A moins de deux mois de la sortie prévue de la Grande-Bretagne de l'Union européenne (UE), la première ministre Theresa May a convaincu la plupart de ses irréductibles députés conservateurs pro-Brexit et ceux du Parti unioniste démocrate (DUP) de soutenir ses efforts pour renégocier le « backstop » irlandais avec l’UE (‘filet de sécurité’ pour éviter une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande).
Cela et la division du Parti travailliste sur la question de savoir s’il fallait remettre le Brexit à plus tard ou rechercher un deuxième référendum, ou les deux, a permis au gouvernement conservateur d’imposer sa volonté, même si cela pourrait se révéler une victoire à la Pyrrhus et de très courte durée.
May a subi un premier rejet multipartite de l'accord négocié avec l'UE, par une majorité record de 230 le 15 janvier ; les conservateurs irréductibles pro Brexit et les 10 députés du DUP avaient voté avec l'opposition car ils étaient en désaccord avec les propositions visant à maintenir l'Irlande du Nord dans un union douanière de fait avec l'UE afin d'empêcher le retour d'une frontière physique avec la République d'Irlande.
Theresa May a réagi en promettant de demander de nouvelles concessions et des garanties de la part de l'UE et en programmant le vote d'avant-hier sur tout accord modifié. Mais elle n’a pu obtenir aucun changement substantiel, laissant les députés soutenir une courte motion technique qui tenait compte de la déclaration de la semaine dernière. L'attention s'est donc portée sur sept amendements à la motion, choisis par le président de la Chambre John Bercow, pour les soumettre au vote.
L'amendement officiel du Parti travailliste signalant sa politique de Brexit – celle d’éviter une sortie sans accord et maintenir une forme d'union douanière avec l'UE –était vouée à l'échec, car aucun conservateur n’avait l’intention de le soutenir.
Le vote le plus important pour le Parti travailliste fut donc celui proposé par la députée travailliste blairiste, Yvette Cooper, qui a demandé une extension obligatoire de l'article 50 si May ne parvenait pas à obtenir un accord avant la fin février. L'article 50 est la législation autorisant le retrait du Royaume-Uni de l'UE après deux ans de pourparlers. L'amendement spécifiait initialement une durée jusqu'en décembre 2019, mais le Parti travailliste a demandéà ses députés de voter pour une prolongation plus courte, de trois mois. Cependant, quatorze députés travaillistes issus de circonscriptions pro-Brexit et deux anciens députés travaillistes désormais indépendants ont voté avec le gouvernement, assurant à May une majorité de 23 voix.
Cela signifiait qu'un amendement potentiellement plus dommageable, de l'ancien procureur général Dominic Grieve, permettant au Parlement de prendre le contrôle du processus du Brexit des mains du gouvernement, a été rejetéà une majorité plus réduite.
L'amendement de Cooper ayant échoué, le Parti travailliste et d'autres partis d'opposition ont soutenu avec succès, par une majorité de huit voix, un amendement de la députée conservatrice Caroline Spelman. Selon celui-ci, le Royaume-Uni ne quitterait pas l'UE sans accord. Cependant, contrairement à l’amendement de Cooper, il s'agit d'un conseil et n'est pas contraignant.
L’amendement le plus important pour le gouvernement a été proposé par Graham Brady, chef de file des conservateurs. Il a été soutenu par le gouvernement, qui demandait que le « backstop » d'Irlande du Nord soit retiré de l'accord de sortie de l'UE et qu'il soit remplacé par des « arrangements alternatifs » afin d'éviter une frontière physique pendant la période de transition entre le Brexit et un accord commercial entre le Royaume-Uni et l'UE.
Ce compromis a été adopté par May comme un moyen efficace d’obtenir l’appui des irréductibles conservateurs pro Brexit, et du DUP. Le cabinet s’est alors réuni pour discuter d'un scénario de «Plan C» appelé«compromis Malthouse» d'après le ministre du Logement, Kit Malthouse. Selon le conservateur pro-européen Nicky Morgan, ce plan « prévoit la sortie de l'UE à la date prévue avec un nouveau ‘backstop’ qui serait acceptable sans date contraignante, mais qui nous inciterait tous àétablir de nouvelles relations futures. Cela garantit qu'il n'y a pas besoin de frontière physique avec la République d'Irlande. »
Au cours du débat, May a qualifié le compromis de Malthouse de « proposition sérieuse » qu'elle considérait « de manière sincère et positive ». Dans une nouvelle tentative de convaincre les irréductibles conservateurs, elle a déclaré, après avoir maintenu pendant des semaines que son accord conclu avec l'UE était le seul sur la table, qu'elle exigerait de l'UE, au sujet du « backstop », un «changement important et juridiquement contraignant à l'accord de sortie ». Elle a du admettre que de telles négociations «impliqueraient la réouverture de l'accord de sortie – une initiative pour laquelle, je le sais, nos partenaires européens seront peu enthousiastes».
L'amendement Brady a été adopté par 317 voix contre 301, soit une majorité de 16, ce qui signifie l'acceptation de l'accord de May conclu avec l’UE, sans le « backstop ».
Cependant, bien qu'elle ait apaisé ses opposants irréductibles pro-Brexit, l'adoption de l'amendement Spelman confirme une fois de plus qu'il existe au Parlement une majorité contre tout Brexit « sans accord ». C’est pourtant ce qui risque de se passer alors que May compte sur l’UE pour lui faire des concessions de dernière minute. Elle escompte qu’en votant jusqu’au bout sur le Brexit, cela forcera les députés à soutenir son accord renégocié. Les députés pro-UE seraient menacés d'un Brexit sans accord, et les députés pro-Brexit d'un possible retard ou même d'un renversement de la sortie de l’UE. May a promis un vote aux députés le 14 février, mais a déclaré qu'il pourrait même être requis aussi tard que le 14 mars – deux semaines à peine avant le jour J de la sortie – si aucun accord avec l’UE n’avait été conclu.
Mais c’est hautement probable que tout cela n’aboutisse pas. Bruxelles continue de rejeter toute idée que l'accord conclu doive être renégocié. La négociatrice en chef adjointe de l'UE, Sabine Weyand, a déclaré lundi: « Il n'y a pas de négociation entre le Royaume-Uni et l'UE. C'est terminé. » Le négociateur en chef de l'UE pour le Brexit, Guy Verhofstadt, a déclaréà l’Indépendant, pro UE, que le Parlement européen n'accepterait pas un accord « dilué » et que le « backstop » irlandais ne serait pas abandonné.
S'exprimant à Chypre à l'issue du débat au Parlement, le président français Emmanuel Macron a souligné que l'accord était « le meilleur accord possible » et qu’il n'était pas renégociable. Il a averti qu'un Brexit sans accord était quelque chose que personne ne voulait, mais que « nous devrions tous nous y préparer ».
Après une hausse de 3 pour cent en prévision du succès des amendements «sans accord», la Livre sterling a perdu 0,75 pour cent contre l'euro et 0,72 pour cent contre le dollar hier. La baisse la plus forte est survenue après l’échec de l'amendement de Cooper.
Les divisions du Parti travailliste sur le Brexit apparaissent de plus en plus – une des raisons pour lesquelles le dirigeant travailliste Jeremy Corbyn a refusé de simplement soutenir les demandes des partisans de Tony Blair de s’engager pour un deuxième référendum. Cependant, comme il l'a fait tout au long de la crise du Brexit, le Parti travailliste continue de défendre « l'intérêt national » des secteurs dominants du patronat qui dépendent d'un accès au marché unique de l'UE et à l'union douanière.
Sir Keir Starmer, ‘ministre fantôme’ du Brexit, a clôturé le débat parlementaire pour les travaillistes en déclarant: «C’est l’une des plus grandes crises nationales que notre pays ait connues depuis une génération», ajoutant que la prolongation de l’Article 50 était inévitable pour éviter un Brexit sans accord et que les députés devaient faire en sorte que cela ne se produise pas.
Après le vote, May a déclaré: «Ce soir, une majorité de… députés ont déclaré qu'ils seraient favorables à un accord prévoyant des modifications au « backstop ». En associant cela aux mesures visant à répondre aux préoccupations sur le rôle du Parlement dans la négociation de la future relation avec l’UE et aux engagements en matière de droits des ouvriers…, il est maintenant clair qu'il existe une voie pour obtenir une majorité substantielle et durable au sein de ce Parlement pour quitter l'UE avec un accord ».
La première ministre a insisté sur le fait que c’était le seul moyen d’empêcher le «non-accord» avant de réitérer sa proposition de rencontrer Corbyn. Le dirigeant travailliste a répondu en affirmant que le vote montrait qu'il n'y avait « pas d'appétit » pour un « non- accord », que May avait refusé d'écarter. Mais il s'est ensuite ravisé une fois de plus, déclarant qu'il était maintenant prêt à la rencontrer pour discuter de la voie à suivre.
(Article paru en anglais le 30 janvier 2019)