Les audiences de destitution font ressortir le conflit entourant la politique des États-Unis en Ukraine

Les audiences publiques dans le cadre de l'enquête sur la destitution du président Trump se sont poursuivies mardi, quatre témoins ayant comparu devant le House Intelligence Committee au cours d'une longue session qui s'est prolongée jusqu'en soirée.

Les deux premiers témoins, Jennifer Williams, fonctionnaire du département d'État, et le lieutenant-colonel Alexander Vindman, du Conseil de sécurité nationale (CSN), ont été convoqués par les démocrates, tandis que l'ancien envoyé spécial de l'Ukraine Kurt Volker et l'ancien responsable du CSN Tim Morrison ont été appelés par les républicains.

Jennifer Williams (à gauche) et le lieutenant-colonel Alexander Vindman, assermentés pour témoigner devant le House Intelligence Committee du Capitole à Washington[Crédit: AP Photo/Andrew Harnik]

Les quatre témoins se sont dits préoccupés par l'appel téléphonique du 25 juillet entre Trump et le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui est le point central de l'enquête. Lors de cet appel, Trump a intimidé son homologue ukrainien, exigeant une enquête sur Hunter Biden, fils de l'ancien vice-président Joe Biden, et sur les opérations présumées du Comité national démocrate en Ukraine lors des élections de 2016.

Williams, Vindman et Morrison ont écouté l'appel du 25 juillet, Williams en tant que représentante du vice-président Mike Pence, qu'elle conseillait sur les affaires de l'Europe de l'Est et de la Russie, et Vindman et Morrison en tant que responsables du CSN. Vindman et Morrison ont immédiatement signalé l'appel à l'avocat du CSN, exprimant manifestement des préoccupations. Vindman a dit qu'il l'avait fait parce qu'il pensait que la demande de Trump pour que l'Ukraine annonce une enquête de corruption sur les Biden était erronée. Morrison a prétendu que c'était parce qu'il craignait la révolte politique si l'appel devenait public.

Volker a témoigné qu'il n'a pris connaissance du contenu de l'appel que deux mois plus tard, lorsque la Maison-Blanche l'a rendu public le 25 septembre. Il avait précédemment déclaré à la commission du renseignement de la Chambre, à huis clos, qu'il n'y avait aucun lien entre la suspension de l'aide militaire américaine à l'Ukraine et la demande de Trump de mener une enquête sur Biden. Mais lors de la séance publique, il n'a pas été aussi catégorique et il a décrit la référence de Trump aux Biden dans l'appel du 25 juillet comme étant «inacceptable».

Le contenu du témoignage et une grande partie des questions fastidieuses tournaient autour de la question à savoir si Trump avait cherché à conditionner l'aide militaire américaine à l'Ukraine et une invitation pour le président ukrainien à visiter la Maison-Blanche sur l'accord de l'Ukraine à une enquête sur Biden et les démocrates.

Ce n'est un secret pour personne que Trump se livre quotidiennement à de telles brimades transactionnelles, malgré les efforts des républicains pour dissimuler ce fait évident. Pour leur part, les démocrates, frustrés par le désintérêt populaire évident dans l'ensemble de la procédure, ont eu recours à des groupes de discussion pour vérifier si c’était l’expression «quid pro quo», «corruption» ou «extorsion» qui devait être utilisée pour poursuivre la destitution.

Tout le débat sur l'appel téléphonique de Trump-Zelensky est une diversion de la question centrale de l'enquête. Ce qui a propulsé la destitution au centre de la scène politique américaine, c'est la réaction furieuse de l'appareil du renseignement militaire aux actions de Trump dans deux domaines clés de la politique étrangère, l'Ukraine et la Syrie.

En menaçant de retirer l’aide militaire américaine à l'Ukraine, en remettant en question la position américaine sur la Crimée et en suggérant qu'il pourrait inviter Poutine au sommet du G7 aux États-Unis l'année prochaine et accepter une invitation de Poutine à Moscou pour le 75e anniversaire de la Victoire en Europe, Trump semble menacer l’une des opérations les plus cruciales de l'impérialisme américain depuis deux décennies: la création en Ukraine d’un régime fantoche américain, la seconde composante la plus importante de l’ex-URSS. L'Ukraine est largement considérée comme un État de première ligne dans toute guerre future entre l'OTAN et la Russie.

Alors que les démocrates avouent avec consternation que Trump inviterait l'«ingérence étrangère» dans une élection américaine en cherchant à obtenir de l'Ukraine des informations politiques sur Biden, la «révolution Maidan» de 2014, célébrée par les deux partis, est le produit d'une ingérence étrangère beaucoup plus flagrante des États-Unis en Ukraine. La secrétaire d'État adjointe aux affaires européennes sous Obama, Victoria Nuland, épouse de Robert Kagan, l'un des principaux néoconservateurs et bellicistes pour la guerre en Irak, s'est vantée que le gouvernement américain avait dépensé 5 milliards de dollars pour renverser le gouvernement élu du président ukrainien Viktor Ianoukovitch.

Lors de l'interrogatoire des témoins mardi, les démocrates ont invoqué le coup d'État de 2014 soutenu par la CIA et dirigé par les fascistes en Ukraine comme une avancée historique pour la politique étrangère américaine qui était mise en danger par la Russie et par le prétendu compromis de Trump avec Moscou. Tous sont issus du scénario énoncé par la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, qui a déclaré à plusieurs reprises qu'avec Trump, «tous les chemins mènent à Poutine».

En ce sens, la tentative de destituer Trump au sujet de l’Ukraine s'inscrit dans le prolongement de la campagne anti-Russie lancée par le Parti démocrate et les services de renseignement en juillet 2016 et qui s'est poursuivie pendant toute la durée des élections, et pendant l'enquête Mueller de près de deux ans. Le principal républicain au sein du Comité du renseignement, Devin Nunes, a été en mesure de démontrer cette continuité assez efficacement dans sa déclaration d'ouverture mardi, qui comprenait des citations de titres médiatiques des trois dernières années faisant la promotion de l'affirmation bidon que Trump est un agent russe.

Les relations de Trump avec l'appareil de renseignement militaire ont été encore aggravées par sa décision le mois dernier de retirer la plupart des forces américaines de Syrie et d'abandonner les forces kurdes syriennes qui avaient servi de troupes terrestres principales à Washington au cours des quatre années précédentes.

Sur ces deux questions – refuser l'aide de l'Ukraine et se retirer de la Syrie – les actions de Trump ont eu des répercussions au sein de son propre gouvernement, plus particulièrement dans son renvoi du conseiller à la sécurité nationale John Bolton. Selon un reportage publié ce week-end, Bolton a eu une séance privée avec Trump sur la question de l'Ukraine avant d’être renvoyé le 10 septembre, soit un jour après que la plainte d'un «lanceur d’alerte» de la CIA a été rendue publique et un jour avant que Trump doive annuler sa décision et libérer les fonds pour l’armée de l'Ukraine.

La réaction au sein du Pentagone a été similaire, en particulier sur la Syrie. Les tensions qui sous-tendent les relations civiles-militaires à Washington se sont traduites par un incident apparemment mineur. Lorsqu'un membre du Congrès républicain a appelé Vindman «M. Vindman», l'officier militaire, vêtu de son uniforme complet, a dit sèchement qu'il devait être appelé «lieutenant-colonel».

Une grande partie de l'audience de mardi visait à façonner les attentes à l'égard du témoignage de Gordon Sondland, ambassadeur des États-Unis auprès de l'Union européenne, qui a été décrit comme le principal intermédiaire de la campagne de Trump pour faire pression sur les autorités ukrainiennes afin qu'elles enquêtent sur les Biden. Mardi, les quatre témoins ont catégoriquement nié avoir joué un rôle dans cet effort et ont prétendu s'y opposer.

Sondland a déjà donné deux témoignages diamétralement opposés sur son rôle dans l'affaire ukrainienne, et sa crédibilité sera sans doute attaquée mercredi par l'un ou l'autre côté de la commission, selon la position qu’il adoptera sur la question à savoir si Trump a lié l'aide militaire à une enquête sur un opposant démocrate potentiel en 2020.

En particulier, il sera interrogé au sujet d'un appel téléphonique le 26 juillet, dans lequel il aurait parlé avec Trump d'un restaurant de Kiev, puis aurait dit à d'autres employés de l'ambassade que Trump n'en avait «rien à foutre» de l'Ukraine et ne s'intéressait qu'aux enquêtes des Biden. Sondland n'a pas révélé cet appel dans sa précédente déposition à huis clos, mais David Holmes, conseiller à l'ambassade des États-Unis à Kiev, a dit au comité samedi qu'il avait entendu l'appel et en a ensuite discuté avec Sondland. Holmes doit témoigner en public jeudi.

(Article paru en anglais le 20 novembre 2019)

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