une autre séance sur la sécurité dans l'Arctique, les participants au forum ont brossé un tableau des États «démocratiques» et «épris de paix» du Canada et des États-Unis qui font face aux plans malveillants de la Russie et de la Chine pour dominer le Grand Nord.
Le gouvernement libéral a déjà indiqué qu'il était prêt à travailler avec les États-Unis pour «moderniser» le NORAD (Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord), dont un élément clé sera la reconsidération de la participation du Canada au bouclier antimissile balistique américain. Loin d'être une initiative défensive, ce bouclier vise à rendre «gagnable» une guerre menée avec des armes nucléaires.
Pendant la tenue du forum, les premiers navires canadiens patrouilleurs de l'Arctique, nouvellement construits, ont fait l'objet d'essais en mer. Le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, O'Brien, s'est réjoui de leur lancement, mais a exhorté Ottawa à investir dans des navires et des brise-glaces plus lourds et mieux armés. «Même s'il est agréable de dire que nous ne voulons pas militariser l'Arctique, d'autres personnes vont prendre cette décision pour le Canada. Et le Canada doit être en mesure de se défendre et de défendre ses valeurs», a déclaré O'Brien.
(Article paru en anglais le 27 novembre 2019)