Une juge britannique refuse un report dans l'affaire de l'extradition d'Assange

L'éditeur emprisonné de WikiLeaks, Julian Assange, a comparu devant le tribunal de Westminster à Londres hier. Ce n'est que sa troisième comparution publique depuis que la police britannique l'eut arrêté à l'ambassade d'Équateur le 11 avril et l'emprisonna dans la prison à sécurité maximale de Belmarsh.

Assange, dont les révélations sur les crimes de guerre perpétrés par les États-Unis en Irak et en Afghanistan ont attiré l'attention du monde entier et lui a valu des prix journalistiques en Australie, aux États-Unis, en Europe et en Amérique latine, est arrivé au tribunal dans un fourgon de l’entreprise de sécurité Serco.

Debout au banc des accusés, dans une pièce entourée de panneaux de verre blindés, Assange a réfléchi et paru hésiter lorsque la juge Vanessa Baraitser lui a demandé de préciser son nom et sa date de naissance.

L’envie de vengeance de Baraitser envers Assange était claire dès les premiers moments de l'audience d'une heure et demie de l’audition administrative de l'affaire. Elle a dit aux partisans d'Assange qui regardaient silencieusement dans la tribune que «ceux responsables de dérangements […] seront priés de partir». Kristinn Hrafnsson, rédacteur en chef de Wikileaks et journaliste chevronné, le journaliste d'investigation John Pilger et l'ancien maire de Londres Ken Livingstone faisaient partie des personnes présentes.

L’avocat James Lewis a représenté le ministère de la justice des États-Unis et a déclaré: «M. Assange est recherché par le gouvernement des États-Unis» pour «espionnage» et «aide et encouragement à Chelsea Manning» dans le cadre de la publication de documents classifiés américains relatifs aux guerres en Irak et en Afghanistan et des câbles du département d'État américain. Assange n'était «pas un journaliste», a affirmé Lewis. Ses actes étaient «criminels aux États-Unis et au Royaume-Uni», a-t-il affirmé, en citant la loi anti-espionnage du Royaume-Uni.

L’avocat Mark Summers a représenté Assange et a demandé que l'affaire d'extradition à l’égard de son client soit classée. Le traité d'extradition conclu entre le Royaume-Uni et les États-Unis en 2003 stipulait expressément que «l'extradition ne sera pas accordée si l'infraction pour laquelle l'extradition est demandée est une infraction politique». Summers a déclaré que les motivations politiques de son client «sont bien connues».

Summers a continué que les agissements depuis 2010 des États-Unis contre Assange et l’ancienne soldate Chelsea Manning de l’armée américaine faisaient «partie d'une guerre avouée contre les lanceurs d’alerte visant également les activités des éditeurs et journalistes d’investigation». Une pression politique a été exercée par les États-Unis sur l' Équateur et Manning, qui est maintenant en prison pour avoir refusé de témoigner contre Assange. WikiLeaks avait été décrit comme un «service de renseignement non étatique hostile» et l'affaire avait été «revigorée» par le gouvernement Trump. L'attaque contre les journalistes était «sans précédent».

Summers a demandé à Baraitser d'accorder un délai de trois mois à l'audience d'extradition prévue pour le 25 février. Il a évoqué des révélations «extraordinaires» d'ingérence illégale des États-Unis dans les droits légaux d'Assange. Une action en justice intentée par Assange contre une société de sécurité espagnole avait révélé que les États-Unis «se sont immiscés activement dans des discussions privilégiées» entre Assange et ses avocats à l'ambassade d'Équateur.

Il a expliqué que l’État américain est impliqué dans le vol illégal d’informations extraites de téléphones et d’ordinateurs, et de «cambriolages de bureaux par des hommes cagoulés» et des «projets d’enlèvement et de dommage corporel visant M. Assange».

«Pour être franc, nous avons besoin de plus de temps», a-t-il déclaré à la cour. «L'énormité» des problèmes en cause nécessitait une «recherche de preuves qui mettrait à l'épreuve la plupart des avocats.»

Summers a expliqué qu'un report était également nécessaire en raison des conditions auxquelles doit faire face Assange à la prison de Belmarsh. Son client n'a aucun accès aux informations, aucun contact téléphonique avec son équipe juridique américaine et les restrictions en matière de courrier signifient qu'il n'avait reçu des documents judiciaires de ses avocats qu'une semaine avant l'audience du jour.

En réponse, Lewis parlant au nom du gouvernement américain, a déclaré à Baraitser: «Vous ne devriez pas vous laisser convaincre de la nécessité» d’un report de trois mois avancé par les avocats d'Assange. «ce n'est qu'une appréciation à la louche.»

Summers a lancé un appel à Baraitser pour lui faire savoir que la date de février pour une audience d'extradition «n'est pas viable». Il a répété à plusieurs reprises que le droit d'Assange à un procès juste et équitable était mis en péril.

Baraitser est restée impassible. Elle a déclaré: «Mon intention est d'adopter le calendrier suggéré par M. Lewis». Tout en accordant à la défense une prolongation de deux mois pour rassembler des éléments de preuve supplémentaires, elle a décidé que l'audience d'extradition aurait lieu le 25 février.

Dans un dernier geste vindicatif, Baraitser a déclaré que l'audience d'extradition d'une semaine aurait lieu l'année prochaine au tribunal de Woolwich, près de la prison de Belmarsh. À l'annonce de Baraitser, la tribune publique a lâché des cris de surprise. Le site situé près de Belmarsh ne possède qu'une «tribune publique» de trois sièges, ce qui mettrait en cause pour ainsi dire tout examen du public et permettrait à un média partial de rapporter et de diffuser de manière sélective la désinformation et les mensonges.

Summers s'est immédiatement opposé au choix de tribunal par Baraitser. Non seulement était-il difficile d’accès - s'ajoutant à un calendrier et à une charge de travail déjà impossibles pour l'équipe juridique - mais ses installations étaient inférieures à celles de Westminster et il lui manquait même de salles de conférence indispensables à des discussions juridiques confidentielles. Ses préoccupations ont été rejetées.

À la fin de l'audience, Baraitser s'est tournée vers Assange et lui a demandé de se lever. «Comprenez-vous ce qui s'est passé ici aujourd'hui?»

Assange, qui a subi des mois de cellule d'isolement et qui a été coupé de l'accès quotidien à des informations extérieures, a répondu après une longue pause: «Est-ce que je comprends? Pas vraiment.»

«Y a-t-il autre chose que vous voudriez dire?» a demandé Baraitser.

«Je ne comprends pas en quoi cela est équitable.» Assange a répondu doucement et parfois de manière inaudible. «Cette superpuissance a eu 10 ans pour se préparer à cette affaire. Je ne me souviens de rien. Je n'ai accès à aucun de mes travaux écrits. Il est très difficile de faire quoi que ce soit avec des ressources aussi limitées contre une superpuissance déterminée à [inaudible] Ils ont un avantage injuste en ce qui concerne les documents. Ils [connaissent] ma vie intérieure à travers mon psychologue. Ils volent l'ADN de mes enfants. Ce qui se passe ici n'est pas équitable.»

«Je ne peux pas réfléchir correctement», a-t-il conclu en retenant ses larmes et en levant les deux mains à sa tête. «Les conditions de votre détention ne sont pas le sujet de ce tribunal», a répondu Baraitser. C'étaient les derniers mots prononcés avant qu'Assange soit emmené du banc des accusés, à l'abri des regards de ses partisans dans la tribune réservée au public.

Après l'audience, le rédacteur en chef de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson, a déclaré: «L'affaire doit être immédiatement classée. Non seulement cela est illégal au vu du traité [d’extradition], mais les États-Unis ont mené des opérations illégales contre Assange et ses avocats, qui font l'objet d'une enquête majeure en Espagne.»

Hrafnsson et Pilger se sont adressés aux 200 manifestants devant le tribunal qui avaient fait sentir leur présence toute au long de la matinée. La foule comprenait des dizaines de Gilets jaunes qui avaient fait le déplacement dans la nuit en autocar depuis la France.

Quelques-uns des quelque 100 manifestants gilets jaunes qui ont participé à la manifestation pour défendre Assange

Pilger a déclaré aux manifestants: «Tout cela est une absurdité grotesque. Il existe une loi sur l'extradition entre ce pays et les États-Unis. Elle précisé que personne ne peut être extradé si les infractions sont de nature politique […] Ce n'est pas un brin de propagande, ce n'est pas une opinion, elles sont politiques. Toutes les accusations sauf une sont fondées sur la loi de 1917 sur l'espionnage, utilisée pour incarcérer des objecteurs de conscience pendant la Première Guerre mondiale aux États-Unis.»

Pilger a conclu: «La source de ceci est un État voyou - un État qui ignore ses propres lois et les lois internationales et les lois de ce pays.»

(Article paru en anglais le 22 octobre 2019)

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