Une grande partie de la Belgique a été paralysée mercredi, alors que des dizaines de milliers de travailleurs se sont joints à une grève nationale de 24 heures pour réclamer des augmentations de salaire et s'opposer aux attaques du gouvernement contre les retraites et autres droits sociaux, ainsi qu'aux inégalités sociales croissantes.
La grève était caractérisée par une contradiction flagrante. D'une part, elle a démontré l'immense puissance sociale de la classe ouvrière, sur fond d'une colère bouillonnante après une décennie d'austérité sociale accrue imposée par le gouvernement de droite du premier ministre Charles Michel et celui de son prédécesseur, Elio di Rupo (2011-2014), du Parti socialiste.
D'autre part, la grève a été appelée par les trois principales fédérations syndicales, non pas pour mobiliser la force des travailleurs dans la lutte contre le gouvernement, mais pour relâcher la pression et garder le contrôle sur l'opposition croissante de la classe ouvrière. Les syndicats ont l'intention de continuer à négocier rapidement l'austérité avec le gouvernement et les employeurs.
Le quotidien économique Le Soir a fait allusion à ce fait. Il a noté mercredi que les syndicats étaient «d'autant plus déterminés» à déclencher la grève, ayant été «pris de court par le mouvement des gilets jaunes qui s’en prend à eux, tout autant que l'establishment politique».
Les syndicats craignent le mouvement croissant de la classe ouvrière à l'échelle internationale et la colère grandissante des travailleurs contre les syndicats. À Berlin, 70.000 enseignants, travailleurs sociaux et autres employés du secteur public ont participé mercredi à une grève dans toute la ville, dont environ 20.000 ont participé à un rassemblement. Les syndicats ont été contraints d'organiser cette «grève d'avertissement» en réponse à la combativité des travailleurs. D'autres grèves d'enseignants sont en cours à l'échelle internationale, notamment en Afrique et aux États-Unis.
En Belgique, la grève de mercredi a touché les secteurs public et privé et a touché à la fois la région francophone du sud du pays et la région flamande du nord. Les travailleurs des principaux ports d'Anvers et de Gand ont participé à la grève, bloquant les cargaisons et bloquant le commerce international. Les travailleurs ont également monté des piquets de grève à Gand, tandis que les syndicats ont rapporté que des «centaines» d'installations de la région avaient été fermées.
Tous les vols à destination et en partance du pays ont été interrompus tout au long de la journée, après que l'autorité nationale du trafic aérien, Skeyes, a annoncé mardi soir qu’«il n'y a aucune certitude quant au nombre d'employés qui pourront occuper un nombre limité de postes essentiels». Les aéroports de Bruxelles et de Charleroi ont été fermés, tandis que TUI Fly a été dévié vers d'autres aéroports internationaux, dont Lille, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. D'autres compagnies aériennes internationales, dont Ryanair, ont dû annuler tous leurs vols.
Entre 80 et 100 % des autobus et des tramways ont été annulés, selon les régions du pays, tandis que les trains métropolitains ont été maintenus à seulement la moitié du nombre total de lignes régulières, ce qui correspond à un minimum légal. Les hôpitaux ont maintenu un niveau minimum d'opérations d'urgence ou ont vu des patients au cas par cas, des grèves ayant éclaté parmi le personnel administratif dans les hôpitaux et chez les pompiers.
Dans le secteur privé, la grève a touché plus de 600 entreprises des industries métallurgiques et textiles, selon une déclaration de William Van Erdegehem, président du syndicat chrétien national, publiée par la Belga News Agency. Les travailleurs ont également participé à des piquets de grève qui bloquaient les entrées des zones industrielles.
Le quotidien français Voix du Nord a fait état de piquets de grève à l'extérieur de l'usine de Comines du fabricant de machines industrielles Ceratec en France proche de la frontière belge. En Belgique, une minorité de supermarchés ont fermé leurs portes dans tout le pays: Carrefour a signalé la fermeture de 44 magasins sur 800 et Delhaize de 68 sur 650.
Les déclarations des syndicats ont clairement indiqué qu'après la grève de mercredi, ils vont procéder à des négociations de réductions avec le gouvernement et les employeurs – comme ils l'ont fait après les grèves d'une journée en 2011 et 2014.
La grève a été appelée en janvier, après l'échec des négociations entre les employeurs et les syndicats sur la limite à imposer aux augmentations salariales annuelles cette année. Dans un système réactionnaire et nationaliste soutenu à la fois par les syndicats et les entreprises, les augmentations salariales en Belgique sont limitées chaque année selon un calcul basé sur les augmentations salariales en France, en Allemagne et dans d'autres pays, au nom du maintien de la «compétitivité» belge.
En d'autres termes, les travailleurs belges doivent rivaliser dans une course vers le bas avec leurs frères et sœurs de classe dans d'autres pays, afin de satisfaire les demandes incessantes des entreprises pour augmenter leurs profits.
Cet «accord interprofessionnel» est une composante de ce qu'on appelle le «dialogue social», impliquant l'alliance corporatiste des syndicats, du gouvernement fédéral et des employeurs contre la classe ouvrière.
Robert Verteneuil, président de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), a déclaré mercredi à Le Soir: «La grève n'est pas contre l'accord interprofessionnel, mais pour un accord interprofessionnel qui respecte les travailleurs». Il a exigé que le ministre de l'Emploi Kristiaan Peeters «fasse son travail» et «maintienne la concertation sociale».
Même les revendications officielles des dirigeants syndicaux maintiendraient les salaires au niveau de pauvreté pour des milliers de travailleurs. Alors que les associations d'employeurs exigent que les augmentations salariales soient maintenues à 0,8 % – ce qui, selon les syndicats eux-mêmes, équivaudrait à une augmentation de salaire de €9 par mois pour un employé du secteur de l'accueil – les syndicats exigent 1,4 %. Selon le même calcul, ce montant s'élève à €15 supplémentaires.
Et ce, alors que les conditions sociales, en Belgique comme dans l'ensemble de l'Union européenne, sont explosives. Alors qu'elle est présentée internationalement dans les médias comme un pays de prospérité relative, prétendument emblématique des avantages sociaux de l'Union européenne, les inégalités sociales augmentent rapidement alors que les conditions de vie de larges masses de travailleurs continuent à se détériorer.
Un rapport publié en octobre dernier par l'agence statistique européenne Eurostat a révélé que 20% de la population, soit 2,3 millions de personnes, est menacée de pauvreté ou d'exclusion sociale. Plus d'un Belge sur huit vivait dans un ménage avec un niveau d'emploi très bas, un taux supérieur à la moyenne européenne de 9,3%.
Dans la capitale, Bruxelles, plus d'un tiers de la population vit avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté officiel, qui est fixé à seulement 260 euros par semaine pour une personne seule, ou 546 euros par mois pour une famille de quatre. Une personne sur cinq à Bruxelles a bénéficié de l'aide sociale. Dans la Wallonie au sud du pays, une personne sur quatre est au seuil de la pauvreté; plus de 20 % vivent en dessous du seuil de pauvreté. Pour les ménages monoparentaux, le taux de pauvreté est de 46,7 %.
Après les compressions d'austérité du PS sous di Rupo, le gouvernement Michel, arrivé au pouvoir en 2014, a lancé une offensive brutale d'austérité, y compris des réductions de 20 % des budgets culturels et scientifiques, des privatisations et des réductions des pensions. Les lois du travail 2016-2017 du gouvernement ont mis fin à la semaine de travail de 38 heures et lié plus directement les niveaux des retraites au nombre d'années travaillées, ouvrant ainsi la voie au relèvement de l'âge de la retraite.
En revanche, le budget militaire de Michel pour 2018 comprend cinq fois plus d'allocations militaires non budgétisées, avec 9,2 milliards d'euros de dépenses en équipements militaires entre 2020 et 2030.
Pour les travailleurs qui cherchent à faire avancer une lutte, la question cruciale reste de retirer la lutte des mains des syndicats pro-entreprises. Les travailleurs ont besoin de leurs propres organisations indépendantes, de comités de base dans tous les lieux de travail, contrôlés démocratiquement par et pour les travailleurs eux-mêmes. De tels comités permettraient aux travailleurs d'unifier leur lutte avec leurs frères et sœurs de classe à travers l'Europe.
(Article paru en anglais le 14 février 2019)