Vendredi dernier, la police métropolitaine de Londres (‘Met’) a menacé les journalistes de poursuites en vertu de la loi britannique sur les secrets officiels (Official Secrets Act), une attaque sans précédent de la liberté de la presse.
Le contrôleur général Neil Basu a annoncé que le Commandement de l’antiterrorisme allait enquêter sur les infractions présumées à l’Offical Secrets Act dans la publication de télégrammes diplomatiques rédigés par l’ex-ambassadeur sir Kim Darroch.
Darroch a démissionné la semaine dernière comme ambassadeur de Grande-Bretagne aux États-Unis après que le quotidien britannique Daily Mail a publié des évaluations confidentielles accablantes sur le Président Donald Trump. Trump avait publiquement réprimandé Darroch qui avait décrit son administration comme «uniquement dysfonctionnelle» et «inepte».
Basu a déclaré devant le quartier général de Scotland Yard: «Compte tenu des conséquences largement rapportées de cette fuite, je suis convaincu que les relations internationales du Royaume-Uni ont subi des dommages et qu’il y aurait un intérêt public évident à traduire en justice la personne ou les personnes responsables».
Au lanceur d’alerte, il a dit : «Rendez-vous dès que possible, expliquez-vous et faites face aux conséquences.»
Cette déclaration visait également les journalistes et organismes médiatiques: «La publication de communications ayant fait l’objet d’une fuite, connaissant les dommages qu’elles ont causés – ou sont susceptibles de causer – peuvent elles aussi constituer une matière criminelle».
«Je conseille à tous les propriétaires, rédacteurs en chef et éditeurs de réseaux sociaux et médias grand public de ne pas publier de documents gouvernementaux ayant fait l’objet de fuites, ceux déjà en leur possession ou ceux qui pourraient leur être offerts; de les remettre à la police ou de les rendre à leur propriétaire légitime, le gouvernement de Sa Majesté».
Les menaces de Basu ont déclenché une tempête de protestations, les rédacteurs en chef des journaux critiquant sa «déclaration sinistre, absurde et antidémocratique» selon les mots du rédacteur politique du Sunday Times, Tim Shipman.
Sur quoi Basu a publié samedi une déclaration de suivi largement décrite dans les médias comme un «rétropédalage». Ce qui n’est pas le cas.
«La police métropolitaine respecte les droits des médias et n’a pas l’intention de chercher à empêcher les éditeurs de publier des articles dans l’intérêt public dans une démocratie libérale. Les médias ont un rôle important dans le contrôle des actions de l’État», a-t-il déclaré.
Et de poursuivre «Toutefois, on nous a aussi dit que la publication de ces documents précis, sachant à présent qu’ils représentent peut-être une infraction à la Loi sur les secrets officiels, pouvaient également constituer une infraction pénale, ne comportant aucune défense fondée sur l’intérêt public».
Autrement dit, tout journaliste ou organe de presse qui publie le matériel divulgué après l’annonce de la police métropolitaine commettrait une infraction pénale. «Nous savons que ces documents et potentiellement d’autres restent en circulation», a-t-il mis en garde.
Face au désaveu venant des grands médias, Boris Johnson et Jeremy Hunt – tous deux candidats à la direction du Parti conservateur – ont jugé nécessaire de condamner les menaces de la police métropolitaine comme une «atteinte à la liberté de la presse».
Mais c’était un camouflage transparent. Selon un article du Guardian, la ‘Met’ a lancé l’enquête dans le cadre d’un «processus passerelle» suite à des discussions entre de «hauts responsables du gouvernement» et Dean Haydon, commissaire général de la police métropolitaine et «coordinateur national principal du SO15 de Scotland Yard».
La SO15 est l’unité de Commandement antiterroriste (CTC) de la police métropolitaine et la branche chargée d’enquêter sur les allégations d’infractions pénales à la Loi sur les secrets officiels.
Ce que la police métropolitaine a proposé, c’est de criminaliser de fait le journalisme, de sorte qu’on puisse le faire entrer dans les activités terroristes.
Des déclarations comme celles de l’ancien chancelier conservateur et actuel rédacteur en chef de l’Evening Standard, George Osborne, qui dépeint Basu comme un incompétent maladroit, étaient pour contrôler les dégâts. Il a qualifié sa déclaration de «très stupide et malavisée», le travail d’«un officier subalterne qui ne semble pas comprendre grand-chose à la liberté de la presse».
Mais l’intervention de l’ex-secrétaire à la Défense Sir Michael Fallon a bien montré l’importance sinistre de l’enquête de la ‘Met’. Parlant samedi à l’émission de radio de la BBC «Today», Fallon a insisté pour dire que les journalistes devaient être soumis à la Loi sur les secrets officiels. L’attaque des médias par Basu était selon lui «tout à fait logique». «S’ils [les journaux] reçoivent du matériel volé, ils devraient le rendre à son propriétaire légitime et se rendre compte des énormes dégâts occasionnés et du préjudice potentiel encore plus grand d’autres violations de l’Official Secrets Act».
A la question de savoir si les journalistes devaient se conformer à cette loi, il a répondu: «Je ne pense pas que quiconque puisse se dispenser totalement de la nécessité d’éviter des dommages à ce pays… Nous avons la liberté de la presse… mais nous avons aussi des lois. Nous avons la Loi sur les secrets officiels et il important de faire respecter la loi ».
Ben Wallace, le ministre de la Sécurité, a soutenu Fallon. «Une partie de cette loi s’applique aussi aux membres du grand public» a-t-il tweeté.
L’Official Secrets Act est en vigueur depuis 1911 et le Parlement l’a adopté sous sa forme actuelle en 1989. Selon lui, constitue un délit «la divulgation d’informations, de documents ou d’autres articles concernant» la sécurité ou le renseignement, la défense et les relations internationales. Actuellement, seuls les fonctionnaires ou ex-fonctionnaires, les sous-traitants du gouvernement ou les membres des services de sécurité et de renseignement peuvent être poursuivis pour infractions en vertu de cette loi. Les personnes reconnues coupables s’exposent à des amendes ou à une peine d’emprisonnement de deux à 14 ans.
S’exprimant vendredi, le directeur général de la Société des rédacteurs en chef, Ian Murray, a condamné l’invocation par la ‘Met’ de cette loi contre les journalistes. Il a dit: «Franchement, c’est le genre d’approche que l’on attendrait de régimes totalitaires où les médias ne devraient être qu’un bras docile du gouvernement».
Les décrets dictatoriaux de la police métropolitaine montrent comment opère le précédent Assange. La décision du gouvernement américain de poursuivre le fondateur de WikiLeaks en vertu de la loi américaine sur l’espionnage pour avoir publié des documents gouvernementaux divulgués a ouvert les vannes. Cette décision a reçu l’appui de la première ministre britannique sortante Theresa May et du ministre des Affaires étrangères Jeremy Hunt.
Adoptée en 1917, la Loi sur l’espionnage s’inspire largement de l’Offical Secrets Act de 1889 que le gouvernement britannique a mis à jour trois ans seulement avant le début de la Première Guerre mondiale.
Les menaces de la police métropolitaine font suite aux raids de la police fédérale australienne (AFP) sur le siège de l’Australian Broadcasting Corporation et le domicile de la rédactrice politique du Sunday Telegraph, Annika Smethurst. Les agents de l’AFP ont saisi des centaines de dossiers relatifs à des articles démasquant l’espionnage et les crimes de guerre commis par les troupes australiennes en Afghanistan.
La répression croissante par l’État de l’activité journalistique de base s’inscrit dans le contexte d’une escalade vers la guerre. La Grande-Bretagne agit en soutien aux plans de guerre américains contre l’Iran, organisant ces dernières semaines des provocations, à Gibraltar et dans le détroit d’Ormuz, qui servent à accroître les tensions.
L’intervention de Fallon et son exigence de soumettre les journalistes à la Loi sur les secrets officiels vise à dissimuler au public des préparatifs de guerre avancés. Selon le magazine Foreign Policy la semaine dernière, le Royaume-Uni et la France se sont mis d’accord à huis clos pour renforcer leurs forces terrestres en Syrie de 10 à 15 pour cent. Le Royaume-Uni enverra davantage de forces spéciales.
Si les dispositions dont menace l’État britannique sont adoptées, les journalistes risquent des années de prison pour avoir révélé les intrigues de ceux qui préparent de nouvelles guerres et d’autres mesures anti-démocratiques.
Dans leur appel à une campagne mondiale pour mettre fin à l’extradition d’Assange vers les États-Unis, le World Socialist Web Site et le Comité international de la Quatrième Internationale ont averti que sa persécution représentait « le fer de lance d’une attaque massive contre les droits démocratiques visant à détruire la liberté d’expression, à rendre le journalisme d’investigation illégal, à intimider et à terroriser les critiques». Une persécution visant aussi «à empêcher la révélation des crimes gouvernementaux et à réprimer l’opposition populaire de masse aux inégalités sociales et à la guerre». Tenir compte de cet avertissement signifie rejoindre cette campagne mondiale aujourd’hui.
(Article paru d’abord en anglais le 16 juillet 2019)