L’horrible massacre au village du Mali central d’Ogossagou expose les réalités brutales de la guerre au Mali lancée par Paris en 2013. Sous l’occupation militaire française et allemande, ce pays, l’un des plus pauvres du monde, est déchiré par une vague croissante de massacres ethniques.
Juste avant l’aube du 23 mars, une bande d’une centaine de combattants armés vêtus d’habits de chasseur d’ethnie dogon appelés dozos arrive à Ogossagou, un village d’ethnie peul (ou fulani) dans la région de Bankass, près de la frontière avec le Burkina Faso. Ils ont blessé par balles ou tué tous ceux qu’ils ont pu trouver, des personnes âgées jusqu’aux plus petits enfants. Ils ont tué environ 160 personnes et ont blessé 55.
Dix-huit personnes se sont réfugiées dans la maison du marabout (guérisseur) du village, Bara Sékou Issa, connu dans toute l’Afrique de l’Ouest, en espérant que les hommes armés n’attaqueraient pas la maison du marabout. Sékou Issa avait déjà accueilli un certain nombre de réfugiés des villages avoisinants dans sa maison, leur offrant le gîte et le couvert. Cependant, les assaillants ont mis le feu à la maison de Sékou Issa et ont abattu par balles quiconque fuyait la maison pour échapper aux flammes. Tous les étudiants religieux de Sékou Issa auraient péri dans les flammes à l’intérieur de sa maison.
Les agresseurs ont tranché la gorge du chef du village, Amadou Barry, devant sa mère, âgée de 90 ans, et ont ensuite exécuté cette dernière également.
Le village a été dévasté, des maisons et des bâtiments ont été incendiés et même du bétail et des animaux domestiques ont été tués. Ismaïla Cissé, l’un des rares officiers peuls de l’armée malienne, a déclaré à la presse: «On veut nous faire disparaître de cette terre. Sinon, comment expliquer que l’on tue des enfants, des vieillards, et même leur bétail?»
Alors que se répandaient les informations qui faisaient état de ce massacre horrible, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta s’est rendu à Ogossagou le 25 mars dernier. «Justice sera faite», s’est engagé Keïta. Il a également limogé le chef d’état-major des forces armées, le général M’Bemba Moussa Keïta, ainsi que les chefs d’état-major de l’armée, des forces aériennes et du renseignement militaire.
Le limogeage par Keïta du plus haut commandement militaire est en fait un aveu que l’armée malienne, entraînée par des soldats français et allemands, porte une part importante de responsabilité dans ce massacre. On a informé les soldats d’une base militaire voisine, située à seulement 13 kilomètres de là, que les meurtres se poursuivaient vers 6 heures du matin. Les soldats ne sont arrivés sur les lieux qu’à 9 heures du matin, heure à laquelle les attaquants étaient partis.
De sérieux soupçons de complicité officielle avec les forces qui ont perpétré le massacre — de la part du gouvernement malien et donc de ses seigneurs impérialistes néocoloniaux — demeurent. Parmi les blessés d’Ogossagou, les autorités ont appréhendé plusieurs individus qu’elles accusaient d’être parmi les agresseurs. Néanmoins, ils refusent de divulguer leur identité.
Le procureur de Mopti Maouloud Ag Najim a déclaré à Jeune Afrique: «Nous avons entendu la plupart des 45 blessés, ainsi que leurs parents, qui sont actuellement soignés à l’hôpital de Sévaré et à celui de Bankass. L’équipe de la gendarmerie déployée dans le village d’Ogossagou a également mené des auditions auprès des rescapés... Parmi les blessés, cinq personnes ont été identifiées par les rescapés comme étant des assaillants présumés. Nous les soupçonnons d’être des membres du groupe qui a attaqué le village d’Ogossagou le 23 mars.»
Après le massacre, le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga a annoncé la dissolution de la milice Dan Na Amassagou. Il s’agit d’une milice d’ethnie dogon créée en 2016, après que le gouvernement soutenu par la France ait commencé à encourager la formation de milices locales d’autodéfense. Cela s’est passé au milieu des combats entre les troupes françaises, les troupes gouvernementales maliennes et diverses milices islamistes au nord et au centre du Mali.
Le gouvernement malien refuse toutefois de confirmer ou de nier si les cinq agresseurs suspectés qu’ils ont arrêtés appartiennent à Dan Na Amassagou, une milice loyale au gouvernement central de Bamako et qui bat pavillon malien.
En novembre 2018, un rapport de la Fédération internationale des droits de l’homme et de l’Association malienne pour les droits de l’homme affirmait que les chasseurs donzos qui composent la milice avaient le soutien tacite de l’État. Le rapport a dit: «De nombreux témoignages et individus bien informés font état d’un soutien logistique et financier apporté aux donzos par le gouvernement malien ou tout au moins par certains de ses membres... De nombreux témoins disent avoir vu des donzos mener des opérations militaires aux côtés des FAMA (Forces de défense et de sécurité du Mali)».
Youssouf Toloba, le chef de Dan na Amassagou, pour sa part, a publié une déclaration qui nie que sa milice ait participé au massacre et s’engageant à défier l’ordre de dissolution de l’État. Il a dit: «J’informe l’opinion nationale et internationale que si ceux qui sont dans la forêt [les groupes terroristes] déposent les armes, Dan Na Amassagou déposera aussi. Tant que cela n’est pas fait, on ne déposera pas les armes.»
Au cours de la semaine, six dogons étaient assassinés lors de deux attaques contre les villages de Ouadou et Kere Kere Kere. Des sources de l’ONU ont écrit que dans la nuit du lundi au mardi à Ouadou, «plusieurs maisons ont été brûlées et du bétail volé. Un premier bilan fait état de quatre morts, dont une jeune femme. Les habitants se réfugièrent dans les villages voisins». Mardi, ajoutent-ils, «dans le village dogon de Kere Kere Kere, dans la région de Bankass, au moins deux femmes ont été tuées et une autre blessée.»
Au Mali, des divisions ethniques de longue date s'enflamment et dégénèrent en d'horribles violences sous l'effet d'années de guerre impérialiste et d'occupation militaire. La guerre menée par les Français au Mali a commencé en 2013, après que les milices mercenaires ont fui la guerre de l'OTAN qui a dévasté la Libye, tentant de rentrer chez elles au Mali. Alors que l'un des pays les plus pauvres du monde consacrait des ressources à une guerre menée par la France contre les milices d’ethnies touaregs et des islamistes, les conditions sociales au Mali se sont dégradées.
Les cheminots, les enseignants et les employés de la fonction publique ont à maintes reprises fait grève pour réclamer des impayés de salaires et exiger de meilleures conditions de travail.
La France a déployé 2700 hommes au Mali et l’Allemagne 1100 - ce qui en fait le plus important déploiement outre-mer de l’armée allemande - pour soutenir le régime malien à Bamako. Présentée comme faisant partie d’une «guerre contre le terrorisme», l’occupation a attisé les flammes du conflit ethnique. La célébrité du prédicateur islamiste peul, Amadou Koufa, conduit à des accusations amères attaquant l’ensemble de l’ethnie peul comme terroriste. La violence ethnique entre les forces ethniques, peul, dogon et bambara, a causé la mort de 500 personnes en 2018, selon l’ONU.
(Article paru d’abord en anglais le 30 mars 2019)