Après sept semaines de protestations massives qui exigent la chute de la dictature militaire algérienne, l’armée a annoncé la démission du président Abdelaziz Bouteflika la semaine dernière. Maintenant, le fossé qui sépare le corps des officiers des millions de travailleurs et jeunes manifestants est au centre de la crise.
Une grande partie de la population algérienne a correctement conclu que la démission de Bouteflika n’est pas à elle seule la victoire qu’elle espérait obtenir. C’est évident que Bouteflika, qui était confiné dans un fauteuil roulant et ne pouvait plus parler depuis son accident vasculaire cérébral en 2013, n’était plus à la tête de la dictature. Aujourd’hui, on demande de plus en plus l’éviction des fonctionnaires qui doivent superviser la transition pendant l’élection d’un nouveau président, dont le Président du Conseil de la nation (comme le Sénat), Abdelkader Bensalah, et l’opposition croissante au général Ahmed Gaïd Salah, chef militaire.
Après les protestations de vendredi dernier, où les ouvriers scandaient des slogans comme «Gaïd Salah, le peuple n’est pas dupe» et «Pas de répétition du scénario égyptien», faisant référence au coup d’État militaire de 2013 qui a écrasé une vague de luttes révolutionnaires en Égypte qui avait renversé Hosni Moubarak en 2011, le Front national de libération (FLN) et l’armée préparent le renvoi d’autres hauts fonctionnaires.
Dimanche, le quotidien pro-régime, El Moudjahid, a publié un article et un éditorial qui évoquait la possibilité de destituer Bensalah. «Bensalah doit partir», ont déclaré des spécialistes du droit constitutionnel dans la radio RFI, tandis que l’éditorial du quotidien, intitulé «Rien n’est impossible», affirme qu’une transition présidentielle sans Bensalah n’est «ni déraisonnable ni impossible à faire».
La cible la plus importante dans les rangs supérieurs du régime était le général de division Athmane Tartag, directeur du renseignement national algérien. Après les rumeurs selon lesquelles Tartag aurait été démis de ses fonctions le 5 avril, le 7 avril, il a été annoncé que Gaïd Salah le remplacerait à la tête de la puissante direction de l’agence des Services de sécurité (DRS).
Ensuite, Gaïd Salah a limogé le général de division Boura Rezigue Abdelkader, qui dirigeait la Direction de la sécurité intérieure (DSI), et le général Abdelhamid Bendaoud, qui dirigeait la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Gaïd Salah concentre le pouvoir entre ses mains, réorganisant la chaîne de commandement pour que la DGSE et les DSI relèvent désormais directement de l’état-major général de l’armée.
Par la purge des services de renseignement, l’armée tente avant tout de limiter l’opposition populaire au régime. Surtout, ils doivent empêcher que les crimes commis par le régime pendant la guerre civile algérienne de 1992-2002 ne deviennent un point focal de l’opposition ouvrière à l’armée. La presse algérienne a déjà émis l’hypothèse que le licenciement de Tartag pourrait l’amener à faire face à des accusations liées à son bilan sanglant pendant la guerre civile.
La semaine dernière, des proches de prisonniers disparus pendant la guerre civile ont organisé un rassemblement devant le bureau de poste principal d’Alger, montrant des photos de leurs proches et demandant une enquête approfondie. Mondafrique a commenté: «Le Président Bouteflika a toujours refusé d’ouvrir des enquêtes sur ces "disparitions"; Cette protestation n’a certainement pas échappé à l’attention d’Ahmed Gaïd Salah, le chef de l’état-major général, qui tente de surfer sur les vagues de colère et de revendications populaires pour mener la transition.»
Les proches des disparus ont dénoncé «le monstre de Ben Aknoun». De 1990 à 2001, Tartag a dirigé les installations de Ben Aknoun, anciennement connues sous le nom du Centre principal militaire d’investigation (CPMI). C’était l’un des principaux centres où on détenait, torturait et souvent fusillait des prisonniers, soupçonnés de politique islamiste ou d’opposition. On le suspecte d’être personnellement impliqué dans le meurtre de Kasdi Merbah, vétéran du FLN, tué en 1993 alors qu’il tentait de négocier une trêve avec les forces islamistes. Le nom de Tartag est également apparu comme l’un des principaux contacts du renseignement français en Algérie.
Les travailleurs et les jeunes s’engagent dans la lutte contre le régime algérien. Maintenant, la question critique soulevée par l’histoire de la dictature militaire algérienne dans la guerre civile est la nécessité de l’organisation politique indépendante et de la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière.
On ne peut placer aucune confiance en Gaïd Salah ou le corps des officiers algériens pour mener une «transition démocratique». Ils servent un régime qui a pillé pendant des décennies les richesses pétrolières et gazières de l’Algérie. Ils ont envoyé cet argent à l’étranger sur des comptes bancaires en France et ailleurs, tandis que les travailleurs étaient laissés dans la misère et le chômage. De surcroit, le régime militaire sanguinaire les réprimait. Les généraux sont terrifiés à l’idée de savoir de quoi ils auraient à répondre si les procès pouvaient avoir lieu librement et feront tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir une dictature en Algérie.
La guerre civile algérienne de 1992 à 2002 est née de l’échec de la dernière tentative de démocratisation du régime militaire algérien, les réformes de 1988 et la transition vers la démocratie multipartite. Le régime a suspendu la victoire électorale du Front islamique du salut (FIS) en 1991, plongeant l’Algérie dans une guerre civile de dix ans qui a coûté la vie à 200.000 personnes. Les cibles présumées de l’armée étaient des groupes terroristes islamistes. Mais elle a également infiltré les organisations islamistes pour commettre des attentats et assassiner une série de travailleurs et de personnalités politiques pour réprimer l’opposition aux politiques économiques et sociales droitières du FLN.
Un rapport publié en 2005 par le Mouvement des officiers algériens libres (MOAL) et Algeria Watch, intitulé «Algérie: la machine de mort», dresse un tableau détaillé et atroce de cette répression militaire sanglante et, en particulier, des opérations que Tartag a menées à Ben Aknoun.
Il explique: «Dès le printemps 1992, Tartag a reçu l’instruction de son chef, le général Kamel Abderrahmane, de ne plus remettre les "intégristes irrécupérables" à la justice; ce qui signifiait clairement carte blanche pour tuer. Mais avant, ils passaient systématiquement par la torture. Il s’ensuivit des expéditions punitives qui firent entre 1993 et 1994 entre dix et quarante victimes par jour. De véritables escadrons de la mort ont été formés dans ce centre, chargés de poursuivre les islamistes, de les liquider et de terroriser la population.»
Une autre partie importante des opérations de Tartag, selon ce rapport, a été de tuer des officiers supérieurs soupçonnés d’opposition au FLN et à l’armée. Il décrit comment Tartag et son assistant, le «Lieutenant Mohammed», ont torturé le commandant de la marine Mohammed Abbassa. Plus précisément ils l’ont électrocuté, battu, poignardé et brûlé. Enfin, il rapporte: «Au soir de la deuxième journée, ce fut un corps méconnaissable, enflé et brûlé, même aux yeux, qui rendit l’âme en murmurant des mots à peine audibles. La dépouille n’eut même pas droit à un enterrement correct.»
Les tentatives de présenter la dictature militaire algérienne comme une démocratie en attente d'épanouissement, par l'intervention de Gaïd Salah ou par celle de l'Union générale du travail algérien (UGTA) contrôlée par l'État du FLN, sont des fraudes politiques réactionnaires.
La seule façon d’établir un régime démocratique en Algérie passe par une lutte menée par la classe ouvrière pour prendre le pouvoir. Dans cette lutte on doit exproprier les richesses mal acquises du régime dans le cadre d’une vaste lutte internationale de la classe ouvrière contre le capitalisme et pour la construction du socialisme.
(Article paru d’abord en anglais le 9 avril 2019)