La semaine dernière, des milliers de personnes sont descendues dans les rues d’Algérie pour protester contre le gouvernement du général Ahmed Gaïd Salah et du président intérimaire, Abdelkader Bensalah, soutenus par l’armée. Les manifestants, dans les rues pour la 30e semaine consécutive, se sont opposés à l’annonce faite par Salah que des élections présidentielles auraient lieu en décembre. Les manifestants ont réussi à chasser le président Abdelaziz Bouteflika du Front de libération national (FLN) du pouvoir. Maintenant, ils refusent que la moindre élection ait lieu tant que les laquais de ce dernier, comme Salah et Bensalah, resteront au pouvoir.
Vendredi, les manifestants portaient des banderoles sur lesquelles on pouvait lire «Pas de vote tant que les gangs vont régner sur le pays», pour dénoncer le régime provisoire. Cela faisait suite à des manifestations d’étudiants le mardi et à des manifestations massives de l’opposition en divers endroits. Lors d’un match de football à Alger la semaine dernière, les fans ont crié: «Débarrassez-vous de Bensallah».
Des manifestations ont également éclaté dans la ville portuaire d’Annaba, au nord-est du pays. Exceptionnellement, les forces de sécurité ont été renforcées pour bloquer le boulevard du 1er Novembre, craignant que la marche de masse ne change son parcours et ne marche sur la villa d’Ahmed Gaïd Salah, qui était à Annaba ce jour-là.
Les manifestants ont également critiqué l’arrestation mercredi soir de Karim Tabbou, le dirigeant de l’Union démocratique et sociale (UDS). «Libérez Tabbou, libérez Tabbou» était inscrit sur une bannière. Selon certaines informations, deux agents de sécurité en civil ont arrêté Tabbou à son domicile à Douera, dans la banlieue ouest d’Alger. Selon une déclaration de l’UDS, la police l’a arrêté sans fournir d’explication. Tabbou aurait prévu de participer à une conférence lundi contre les élections présidentielles.
Le régime algérien a clairement indiqué qu’il ne fera aucune concession à la colère et à l’opposition populaires. Alors que les manifestations de masse se poursuivent tous les vendredis, la police est fortement déployée dans les rues principales de la capitale. Depuis juin, le régime militaire procède à l’arrestation des personnes qui portent des banderoles berbères et des manifestants qu’il considère comme une menace.
Plus tôt ce mois-ci, Salah, qui était un allié de longue date de Bouteflika et un partisan de sa réélection avant de l’évincer face aux manifestations de masse, a rappelé que de nouvelles élections seraient annoncées à la mi-septembre et organisées en décembre. Le 2 septembre, il a déclaré à l’agence de presse officielle de l’APS qu’il exigeait la mise en place d’un organe indépendant «pour l’organisation et la surveillance des élections». Il a dit que le collège électoral devrait être convoqué «le 15 septembre» pour que l’élection «puisse avoir lieu dans les délais prévus par la loi».
Tout en laissant ouverte la possibilité d’une «révision de certains textes de la loi électorale», Salah a ajouté: «Il n’y aura pas de refonte totale et profonde… comme l’exigent certains», en invoquant cyniquement les contraintes de temps.
Salah a dénoncé les opposants aux nouvelles élections, les accusant de «conspirer contre le peuple et la nation». Il a exigé: «Arrêtez de mettre des obstacles sur le chemin des hommes loyaux qui prennent des initiatives pour sortir le pays de la crise!» Il a de nouveau brandi la menace que l’armée «ne tolérerait aucune tentative de saper le travail des institutions de l’État».
Tout en agissant contre les travailleurs et les jeunes, l’armée purge impitoyablement l’élite dirigeante. Parmi les hommes politiques emprisonnés figurent Louisa Hanoune, chef du Parti des travailleurs, et le général Ali Ghadiri, candidat à l’élection présidentielle, tous deux accusés de «conspirer contre l’État et l’armée». Le 30 juin, la police a arrêté Lakhdar Bouregâa, 87 ans, vétéran de la guerre d’indépendance de l’Algérie contre la France, à son domicile à Alger. Seulement quatre jours auparavant, il avait déclaré, lors d’une réunion publique, que l’armée algérienne est un ensemble de «milices».
Compte tenu de l’opposition populaire à l’élection, le régime Salah envisagerait de décréter l’état d’urgence pour suspendre les droits constitutionnels et réprimer l’opposition sociale, comme lors de la sanglante guerre civile algérienne de 1992-2002. Dans la presse, beaucoup rappellent que l’armée a organisé les élections présidentielles de 1996 sous l’état d’urgence.
Les mises en garde les plus vives doivent être faites sur le rôle réactionnaire du régime intérimaire. Il travaille sans relâche pour défendre les privilèges de la classe capitaliste algérienne tout en essayant de gagner du temps et de mettre fin au mouvement de protestation populaire par de fausses promesses de réforme démocratique. Cependant, il prépare non pas des réformes démocratiques, mais une confrontation sanglante avec la classe ouvrière. Dans une telle confrontation, il va bénéficier du soutien des grandes puissances impérialistes, en particulier la France, ancienne puissance coloniale. Ces puissances craignent que les manifestations ne s’étendent à la France et à l’Europe.
Les protestations algériennes ont éclaté le 22 février, alors que Bouteflika briguait un cinquième mandat après avoir été au pouvoir pendant deux décennies. Elle s’inscrivait dans le cadre d’une large résurgence internationale de la lutte des classes. Les manifestations en Algérie se sont déroulées dans un contexte de protestations et de grèves de masse contre le régime soudanais et de grèves des enseignants en Tunisie et au Maroc; de grèves des enseignants américains et des travailleurs mexicains des maquiladoras; de manifestations contre les inégalités sociales en France; de grèves internationales des travailleurs automobiles, notamment aux États-Unis, à propos des coupures dans les emplois et les salaires; et de manifestations de masse à Hong Kong.
Les travailleurs et les jeunes se sont opposés à Bouteflika à cause de ses attaques contre le niveau de vie et les droits démocratiques dans l’intérêt des sociétés transnationales et de la petite élite financière algérienne, et aussi à cause de sa complicité dans les guerres impérialistes au Mali, en Libye et dans le nord-ouest de l’Afrique. Après l’éviction de Bouteflika, les manifestations de masse se sont poursuivies contre le régime provisoire qui a été contraint d’annuler les élections du 4 juillet. Les manifestants ont affirmé qu’ils allaient continuer jusqu’au renversement du régime soutenu par les militaires.
Face aux protestations de masse des travailleurs et des jeunes, l’élite dirigeante algérienne et ses alliés impérialistes ont forcé Bouteflika à se retirer pour tenter de mettre fin au mouvement. Bouteflika a démissionné le 2 avril et le régime a reporté les élections prévues pour le 18 avril. Même si Bouteflika s’est retiré de ses fonctions, ses anciens alliés, principalement l’armée, sont restés au pouvoir.
Malgré la profonde colère populaire contre le régime intérimaire, les travailleurs et les jeunes Algériens sont confrontés à un problème fondamental: ils ne peuvent mener une lutte révolutionnaire par des manifestations spontanées sans direction révolutionnaire. Le régime du FLN, les syndicats algériens et leurs alliés de la petite bourgeoisie sont hostiles à une lutte révolutionnaire dirigée contre eux. Les événements ont confirmé la théorie de la révolution permanente de Léon Trotsky. Dans les pays au développement capitaliste tardif, la bourgeoisie est incapable d’établir un régime démocratique. Cette tâche ne peut être accomplie que par la prise du pouvoir par la classe ouvrière armée d’un programme socialiste qui sera réalisée, à terme, à l’échelle internationale.
La résurgence internationale de la lutte de classe souligne la possibilité objective d’une lutte politique basée sur une telle stratégie. Cependant, la tâche cruciale de développer un mouvement révolutionnaire international conscient et uni exige la formation d’une avant-garde politique trotskyste: des sections du Comité international de la Quatrième Internationale en Algérie et dans les pays du monde entier. Le retard dans la construction d’une telle direction ne fait que donner aux puissances impérialistes et à leurs alliés le temps de faire avancer leurs complots contre-révolutionnaires.
Le 14 septembre, le site web Maghreb Intelligence a rapporté, citant des sources plus proches du palais présidentiel de l’Élysée, qu’un haut responsable français du renseignement étranger avait été envoyé à Abou Dhabi la semaine dernière pour discuter de l’Algérie avec les dirigeants émiratis. Selon le site web, ce fonctionnaire connaît bien les affaires algériennes après avoir travaillé en étroite collaboration avec la junte militaire pendant une décennie pendant la guerre civile algérienne. Parmi ses contacts, il y aurait de hauts responsables du renseignement algérien, dont Smaïn Lamari et le général Toufik, aujourd’hui emprisonné.
Alors qu’Abu Dhabi soutient Salah et la mise en place d’un régime militaire, Paris se demande si Salah peut gérer la crise dans son ancienne colonie, selon le site web. Si Salah ne parvient pas à réprimer la protestation, écrit-il: «Les Émiratis n’hésiteront pas à retirer leur soutien controversé et à passer à un plan proposé par Paris pour sauver ce qui peut l’être à Alger». Ce que Paris propose serait une dictature brutale pour écraser les manifestations de masse et promouvoir ses intérêts prédateurs.
(Article paru en anglais le 19 septembre 2019)