#MeToo lance une attaque néofasciste contre le film de Polanski, J’Accuse

#MeToo a lancé une attaque au vitriol contre le chef d’oeuvre de Roman Polanski sur l’Affaire Dreyfus, J’Accuse. Avec l’aide du banquier-président Emmanuel Macron, les soutiens de #MeToo tentent de faire passer Polanski pour un violeur, dénoncer les spectateurs du film en tant que complices de viol, et ainsi étouffer le film.

La principale caractéristique de cette campagne est son mépris pour les questions historiques, politiques et même morales liées à la monumentale bataille juridique et politique menée entre 1894 et 1906 pour établir l’innocence d’un officier juif, le capitaine Alfred Dreyfus, condamné d’espionnage pour le compte de l’Allemagne. En tête du box office, J’Accuse a réalisé plus de 500.000 entrées en une semaine. Mais #MeToo se déchaîne contre ce chef-d’oeuvre, s’alignant ainsi avec des positions d’extrême-droite.

J'Accuse

Des manifestants #MeToo ont fait annuler le 12 novembre l’avant-première du film à Paris, avec des pancartes qui disaient «J’Accuse le violeur Polanski.» Depuis la sortie du film le 13 novembre, ils ont forcé l’annulation d’autres représentations du film en région parisienne ainsi qu’à Rennes, Saint Nazaire, Bordeaux, Caen et dans d’autres villes. Un slogan typique de la campagne #MeToo contre J’Accuse est «Polanski violeur, cinémas coupables, spectateurs complices.»

Plusieurs acteurs ont annulé des entrevues pour promouvoir le film face à la pression de #MeToo. Jean Dujardin n’a pu passer à TF1 pour parler de J’Accuse, et Emmanuelle Seigner a dû abandonner une entrevue sur France Inter.

Des élus et #MeToo tentent d’interdire le film localement. L’élu PS Gérald Cosme a annoncé une interdiction du film en Seine Saint-Denis, avant d’avoir à la retirer face à une levée des boucliers par des cinéastes et des personnels de cinémas qui ont annoncé qu’ils braveraient l’interdiction.

Stéphane Goudet, le directeur du théâtre Le Méliès en Seine Saint Denis a écrit à Cosme sur Facebook: «Nous demandons dès à présent à nos élus la liste des cinéastes dont nous n'aurons plus le droit de programmer les films et la définition de leurs critères. Un comité de vérification de la moralité des artistes programmés est-il prévu, puisque la liberté individuelle des spectateurs n'est pas suffisante?» Goudet a également demandé si le romancier Louis-Ferdinand Céline et les peintres Le Caravage et Gaugain seraient interdits.

Roman Polanski en 2013 [Credit: Georges Biard]

Néanmoins, #MeToo continue à attaquer hystériquement le film, en distribuant des affiches avec des photos de Polanski initulées «Pédocriminel impuni». L’association des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP) a annoncé une tentative honteuse de suspendre Polanski, après qu’il a réalisé une des oeuvres les plus importantes d’une carrière longue d’un demi-siècle.

Des ministres de Macron incitent ouvertement cette campagne répugnante. La secrétaire d’État pour l’Égalité entre les Femmes et les Hommes Marlène Schiappa le 13 novembre et la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye le lendemain ont toutes deux déclaré qu’elles n’iraient pas voir J’Accuse. Ndiaye a déclaré qu’elle ne pourrait pas regarder ce film, car elle ne croit «pas partager grand-chose avec un homme qui porte de telles accusations sur lui.»

L’ancienne ministre PS de la Famille Laurence Rossignol a quasiment appelé au boycott du film, en déclarant qu’aller le voir est «offrir (à Polanski une) rétribution narcissique.» Tout en disant qu’elle n’appelerait pas à «interdire» J’Accuse, elle a dit que vu les accusations de viol qui pèseraient sur Polanski, «Aller voir le film, c'est passer l'éponge».

Prétendre que montrer, regarder ou applaudir J’Accuse signifie être complice de viol est une diffammation monumentale et horrible. J’Accuse n’a pas pour sujet le viol, le sexe ou Polanski. C’est une reconstitution véridique de la lutte contre une campagne officielle visant à garder Dreyfus en prison malgré son innocence, lutte menée sur plusieurs années par le colonel Georges Picquart ainsi que le célèbre romancier Émile Zola et la gauche politique.

L’Affaire Dreyfus a ébranlé l’appareil d’État et l’armée et a presque fait chuter le gouvernement. La France était au bord de la guerre civile. L’Affaire a séparé la France en deux camps: les dreyfusards, parmi lesquels la force décisive était le mouvement ouvrier socialiste dirigé par Jean Jaurès, et les antidreyfusards, parmi lesquels l’Action française de Charles Maurras étaient en pointe. C’était l’une des premières victoires du mouvement ouvrier contre les forces fascisantes qui allaient plus tard mener le génocide des Juifs en Europe pendant la 2e Guerre mondiale.

Dire qu’être ému par un film puissant sur ces sujets équivaut à une complicité avec le viol est dégoûtant et réactionnaire. Vu la vaste portée historique et politique de ces questions, cela est un appel lancé au racisme, à l’antisémitisme et aux haines antiouvrières.

L’incitation par l’État d’une campagne #MeToo contre J’Accuse fait partie de la politique de Macron de répression militaro-policière, d’austérité et d’appels de pied à l’extrême-droite. L’année dernière, Macron a salué le dictateur collaborationniste Philippe Pétain en le traitant de «grand soldat» pour flatter les forces de l’ordre à qui il ordonnait de mener les plus grandes vagues d’arrestations, contre les «gilets jaunes», depuis l’Occupation nazie.

Ayant salué Pétain, le gouvernement Macron veut maintenant bloquer toute discussion réelle de l’Affaire Dreyfus et ne masque pas son hostilité envers un film qui défend Dreyfus. C’est parce que le régime pétainiste de Vichy avait sa principale base politique parmi les groupes d’extrême-droite nés des milieux antidreyfusards, surtout l’Action française de Maurras. L’année dernière, le ministère de la Culture de Macron a tenté, finalement sans succès, de ré-éditer Maurras.

L’antisémite Maurras a commencé sa carrière en traitant les faux préparés contre Dreyfus de «vérité absolue». Après le discrédit de ces documents au procès de 1899, il a continué à les défendre, en déclarant qu’il voulait «substituer le désirable à la triste réalité». Ainsi parce que lui, l’état-major et l’Église désiraient garder Dreyfus en prison, il continuait à défendre les accusations contre l’officier juif tout en sachant que c’étaient des mensonges.

A la fin de sa carrière, Maurras a salué la soudaine capitulation de l’état-major au nazis en 1940 et l’arrivée au pouvoir de Pétain, qu’il a traité de «divine surprise». Des membres de l’Action française allaient diriger la politique juive de Vichy, c’est-à-dire la déportation de plus de 70.000 Juifs de France vers des camps de la mort en Allemagne et en Pologne. Condamné à la perpétuité pour haute trahison après la 2e Guerre mondiale, il s’est écrié: «C’est la revanche de Dreyfus!»

Pour comprendre non seulement l’histoire mais aussi la politique de notre époque, il est essentiel que la discussion publique de ces questions qui soit honnête, ouverte et sans censure.

L’intervention de #MeToo va par contre dans le sens contraire: vers la censure fondée sur des allégations sans fondement avéré, et une dégradation du débat public qui favorise, dans l’analyse finale, les intérêts de l’aristocratie financière.

Le prétexte pour cette campagne contre J’Accuse est la publication par Le Parisien, le 9 novembre, d’allégations par la photographe et ancienne actrice Valentine Monnier selon lesquelles Polanski l’aurait violée en 1975, quand elle avait 18 ans, à Gstaad en Suisse. Pendant 44 ans, elle n’a rien dit publiquement sur cet incident, et les faits s’ils étaient avérés seraient prescrits. Monnier n’a présenté aucune preuve pour étayer ses accusations, que l’avocat de Polanski a fermement démenties.

Monnier a expliqué son silence en prétendant qu’elle avait oublié le viol mais que la nouvelle de la sortie de J’Accuse le lui avait rappelé. «Le corps finit souvent par relayer ce que l'esprit a relégué, jusqu'à ce que l'âge ou un événement vous remette en face du souvenir traumatique», a-t-elle dit. La sortie du film aurait éveillé le traumatisme: «Est-ce tenable, sous prétexte d'un film, sous couvert de l'Histoire, d'entendre dire J'accuse par celui qui vous a marquée au fer, alors qu'il vous est interdit, à vous, victime, de l'accuser?»

Cette campagne contre J’Accuse est fondée sur une fausse présentation des faits. Monnier n’a pas, comme elle le laisse entendre, décidé soudain d’aller à la presse juste après s’être souvenue qu’elle avait été violée en apprenant la sortie de J’Accuse. En fait, sa déclaration et la campagne #MeToo contre Polanski ont été soigneusement préparées sur une période de plusieurs années avec les autorités françaises et américaines.

Polanski a plaidé coupable à Los Angeles en 1977 de sexe contraire à la loi avec une mineure, Samantha Geimer, et a purgé une peine de 42 jours de prison pour examen psychiatrique avec l’accord d’un juge. Il a fui les États-Unis quand la juge, voulant se faire une réputation de «dur» avec les criminels, s’est rendu coupable de faute grave en annonçant qu’il dénoncerait son accord pour imposer une peine de 50 ans de prison à Polanski. Geimer a dit à maintes represises qu’elle avait pardonné à Polanski et imploré les médias d’abandonner leur campagne contre lui. Mais les autorités américaines continuent à chercher son extradition pour des raisons politiques.

Monnier n’a rien dit à propos d’un viol en 1975 pendant les évènements de 1977. La première fois qu’elle aurait évoqué un viol en 1975 était en janvier 2018 quand, inspirée par la campagne #MeToo contre Harvey Weinstein, elle a écrit à Schiappa, à la première dame Brigitte Macron, et à la police de Los Angeles. Monnier «a réécrit en 2019 concernant le financement par le ministère de la Culture du film de Roman Polanski», selon le cabinet de Brigitte Macron.

Le fait qu’une pareille opération a servi de prétexte à une tentative d’étouffer un chef-d’oeuvre artistique témoigne du caractère profondément antidémocratique du gouvernement Macron. Quant à la campagne #MeToo, elle est démasquée par son engagement en faveur de la censure et par son alignement avec un gouvernement qui promeut l’héritage du fascisme.

Loading