Après la large mobilisation pour la 8e manifestation des «gilets jaunes» samedi, le premier ministre français Edouard Philippe est passé hier soir au journal de 20h sur TF1 pour annoncer l’imposition d’une loi extraordinaire pour réprimer les manifestations. Reprenant des mesures d’abord proposées par les néo-fascistes, il a proposé le fichage en masse des Français ainsi des sanctions financières extraordinaires contre les manifestants.
Philippe a avoué que la mobilisation des «gilets jaunes» exprime une colère sociale qui est partagée par de larges couches de travailleurs en France, et en fait à travers l’Europe. «Dans l’expression des “gilets jaunes”, au début, il y avait des demandes relatives au pouvoir d’achat, à la prise en considération de Françaises et de Français qui se sentaient, s’affirmaient, oubliés, inconnus», a-t-il déclaré.
Mais malgré cet aveu, Philippe a souligné que son gouvernement n’allait pas modifier sa politique largement haïe, mais tenter d’étrangler le mouvement en posant davantage d’entraves au droit de manifester et en renforçant la vaste appareil policier qui vise les Français.
Il a annoncé le fichage des manifestants afin d’indentifier des individus qui seraient interdits de manifester, via un «dispositif» semblable au fichage des hooligans qui permet à la police de leur interdire de se rendre dans les stades de football. En même temps, il compte créer des peines qui puniraient l’organisation de manifestations non déclarées en préfecture. «Le gouvernement est favorable à ce que notre loi soit modifiée et à sanctionner ceux qui ne respectent pas cette obligation de déclaration», a-t-il dit.
Il a aussi proposé de nombreuses mesures qui permettraient à la police d’imposer de lourdes peines aux manifestants. «Ceux qui arrivent cagoulés, aujourd’hui c’est une contravention, demain ça doit être un délit. Ce doit être les casseurs qui payent et pas les contribuables», a-t-il annoncé, avant d’ajouter: «Nous ne pouvons pas accepter que certains profitent de ces manifestations pour déborder, casser, brûler. Ceux-là n’auront jamais le dernier mot dans notre pays.»
Philippe a annoncé une mobilisation en masse des forces de l’ordre, comparable à celles du début du mois de décembre qui avaient bouclé le centre de Paris: «Les moyens spécialisés comme les engins blindés de la gendarmerie ou les engins lanceurs d’eau de la police ont montré leur efficacité. Nous devons donc en envisager très sérieusement le renouvellement et accroître leurs capacités opérationnelles.» Il a promis de mobiliser 85.000 policiers, CRS, gendarmes et autres forces de l’ordre le week-end prochain, en particulier à Paris.
C’est un signe sans ambiguïté quant à l’orientation antidémocratique de Macron et de l’Union européenne derrière lui. Face au soutien des travailleurs pour les «gilets jaunes» et au très large rejet des politiques d’austérité imposées à travers l’Europe, Macron veut imposer le diktat des banques par la force. Les tentatives de Philippe et de Macron de se poser en défenseurs de la démocratie, pour justifier la construction d’un État policier foulant aux pieds l’opposition des travailleurs à l’austérité et à la guerre, ne sont que des mensonges hypocrites.
Alors que la presse a déversé un torrent de calomnies contre les «gilets jaunes» en les traitant de fascistes, c’est Macron qui applique une politique d’extrême-droite. Les propositions de Philippe reprennent les revendications que le syndicat de police Alliance, proche des néo-fascistes avait agitées après la manifestation samedi. Ces mesures tenteraient d’étouffer la colère sociale en lui opposant la menace d’arrestations préventives ou d’amendes exorbitantes.
Dimanche, le secrétaire général du syndicat Alliance Frédéric Lagache avait proposé le fichage des manifestants «sur le modèle des interdits de stade», le traitement du port de cagoule en manifestation en tant que délit, et l’imposition de «peines plus sévères» aux manifestants.
Tout en proposant un durcissement majeur de la répression, le syndicat Alternative Police CFDT (Confédération française et démocratique du travail) s’était opposé à certaines propositions du syndicat néofasciste. Il a critiqué la proposition de fichage comme étant «inutile et contre-productive». Il a déclaré dans un communiqué: «Un fichier administratif seul ne servira à rien en dehors d'identifier des individus susceptibles d'être dangereux lors de manifestations mais sans aucune action coercitive possible avant un passage à l'acte.»
En effet, la création du fichier n’ouvre la voie qu’à des arrestations préventives, c’est-à-dire à caractère foncièrement illégal, de personnes qui auraient déplu à la police pour une ou autre raison, avant une manifestation à laquelle ils n’auraient même pas eu l’occasion de participer.
Néanmoins, malgré les liens très proches entre le CFDT et le pouvoir actuel, Philippe et Macron ont donné raison au syndicat Alliance.
Ceci donne raison aux analyses faites par le Parti de l’égalité socialiste (PES) lors de l’élection de Macron en 2017. La question décisive était de préparer un mouvement des travailleurs contre les deux candidats, car Macron ne pourrait faire figure d’opposant démocratique à la néo-fasciste Marine Le Pen. Et à présent, la grande question soulevée par la radicalisation des travailleurs qui a donné naissance au mouvement des «gilets jaunes» est de mobiliser plus largement les travailleurs contre les tentatives de construire des États policiers austéritaires à travers l’Europe.
Après la déclaration en novembre par Macron qu’il serait légitime d’honorer la carrière militaire de Philippe Pétain, le dictateur fasciste qui a collaboré avec l’Occupation nazie, il est clair que Macron veut construire un régime autoritaire sous couvert de «défense de la République».
En effet, les prises de mesures policières de plus en plus réactionnaires et provocatrices se multiplient à travers le territoire français depuis l’éruption du mouvement des «gilets jaunes».
Au début de l’année, la préfecture de police de la Somme a adopté un arrêté qui interdit d’utiliser ou de transporter des équipements de protection des voies respiratoires. Cette mesure – qui illégalisait d’emblée le travail des pompiers, des médécins, des infirmières, et des forces de l’ordre elles-mêmes – avait pour but de permettre aux forces de l’ordre d’interpeller les manifestants s’ils avaient des équipements les protégeant des gaz lacrymogènes, et de confisquer ces équipements.
De même, l’ancien boxeur qui avait frappé des gendarmes lors d’une charge des forces de l’ordre contre les «gilets jaunes» samedi s’est rendu à la police hier, en présence de son avocat. Christophe Dettinger avait fait l’objet d’une campagne de dénonciation hystérique dans les médias et d’une chasse à l’homme par la police, qui avait perquisitionné chez lui.
Dans une vidéo affichée en ligne avant qu’il ne se rendre, Dettinger a expliqué son geste: «J’ai voulu avancer sur les CRS, je me suis fait gazer (…). A un moment, la colère est montée en moi, et oui, j’ai mal réagi. Oui, j’ai mal réagi, mais je me suis défendu, et voilà. (…) Peuple français, “gilets jaunes”, je suis de tout cœur avec vous, il faut continuer pacifiquement mais continuer le combat, s’il vous plaît.»
A présent, l’État le menace de 5 ans de prison et de 75.000 d’amendes, visant à illégaliser toute tentatives des manifestants de se défendre contre la brutalité des forces de l’ordre.
Son ancien entraîneur, Jacky Trompesauce, a commenté: «Christophe est un sportif de haut niveau, c’est un homme respectueux, ce n’est pas un voyou. ... Il n’a pas dû supporter que les gendarmes s’en prennent à plus faibles qu’eux. Je crois voir sur les images des femmes qui reçoivent de la lacrymo, peut-être la sienne, il a trois enfants. Il n’est pas cagoulé, il y va à mains nues, ce n’est pas un casseur.»