Le gouvernement libéral du Canada, dirigé par Justin Trudeau, a rejeté d'emblée un plan visant à désamorcer les tensions entre le Canada et la Chine en utilisant ses pouvoirs en vertu de la loi canadienne pour bloquer l'extradition aux États-Unis de Meng Wanzhou, directrice financière du géant chinois de la technologie Huawei.
Les relations entre Ottawa et Beijing se sont considérablement détériorées depuis que les autorités canadiennes, agissant à la demande de Washington, ont saisi Meng alors qu'elle changeait d'avion à Vancouver le 1er décembre dernier. Meng, fille du fondateur et principal actionnaire de Huawei, est actuellement en résidence surveillée dans l'attente de l'issue de la demande des États-Unis à ce qu’elle soit être extradée pour faire face à des accusations factices de contournement des sanctions américaines imposées à l'Iran.
La semaine dernière, le Globe and Mail a révélé que l'ancien premier ministre libéral, Jean Chrétien, plaidait dans des discussions avec des chefs d'entreprise pour qu'Ottawa cherche à réparer les ponts avec la Chine en utilisant sa prérogative juridique pour mettre fin à l'affaire Meng et la renvoyer chez elle.
La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, s’est empressée de rejeter cette idée, réitérant les fausses affirmations du gouvernement selon lesquelles la géopolitique mondiale n’a joué aucun rôle dans l’arrestation «légale» de Meng.
Au cours des semaines précédentes, Chrétien avait été largement présenté comme un possible émissaire spécial à Beijing. Premier ministre du Canada de 1993 à 2004, M. Chrétien a noué de nombreux contacts avec l’oligarchie chinoise et l'élite politique restauratrice du capitalisme en raison de son rôle de fer de lance des relations commerciales entre le Canada et la Chine à la suite du massacre de la place Tiananmen en 1989 et de ses liens familiaux avec le clan Desmarais. La famille milliardaire Desmarais figurait parmi les premiers investisseurs occidentaux en Chine.
Les partisans de l'envoi de Chrétien à Beijing avaient affirmé qu'il serait bien placé pour plaider en faveur d'un rétablissement des relations entre le Canada et la Chine. Pékin a réagi à l'arrestation de Meng et à l'ouverture d'une enquête sur les éventuelles exclusions de Huawei du réseau 5G du pays, à l'invitation de Washington également, en arrêtant l'ancien diplomate canadien Michael Kovrig et son associé Michael Spavor accusés d'atteinte à la sécurité de l'État. Beijing a également restreint les importations de canola et de porc canadiens.
S'exprimant à Washington jeudi dernier après avoir rencontré le secrétaire d'État américain Mike Pompeo, Freeland a déclaré que toute discussion sur la libération de Meng créerait un «précédent très dangereux». Elle a insisté sur le fait que le Canada ne devait pas «changer son comportement en matière d'honorer un traité d’extradition en réponse à des pressions extérieures».
«Nous pourrions facilement nous retrouver dans une situation où, en agissant dans un seul cas spécifique, nous pourrions réellement rendre tous les Canadiens et les Canadiennes du monde moins sûrs», a ajouté Freeland. «Et c'est une responsabilité que je prends très au sérieux».
L'argumentation de Freeland est absurde, étant donné que le Canada a amorcé une «pression externe» sur la Chine lorsqu'elle a décidé d'arrêter Meng au nom de Washington, sachant pertinemment que son enlèvement ne pouvait être considéré par Pékin que comme une provocation calculée.
En réalité, ce sont les politiques agressives poursuivies par le gouvernement Trudeau qui représentent le principal danger pour les citoyens canadiens, où qu'ils soient. Parmi ces politiques, on retrouve la modernisation à coup de plusieurs milliards de dollars des forces armées du Canada, et de l’approfondissement du partenariat entre le Canada et l’impérialisme américain dans le cadre de ses politiques agressives à travers le monde, y compris dans ses stratégies militaires et stratégiques irresponsables, incluant les offensives contre la Russie et la Chine et son mouvement en faveur d'un changement de régime au Venezuela.
Freeland a également réitéré l'affirmation mensongère du gouvernement selon laquelle il n'y a eu «aucune ingérence politique» dans l'affaire Meng.
En réalité, Trudeau a été informé du projet de détention de Meng à l'aéroport de Vancouver plusieurs jours à l'avance. Elle a été appréhendée le jour même où le président américain Donald Trump rencontrait le président chinois Xi Jinping en marge du sommet du G20 à Buenos Aires dans le but d'inciter Beijing à accepter les demandes commerciales des États-Unis ou à se faire imposer des droits de douane s'élevant à des centaines de milliards de dollars de biens et services.
En outre, au cours des six mois qui ont suivi l’arrestation de Meng, il est devenu de plus en plus évident que Huawei figure parmi les priorités de Washington dans le cadre d'une offensive économique, diplomatique et militaire visant à contrecarrer les ambitions de la Chine de devenir un acteur majeur dans le secteur des technologies de pointe.
La détermination de Trudeau et Freeland à soutenir les États-Unis dans leur confrontation avec la Chine est liée à la dépendance de l'impérialisme canadien à l'égard du pouvoir économique et militaire américain pour la défense de ses propres intérêts mondiaux prédateurs. Depuis 2013, les Forces armées canadiennes ont signé un pacte secret avec l'armée américaine qui permet l'échange de personnel et d'informations dans le cadre d'une opération militaire dans la région Asie-Pacifique visant à isoler la Chine et à se préparer à la guerre. Les navires de guerre et les sous-marins canadiens ont participé à des exercices provocateurs de «liberté de navigation» fomentés par les États-Unis dans la mer de Chine méridionale et aux alentours.
Le refus ferme de Freeland de tout rapprochement avec la Chine prépare le terrain pour la rencontre d’aujourd’hui entre Trudeau et Trump à la Maison-Blanche. Au cours de leurs entretiens, le premier ministre canadien devrait exhorter le président américain à faire pression publiquement sur Beijing pour qu'il libère Kovrig et Spavor. Trudeau et Freeland fournissent ainsi à Trump un prétexte supplémentaire pour intensifier sa guerre commerciale téméraire avec la Chine, qui risque de plonger l’économie mondiale dans une crise profonde et de jeter les bases d’un conflit militaire mondial.
Trudeau devrait également s’entretenir avec Trump au sujet de l’adoption rapide de l’Accord de libre-échange nord-américain renégocié, qui va même plus loin que son prédécesseur en transformant le continent nord-américain en un bloc commercial protectionniste, à partir duquel l’impérialisme américain et canadien peut rivaliser avec ses rivaux dans le monde entier pour les marchés et les bénéfices. Rebaptisé par Trump en ACEUM, le nouvel accord donne à Washington un droit de veto sur tout accord de libre-échange que le Canada ou le Mexique pourraient conclure avec la Chine.
Rien de tout cela ne signifie que les membres de l'establishment capitaliste tels que Chrétien et l'ancien président du Conseil canadien des affaires, John Manley, qui défendent le Canada contre les États-Unis dans l'affaire Meng, représentent une alternative progressiste. Leurs différences portent simplement sur la meilleure façon de promouvoir les intérêts rapaces de l'impérialisme canadien.
Leurs efforts pour éviter que ne se détériorent davantage les relations canado-chinoises sont motivées par la crainte que les grandes entreprises canadiennes dépendent trop de l'économie américaine et soient donc extrêmement vulnérables au virage de Washington vers le protectionnisme et l'unilatéralisme dits de «l’Amérique d’abord».
Lorsque le gouvernement Trudeau est arrivé au pouvoir à l'automne 2015, les cercles de la classe dirigeante se sont largement ralliés à son objectif d'élargir considérablement les liens économiques avec la Chine. Renversant la politique du gouvernement conservateur précédent, le Canada s'est joint à la Banque asiatique d'investissement en infrastructure (AIIB), dirigée par la Chine, et a annoncé des discussions exploratoires avec Beijing sur un pacte de libre-échange Canada-Chine.
Cependant, bien avant que Washington «piège» le Canada avec l’arrestation de Meng, pour reprendre les termes employés par Chrétien, cette tendance a commencé à s’effacer à la suite de l’intensification du conflit entre Washington et Beijing.
Le gouvernement Trudeau a effectivement abandonné son initiative de libre-échange il y a environ 18 mois, et les grands médias, menés par le Globe and Mail et le National Post, ont lancé une campagne de plus en plus intensive pour présenter la Chine comme une menace stratégique pour la «démocratie canadienne».
L'arrestation de Meng et les mesures de représailles prises par Beijing ont été utilisées pour modifier encore plus la politique étrangère du Canada.
Alors que sous Trudeau et Freeland, le Canada est de plus en plus profondément intégré dans l'agression et les intrigues américaines à l’échelle mondiale, d'importants segments de l'élite dirigeante poussent le Canada à se rapprocher encore plus des États-Unis dans sa campagne contre la Chine.
Le Globe and Mail a publié de nombreux éditoriaux qualifiant la Chine d’agresseur et décrivant le Canada comme une victime innocente d'intimidation de la part des Chinois. Il a également régulièrement offert sa tribune aux dirigeants politiques américains, tels que le sénateur démocrate Mark Warner et le républicain Marco Rubio, afin qu'ils puissent protester contre la menace que Huawei représenterait pour la sécurité américaine et occidentale. La semaine dernière, le Globe a vanté les résultats d’un sondage qu’il avait commandé, selon lequel une majorité de Canadiens souhaitent que Huawei soit banni du réseau 5G du pays.
À seulement quatre mois des élections fédérales, le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, adopte une position encore plus dure vis-à-vis de la Chine que celle de Trudeau. Dans un discours de politique étrangère prononcé le mois dernier, Scheer a promis de déposer une plainte contre les pratiques commerciales chinoises à l'Organisation mondiale du commerce, de restreindre l'accès des entreprises chinoises appartenant à l'État au marché canadien et de sortir le Canada de l'AIIB. Soulignant les implications incendiaires de telles mesures, Scheer a également dénoncé la Chine comme une menace pour «la sécurité et la prospérité du Canada au XXIe siècle», et a promis d'ouvrir des négociations avec Trump pour rejoindre le bouclier antimissile balistique dirigé par les États-Unis, qui vise une guerre nucléaire «gagnable».
Pour leur part, les néo-démocrates soutenus par les syndicats ont entériné la détention de Meng, affirmant qu'ils avaient confiance dans la «règle de droit» au Canada et ont manifesté leur soutien à l'interdiction de Huawei sur le réseau 5G du pays.
Tout en restant silencieux sur l'alignement de l'armée canadienne à celle de Washington contre Beijing, le NPD et ses syndicats partisans se sont fait les champions des mesures économiques nationalistes et protectionnistes visant la Chine. L'exemple le plus frappant en est le rôle joué par les dirigeants syndicaux, tels que Hassan Yussuf, président du Congrès du travail du Canada (CTC), et Jerry Dias, d'Unifor, dans le soutien au gouvernement Trudeau lors des renégociations de l'ALENA. Le CTC et la United Steelworkers se sont opposés aux tarifs de Trump sur les importations canadiennes d'acier et d'aluminium en affirmant que l'acier et l'aluminium produits au Canada étaient nécessaires pour les avions de combat et autres armes américains.
(Article paru en anglais le 19 juin 2019)