Au cours des deux dernières semaines, Madrid a lancé un coup monté contre des politiciens et des dirigeants nationalistes catalans dans le cadre d’un procès public. Leurs poursuites pour rébellion, sédition et détournement de fonds publics pour l’organisation du référendum de 2017 sur l’indépendance sont sans fondement et réactionnaires.
Parmi les accusés figurent d’anciens ministres régionaux catalans, l’ancien président du parlement catalan et les dirigeants de deux groupes indépendantistes, l’Assemblée nationale catalane (ANC) et Òmnium Cultural. Neuf d’entre eux sont en détention préventive depuis plus de 500 jours et risquent jusqu’à 25 ans de prison pour avoir organisé un référendum pacifique sur l’indépendance catalane vis-à-vis de l’Espagne. L’accusation la plus grave à laquelle ils doivent faire face est la rébellion, c’est-à-dire la tentative «violente et publique» d'«abroger, suspendre ou modifier la Constitution, totalement ou partiellement.»
Le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) s’est opposé au référendum catalan, appelant à voter «non» sur une proposition qui aurait divisé les travailleurs de la péninsule ibérique en formant un État catalan orienté vers l’Union européenne réactionnaire (UE). Mais les accusations de Madrid sont des mensonges. Les séparatistes catalans ont cherché à obtenir leur indépendance par le biais d’un référendum pacifique et de négociations avec Madrid, qui a brutalement réprimé les électeurs indépendantistes.
Aujourd’hui, les médias et l’establishment politique espagnol sont en train de déclencher une frénésie nationaliste autour de récits déformés de divers événements. L’un d’eux est la manifestatiion du 20 septembre, 2017 à Barcelone, 10 jours avant le référendum et la répression policière qui a fait plus de 1000 blessés.
Le 20 septembre, les Gardes civils paramilitaires ont arrêté de hauts responsables catalans et fouillé les bureaux de l’État à la recherche de preuves que le référendum avait été organisé illégalement. L’ANC et Òmnium ont organisé des rassemblements à l’extérieur des bureaux. Plus tard dans la nuit, alors que les tensions augmentaient, Jordi Sánchez, dirigeant de l’ANC, et Jordi Cuixart, président d’Òmnium, ont tenté de disperser la foule. Deux véhicules de la garde civile ont été vandalisés, mais personne n’a été blessé.
Jeudi dernier, Cuixart a témoigné sur ces événements. Interrogé par le ministère public et le procureur de l’État – nommé par le gouvernement du Parti socialiste (PSOE) – il a rejeté les allégations selon lesquelles des affrontements mineurs constitueraient «une agression continue» contre les fouilles menées par les Gardes civils et une équipe judiciaire.
Cuixart a déclaré que c’était une protestation légale. Il a également déclaré s’être entretenu avec les Gardes civils chargés de l’opération, comme le montre la vidéo, ainsi qu’avec Joaquim Forn (également accusé de rébellion), responsable de la sécurité intérieure catalane, et le chef de la police régionale, les Mossos d’Esquadra.
Malgré leurs recherches dans les courriels et les tweets de Cuixart, les procureurs n’ont pas réussi à démontrer qu’il était à l’origine de la violence.
M. Sánchez a indiqué que les autorités avaient demandé de l’aide pour ouvrir un corridor par lequel l’équipe judiciaire pourrait passer, ce qui a été fait: «Que c’était une question d’ordre public et que ce n’était pas ma responsabilité.» Il a dit qu’à aucun moment il n’avait encouragé «une révolte émeute des gens ordinaires.»
Les accusations selon lesquelles des fonctionnaires catalans se seraient rendus coupables de «mauvaise utilisation des fonds publics» sont également sans fondement. L’ancien ministre espagnol des Finances Cristobal Montoro, qui a imposé un régime draconien d’audit au gouvernement catalan avant le référendum pour empêcher que les fonds publics ne soient utilisés pour l’organiser, a déclaré que «le gouvernement catalan […] n’avait aucune possibilité d’organiser le référendum avec les fonds publics». En cela, Montoro ne faisait que répéter ses déclarations publiques devant le parlement espagnol.
Essayant de maintenir la crédibilité du procès sans se parjurer, Montoro a ajouté une vague déclaration selon laquelle «nous ne pouvons exclure qu’il y ait eu des actions frauduleuses pour organiser le référendum.»
La bourgeoisie espagnole se sert de ce procès pour légitimer sa répression sanglante du référendum et s’acheminer vers une dictature fasciste en réhabilitant le régime fasciste du XXᵉ siècle de Francisco Franco. C’est ce dont atteste l’attitude extraordinaire de la Cour à l’égard du nouveau parti à tendance franquiste VOX.
Les responsables de VOX ont publiquement salué le rôle de l’armée de Franco dans la guerre civile de 1936-1939, qui a commencé quand il a lancé un coup d’État contre un gouvernement élu et s’est terminé par une victoire fasciste et le massacre en masse de centaines de milliers de travailleurs et jeunes de gauche.
VOX a également été autorisée à se constituer partie civile dans le procès catalan. Lorsque le parti a exigé le témoignage des membres du parti Candidatures de l’Unité Populaire (CUP), Antonio Baños et Eulàlia Reguant, ils ont refusé. Baños a dit: «Je ne répondrai pas pour cause de la dignité démocratique et d’antifascisme.»
Fait remarquable, tous deux ont été condamnés à une amende de 2500 euros pour avoir pris cette position.
La semaine dernière, les trois hauts responsables du gouvernement de droite du Parti populaire (PP) qui était au pouvoir pendant la crise référendaire ont tous défendu la répression contre les électeurs. L’ancien Premier ministre Mariano Rajoy, la vice-première ministre Soraya Sáenz de Santamaría et le ministre de l’Intérieur Juan Ignacio Zoido ont tous témoigné. Ils accusent les nationalistes catalans de violence systématique à l’automne 2017 et d’utiliser les civils comme «boucliers humains» pour tenir la police éloignée des bureaux de vote.
Ils ont également tous nié qu’ils étaient responsables de la répression policière.
VOX a profité de l’occasion pour attaquer Rajoy pour ne pas avoir utilisé le référendum pour imposer la loi martiale. Son secrétaire général, Javier Ortega Smith, a demandé à Rajoy pourquoi il n’avait pas utilisé l’article 116 de la Constitution – l’état d’alerte, d’exception et de siège, impliquant l’utilisation de l’armée – mais avait simplement suspendu l’autonomie catalane, en utilisant l’article 155 de la Constitution.
Rajoy, l’architecte en chef d’une batterie de lois de l’État policier pendant ses sept années de règne, a répondu cyniquement qu’il ne voulait pas «interférer avec les libertés individuelles du peuple».
Le procès a également révélé la faillite et l’impuissance des nationalistes catalans. Leur plan tout au long de la crise n’a jamais été plus loin que la conclusion d’un accord avec Madrid impliquant l’octroi de pouvoirs régionaux catalans accrus. Mais Madrid ne leur a pas offert un tel accord, profitant plutôt de leur fanfaronnade sécessionniste pour les écraser et déplacer la politique officielle loin vers la droite.
Le Premier ministre régional basque Íñigo Urkullu, qui pendant la crise a servi d’intermédiaire entre Rajoy et le premier ministre régional catalan Carles Puigdemont, a déclaré à la Cour suprême que «Puigdemont n’avait pas l’intention de déclarer l’indépendance». Puigdemont a implicitement menacé de le faire lorsque Rajoy a refusé de garantir qu’il n’imposerait pas l’article 155 si de nouvelles élections étaient organisées.
L’ancienne présidente du Parlement, Carme Forcadell, a déclaré que la déclaration d’indépendance du 27 octobre par l’ancien premier ministre régional, Carles Puigdemont, qu’il a immédiatement suspendue, était purement symbolique. Elle a dit qu’ils espéraient le soutien de l’UE, qui a soutenu la répression de Rajoy: «Notre mouvement a toujours été pro-européen et nous croyons que l’autodétermination est notre droit. L’UE devrait nous soutenir, non pas pour l’indépendance, mais pour l’exercice de nos droits.»
L’ancien ministre régional catalan des affaires Santi Vila a déclaré que «ce n’était pas un référendum», mais «c’était une mobilisation politique majeure».
Ces événements constituent un avertissement urgent sur l’état de la démocratie espagnole et européenne. Le fait qu’un procès de politique-spectacle aussi flagrant puisse se dérouler sans provoquer l’organisation de manifestations de masse et la condamnation universelle est une mise en accusation du système politique. C’est une nouvelle exposition de l’impuissance du parti de pseudo-gauche espagnol Podemos: bien qu’il ait remporté 5 millions de voix aux élections de 2016, il n’a organisé aucune opposition significative.
La seule force capable de défendre les droits démocratiques est la classe ouvrière, mobilisée indépendamment de et contre toute la classe dirigeante.
L’auteur recommande également :
The show trial of the Catalan nationalists and the far-right danger in Spain
[14 février 2019]
(Article paru en anglais le 4 mars 2019)