L'année 2018 s'achève sur une crise politique historique aux États-Unis. La semaine passée, Washington fut secoué par les conflits liés à la décision de Trump de retirer les troupes américaines de Syrie et de réduire le nombre de soldats en Afghanistan, et à la démission du secrétaire à la Défense, James Mattis. Cela coïncida avec une chute brutale du marché boursier et une mise à l’arrêt partielle du gouvernement fédéral, qui pourrait durer bien au-delà de la nouvelle l'année.
Ce n’est pas l’attaque fascisante de Trump sur les immigrés, sa guerre contre la classe ouvrière ou sa belligérance envers la Chine qui ont déclenché des paroxysmes de rage au sein de l’État et du Parti démocrate ; c’est au contraire son intention ostensible de réduire l’intensité des guerres en Syrie et en Afghanistan, toutes deux non déclarées et illégales.
Le maintien de l'administration est remis en question. Chuck Todd, l'animateur du programme «Meet the Press» sur NBC, a déclaré dimanche que la démission de Mattis pour protester contre le retrait des troupes pourrait constituer le «début de la fin fonctionnelle de cette présidence». Il a évoqué l'érosion du soutien à Trump parmi les républicains du Sénat qui ont servi à amortir les enquêtes axées autour de celle de l'ancien directeur du FBI Robert Mueller et relatives aux relations personnelles de Trump et à ses liens supposés avec la Russie.
Les démocrates, parlant au nom de l'armée et des services de renseignement, voient dans les récents tournants de la politique étrangère de Trump un abandon de ce qu'ils considèrent être une prémisse fondamentale de la politique étrangère américaine: un contrôle du Moyen-Orient essentiel pour contrer la Russie, et à son tour nécessaire pour affronter la Chine. Le sénateur démocrate Chris Coons a déclaré dimanche à l'émission « Face the Nation » de CBS : « le président Trump offre un grand cadeau de Noël à Vladimir Poutine en Russie et à l'Ayatollah Khamenei en Iran ».
Les démocrates s'alignent par là sans vergogne sur les forces les plus réactionnaires de l'appareil d'État et de l'armée. On fait de Mattis, le boucher de Fallujah surnommé « Mad Dog », qui a déclaré un jour que c’était « amusant de tirer sur les gens », un pilier de la vertu morale. Dick Durbin, le second démocrate le plus important au Sénat, a déclaré sur «Meet the Press» que «ça [lui brisait] le cœur» de voir Mattis partir. Il a dit avoir supplié Mattis de rester. « Restez aussi longtemps que possible », car « nous avons désespérément besoin de votre voix mature, de votre voix patriotique » a-t-il insisté.
Le criminel de guerre Mattis suit, de son vivant, la voie de la canonisation politique que les démocrates et les médias avaient précédemment ouverte pour feus John McCain et George H.W. Bush.
On n’en est plus à la simple allusion pour ce qui est des appels à une intervention directe de l'armée contre Trump. Si l’on décidait de renverser Trump par une sorte de révolution de palais, elle serait bien accueillie par les démocrates et les médias. On ne peut conclure des déclarations faites qu’il s’en suivrait une escalade immédiate de la guerre au Moyen-Orient et une agression contre la Russie.
La réaction furieuse aux initiatives de Trump en Syrie et en Afghanistan révèle la fraude de ce qu’est la «guerre contre le terrorisme», prétendument lancée pour lutter contre les terroristes islamistes. Trump a justifié son retrait des troupes américaines en soulignant que l’État islamique avait été mis en déroute en Syrie. Mais comme l'ont dit des dizaines d'opposants indignés par cette décision, le vrai problème n'est pas l’État islamique, mais bien la lutte contre les rivaux géopolitiques de Washington au Moyen-Orient et en Asie centrale, surtout la Russie et l’Iran.
En réalité, les événements du 11 septembre 2001 n'étaient que le prétexte à la mise en œuvre de plans expansionnistes préparés bien avant : l’invasion de l'Afghanistan et celle de l'Irak sous Bush d’abord, puis, sous Obama, la guerre contre la Libye et la guerre civile en Syrie, soutenue par la CIA. On a en grande partie laissé tomber la justification mise en avant au départ et la politique étrangère américaine apparaît à présent telle qu’elle est : une tentative de contrôler le monde par la force militaire.
Le faire remarquer ne diminue en rien le caractère réactionnaire de l'administration Trump. La Maison-Blanche poursuit sa propre politique impérialiste qui rappelle la campagne «America First» de Charles Lindbergh avant l’entrée de l’Amérique dans la Seconde Guerre mondiale. Lindbergh était pro-Nazi. Mais alors que ses principaux opposants de la classe dirigeante affichaient un certain engagement envers les processus démocratiques – quand bien même ils plaidaient pour que l’Amérique participe au massacre impérialiste – il n’existe aujourd’hui aucun engagement de ce type parmi les factions anti-Trump de l’élite dirigeante et de l’Etat.
Trump se concentre davantage sur la Chine. Tout en espérant tirer parti de la popularité du retrait des troupes du Moyen-Orient et de l’Asie centrale, son administration a présenté une politique étrangère axée sur le conflit de «grandes puissances» visant le plus grand concurrent économique des États-Unis.
Confronté à l'échec de la politique étrangère américaine sur les 25 dernières années, le gouvernement Trump représente un tournant vers une géopolitique plus unilatérale et nationaliste. Et alors qu’il fait face à une opposition croissante au sein de l'État, il redoublera ses efforts pour développer une base fasciste, y compris au sein de l'armée et des forces de police.
Parler de «gauche» et de «droite» dans ce cadre n'a pas de sens. Le conflit oppose différentes formes de réaction extrême.
Les diverses organisations qui composent la pseudo-gauche et représentent les couches privilégiées de la classe moyenne supérieure constituent des soutiens auxiliaires du Parti démocrate. Les démocrates ont défendu sans relâche la politique de l’ethnie et du genre menée depuis un an sous l’étendard de #MeToo ; un des objectifs clés a été de cultiver dans ces couches une base pour leur politique de guerre.
Dans la guerre politique qui fait rage à Washington, certains se distinguent par leur silence. Socialist Worker, la publication de l'ISO (International Socialist Organization), n'a rien dit. Le magazine Jacobin, aligné sur les Socialistes démocrates d’Amérique, n'a rien dit. L’Alternative socialiste n'a rien dit. Les politiciens du Parti démocrate dont ils ont fait la promotion ont eux aussi gardé le silence, comme le sénateur Bernie Sanders du Vermont, la nouvelle représentante de New York Alexandria Ocasio-Cortez, etc.
Ils se taisent car ils soutiennent la ligne du Parti démocrate. Ils soutiennent la guerre et ils soutiennent l'impérialisme américain.
Leur vraie ligne politique est exprimée par Joan Walsh, de la Nation, fréquemment citée par Socialist Worker et d'autres publications de la pseudo- gauche. Dans son billet, « Alors que Trump s’emporte, que Dieu nous bénisse tous», Walsh déplore la décision de Trump de négliger les conseils d'un «chef militaire à la longue carrière et dévoué au service public comme le secrétaire à la Défense Jim Mattis».
Nulle part dans tout cela – de l'administration Trump au Parti démocrate en passant par la pseudo-gauche – on ne trouve exprimé les intérêts de la vaste majorité de la population, la classe ouvrière. Celle-ci ne peut se permettre d'être détournée vers une des factions de la classe dirigeante. Elle doit proposer sa propre solution à la crise capitaliste: la révolution socialiste.
Analysant à un stade antérieur les conflits à Washington, le WSWS écrivait dans sa déclaration du 13 juin 2017, « Révolution de palais ou lutte des classes: la crise politique à Washington et la stratégie de la classe ouvrière », «les adversaires de Trump au sein de l'establishment politique, tant démocrates que républicains, parlent au nom d'une faction de l'élite de la grande entreprises et de la finance. » Leurs différends avec Trump « portent principalement sur des questions de politique étrangère ». L'état actuel de la guerre politique confirme cette analyse.
La déclaration ajoutait qu'un « conflit totalement différent est en train de se développer – entre la classe dirigeante et la classe ouvrière ». Le WSWS prévoyait que « l'interaction de conditions de crise objectives, à la fois aux États-Unis et au niveau international, et la radicalisation de la conscience sociale de masse, trouveront leur expression dans l'éruption de la lutte des classes ».
Ce pronostic a également été confirmé. L'année écoulée a vu une extension importante de la lutte de la classe ouvrière aux États-Unis et dans le monde. Ce n'est là qu'une anticipation des explosions sociales qui caractériseront 2019.
La tâche essentielle consiste à créer une direction politique, le Parti de l'égalité socialiste, afin de donner au mouvement ouvrier un niveau de compréhension et de conscience toujours plus grand, et de relier la montée de la lutte de classe à un mouvement socialiste, internationaliste et anti-impérialiste, en vue de prendre le pouvoir d'État et de réorganiser la vie économique sur la base du besoin social et non du profit privé.
(Article paru en anglais le 24 décembre 2018)