Jeudi, l’arrestation à Londres de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, était un coup monté. Les gouvernements des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Équateur se sont engagés dans une conspiration dans le but de faciliter la restitution extraordinaire aux États-Unis du leveur d’alerte. La vie et la liberté de Julian Assange sont en danger imminent. On doit mobiliser tous les partisans de la liberté d’expression afin de l’empêcher de tomber entre les mains du gouvernement américain.
Il y a plus de 40 ans, un analyste de Rand Corporation, Daniel Ellsberg, a fourni au Washington Post des preuves concernant les activités illégales du gouvernement américain pendant la guerre du Vietnam. Hier, Ellsberg a fait la déclaration suivante:
C’est une agression très grave contre le Premier Amendement. C’est une tentative claire d’abroger la liberté de la presse... C’est la première inculpation d’un journaliste et rédacteur ou éditeur, Julian Assange. Et si c’est un succès, ce ne sera pas le dernier. C’est clairement une partie de la guerre du président Trump contre la presse, ce qu’il appelle l’ennemi de l’État. Et s’il réussit à mettre Julian Assange en prison, où je pense qu’il restera toute sa vie, s’il y va, la première accusation portée contre lui ne sera probablement que de quelques années. Mais ce n’est probablement que le premier d’une longue série.
Le prétexte officiel utilisé pour extrader Assange est un mensonge transparent. Jeudi, on a rendu public un acte d’accusation scellé. Là-dedans le ministère américain de la justice n'a accusé Assange que d’avoir violé une loi fédérale contre les complots visant à obtenir les mots de passe des ordinateurs du gouvernement.
Cette infraction n'est passible que d’une peine de cinq ans de prison. Il ne relève pas non plus de la loi sur l’espionnage. Ces faits offrent à toutes les parties concernées une couverture pour remettre Assange aux Américains. En particulier, le traité d’extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni exclut le transfèrement pour «délits politiques», y compris l’espionnage. Citant le document du ministère de la Justice, le gouvernement britannique prétendra devant les tribunaux que l’extradition d’Assange ne tombe pas sous cette exclusion.
Le gouvernement équatorien prétend en outre qu’il avait le droit de révoquer l’asile d’Assange parce que l’acte d’accusation montre qu’il ne sera pas menacé de la peine de mort.
En fait, une fois qu’Assange sera entre les mains des États-Unis, il devra rapidement faire face à une série d’accusations supplémentaires, dont l’espionnage. Les efforts qui visent à minimiser la menace qui pèse sur la liberté de la presse et l’accusation portée contre Assange visent aussi à semer la complaisance dans la population. Ils visent surtout à détourner l’attention des questions fondamentales de liberté d’expression en jeu.
Le libellé même de l’acte d’accusation indique clairement que le gouvernement cible Assange pour des raisons politiques, malgré l’accusation officielle à sa conclusion. Il affirme: «Le but premier du complot était de faciliter l’acquisition et la transmission par Manning d’informations classifiées liées à la défense nationale des États-Unis. A partir de là WikiLeaks pourrait diffuser publiquement ces informations sur son site Web.»
L’acte d’accusation note que les informations publiées par WikiLeaks comprenaient «environ 90.000 rapports d’activités importantes liées à la guerre en Afghanistan. Il y avait aussi 400.000 rapports d’activités importantes liées à la guerre en Irak. Il y avait 800 dossiers d’évaluation des détenus de Guantanamo Bay. La plupart ont été classés en vertu de l’Ordre Exécutive No13526», signé par Barack Obama en 2009. L’acte d’accusation affirme que ces libérations «pourraient vraisemblablement porter gravement atteinte à la sécurité nationale.»
Ce langage reflète le texte de la loi sur l’espionnage, qui interdit la divulgation d’informations «relatives à la défense nationale». La loi sur l’espionnage érige en infraction pénale quiconque qui «communique, livre, transmet ou fait communiquer, livrer ou transmettre» de telles informations.
D’après le libellé de l’acte d’accusation, Assange et Manning pourraient faire l’objet de persécutions sur la base d'accusations criminelles en vertu de cette loi. En annonçant qu’Assange est poursuivie explicitement sur la base des activités de Manning, le gouvernement démontre que son avenir est également en danger. En fait, les deux premiers mots de l’acte d’accusation sont «Chelsea Manning.»
Ce libellé confirme également la communication «par inadvertance», l’an dernier, par les procureurs, de documents qui soutiennent qu’on devrait extradé Assange parce que des «accusations» existent — au pluriel — contre lui. Les procureurs ont convoqué un grand jury secret pour enquêter sur Assange au moins depuis 2011. Le gouvernement américain a demandé des mandats pour espionner les employés de WikiLeaks. La demande se basait sur des allégations d’«espionnage» en 2012.
Seuls les complices ou les naïfs pouvaient accepter qu’un grand jury secret ait passé plus de huit ans afin d’accuser Assange d’un seul chef de manipulation de mot de passe.
La réponse de personnalités politiques américaines de premier plan, ainsi que les déclarations précédentes, montre clairement que l’élite dirigeante est impatiente de s’emparer d’Assange. Ils veulent l’enfermer à vie, sinon d’imposer des peines plus sévères.
Charles Schumer, leader démocrate des minorités au Sénat, a tweeté: «J’espère qu’il sera bientôt tenu responsable de son ingérence dans nos élections au nom de Poutine et du gouvernement russe». Le sénateur démocrate Mark Warner a qualifié Assange de «participant direct aux efforts russes visant à affaiblir l’Occident et à saper la sécurité américaine. J’espère que les tribunaux britanniques le transfèreront rapidement aux États-Unis pour qu’il puisse enfin obtenir la justice qu’il mérite.»
Poursuivre Assange sur la base des allégations non fondées d’«ingérence» serait une accusation d’espionnage.
Comme l’a déclaré le sénateur démocrate Joe Manchin, tel un maître des cachots à qui l’on a remis sa dernière victime: «Il est notre propriété et nous pouvons obtenir les faits et la vérité de lui». Sur la base de cette déclaration, on transfère Assange aux États-Unis aux fins d’interrogatoire, ce qui relève de la catégorie des restitutions extraordinaires et non de l’extradition.
Ces dernières années, Assange a également fait l’objet de menaces de mort dans la presse et de menaces de mort proférées par le gouvernement. Rush Limbaugh, personnalité de droite à la radio, a demandé à Assange de recevoir «une balle dans le cerveau». L’ancien animateur de Fox News, Bill O’Reilly, l’a dit à Assange: «On va te pendre». L’ancien président républicain de la Chambre, Newt Gingrich, a déclaré: «Julian Assange est engagé dans le terrorisme et on devrait le traiter comme un combattant ennemi». Le vice-président démocrate Joe Biden a qualifié Assange de «terroriste high-tech». L’agent démocrate Bob Beckel a dit que «ce type est un traître» et que les États-Unis devraient «fusiller illégalement ce fils de p*t*.»
Une autre fonction de l’acte d’accusation est de fournir aux médias corrompus et menteurs une couverture pour applaudir l’arrestation d’Assange. Le New York Times et le Washington Post ont joué un rôle particulièrement criminel. Ils ont minimisé l’acte d’accusation en prétendant que l’utilisation d’une accusation moindre signifie que poursuivre Assange ne constitue pas une menace pour la liberté d’expression.
Dans une déclaration du comité de rédaction hier, le New York Times a écrit: «Le gouvernement a accusé Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, non pas de publier des informations gouvernementales classifiées, mais de les voler. C’est-à-dire: il a esquivé — pour l’instant — des questions critiques du premier amendement.»
L’unique chef d’accusation contre Assange, écrit le Times, signifie que l’arrestation «ne remet pas directement en cause la distinction entre un journaliste qui dénonce l’abus de pouvoir par la fuite de matériel — ce que font constamment les journaux traditionnels comme le Times — et un agent étranger qui cherche à compromettre la sécurité des États-Unis par le vol ou le subterfuge... L’Administration a bien commencé par inculper M. Assange pour un crime indiscutable.»
L’éditorial du Washington Post s’intitule «Julian Assange n’est pas un héros de la presse libre. Et il est attendu depuis longtemps pour sa responsabilité personnelle.»
Le Post a écrit: «Le cas de M. Assange pourrait être considéré comme une victoire pour la primauté du droit, et non comme une défaite pour les libertés civiles, ce contre quoi ses défenseurs ont mis en garde à tort.» Le Post a qualifié les inquiétudes concernant la sécurité d’Assange de «propagande pro-WikiLeaks». Le fait que l’acte d’accusation ne met pas en cause Assange pour avoir violé la loi sur l’espionnage prouve qu’il «n’avait aucune crainte légitime pour sa vie. Que ce soit aux mains des assassins de la CIA ou, par extradition, de la peine de mort américaine.»
Le Post a expliqué que «la Grande-Bretagne ne devrait pas craindre que son renvoi en justice pour ce chef d’accusation de piratage mette en danger la liberté de la presse». Selon le Post Assange est «contraire à l’éthique» et non un «vrai journaliste». Le Post affirme qu’il «a jeté du matériel dans le domaine public sans aucun effort indépendant pour vérifier sa réalité ou donner aux individus nommés la possibilité de commenter.»
Qui sont le New York Times et le Washington Post pour donner des conférences sur le «vrai journalisme»? Ces déclarations exposent le Times et le Post comme n’étant rien d’autre que des organes de propagande gouvernementale.
Le Times est synonyme de trafic d'armes de destruction massive en Irak, et le Post appartient à Jeff Bezos, le PDG milliardaire d'Amazon, qui a récemment signé un contrat de service de 600 millions de dollars avec le Pentagone.
Le complot contre Assange souligne l’effondrement de tous les groupes de l’establishment politique et des médias patronaux pour la défense des droits démocratiques. Si Ellsberg approchait aujourd’hui le Post avec des photocopies de rapports de la Rand Corporation commandés par le Pentagone sur la guerre, le Post appellerait le FBI et le ferait arrêter pour menace à la «sécurité nationale».
Le Times et le Post pourraient convaincre leurs lecteurs aisés qu’Assange a aidé la Russie. Afin de le prouver, ils disent qu’Assange a publié des preuves qui montrent qu’Hillary Clinton a reçu des centaines de milliers de dollars. Comment? Elle a dit secrètement à son public, des banquiers et des PDG, qu’elle représenterait leurs intérêts si elle était élue présidente. Entre-temps, les démocrates ont fait cause commune avec les dirigeants des agences militaires et de renseignement responsable des crimes qu’Assange a révélés. Le fait que les Démocrates soutiennent les attaques de son Administration contre Assange démontre le caractère de droite de l’opposition des démocrates à Trump.
La défense de Julian Assange, avec Chelsea Manning et Edward Snowden, est maintenant une question politique centrale à laquelle la classe ouvrière doit faire face. Les attitudes à l’égard de ces dénonciateurs se différencient en grande partie par rapport aux lignes de classe. Alors que la classe dirigeante sévit contre la liberté d’expression et la liberté de la presse, les conflits de classe s’intensifient à travers le monde.
Le Parti de l’égalité socialiste et le site Internet du «World Socialist Web Site» font appel à tous ceux qui prennent au sérieux la défense des droits démocratiques à se joindre à la lutte pour défendre Assange, Manning et Snowden. Les travailleurs et les jeunes du monde entier doivent se mobiliser immédiatement pour défendre ces prisonniers de la guerre de classe. Leur vie en dépend.
La lutte pour la liberté d’Assange est le fer de lance de la lutte politique pour la défense des droits démocratiques, contre le militarisme impérialiste et le capitalisme. Ce n’est que dans la mesure où le pouvoir de la classe ouvrière peut être mobilisé qu’une défense de ces dénonciateurs peut être montée.
Comme l’a déclaré Nick Beams, membre du Comité national du Parti de l’égalité socialiste (Australie), lors du rassemblement d’urgence de vendredi à Sydney, «l’attaque contre la démocratie est un symptôme d’une maladie profonde. Il ne peut y avoir de défense de la démocratie sans s’attaquer au problème à sa source, c’est-à-dire au système de profit du capitalisme mondial. Aujourd’hui c’est un système en crise qui a joué son rôle historique et qui doit maintenant déchirer, piétiner, souiller même les droits démocratiques qu’il représentait autrefois. Nous devons commencer dans le cadre de cette lutte la partie pour une perspective socialiste. Ce n’est qu’alors que le monde pourra être purifié de toutes les horreurs qu’il évoque».
(Article paru d’abord en anglais le 13 avril 2019)