La presse économique allemande réagit avec indignation à la tentative du président français Emmanuel Macron d'apaiser le mouvement de protestation des «gilets jaunes» par des concessions sociales. Bien que les mesures annoncées par Macron dans un discours télévisé lundi soir soient négligeables et ne contribuent en rien à éliminer les inégalités sociales contre lesquelles les protestations sont dirigées, les médias l'accusent de capituler devant la «populace» et de compromettre ainsi la stabilité de l'euro et l'Union européenne.
«La réaction du président français à la populace jaune doit sonner l'alarme à Berlin: Emmanuel Macron n'est pas un partenaire dans le sauvetage de l'euro et de l'Europe, mais un facteur de risque», explique Olaf Gersemann dans le quotidien Die Welt.
Le rédacteur en chef de l'économie, des finances et de l'immobilier peut difficilement contrôler sa colère. Il s'exclame avec colère qu' au lieu de «veiller à ce que le salaire minimum n'augmente que modérément ou de préférence pas du tout», Emmanuel Macron dépose les armes. Pendant des semaines, «les vestes jaunes ont fait rage en France». Mais au lieu de «s'opposer aux excès» et de «passer à l'offensive», Macron a raté l'occasion et légitimé les émeutes a posteriori en «rampant devant la foule qui brûle des voitures».
On a toujours espéré, poursuit Gersemann, «que Macron devienne le Gerhard Schröder français: un homme qui, le cas échéant, mettrait aussi sa fonction en danger pour faire ce qui est juste en termes de politique économique». (Le chancelier allemand Gerhard Schröder, un social-démocrate, a perdu son poste prématurément en 2005 après avoir fait adopter son agenda 2010 antisocial contre une résistance acharnée.) Mais maintenant, la France menace de «trébucher derrière l'Italie en route vers la troisième classe».
Pour l'Allemagne, c'est une «mauvaise nouvelle», tant sur le plan économique que politique, se plaint Die Welt. Tant que Paris sera du côté de Berlin, la transformation de l'union monétaire en une union de transfert pourra être évitée. Si, d'autre part, Paris prend le parti de l'Italie et de l'Espagne, la construction bascule. C'est pourquoi Berlin doit maintenant se demander ce qu'il faut faire «si l'Allemagne n'a pas à traiter avec une seule Italie dans l'union monétaire et l'UE, mais avec deux.»
L'ancien rédacteur en chef du Handelsblatt, Gabor Steingart, argumente de la même manière. Dans son briefing du matin, il affirme que la «générosité» de Macron coûte 10 milliards d'euros par an, une facture qui serait «tôt ou tard envoyée à la BCE (Banque centrale européenne) [...] À Francfort, Mario Draghi devrait commencer à imprimer des billets: Vive le déficit !»
Derrière ces commentaires se cache le langage de la dictature.
La protestation des «gilets jaunes», déclenchée par l'augmentation de la taxe sur les carburants, s'est rapidement transformée en un vaste mouvement de masse contre les inégalités sociales soutenu par la grande majorité de la population française. Après des décennies de coupes sociales et de redistribution des revenus et des richesses vers le haut, elle est devenue l'expression de la colère de la classe ouvrière et de larges couches de la population qui ne peuvent plus joindre les deux bouts à la fin du mois, alors qu'une petite minorité vit dans le luxe.
L'ancien banquier d'affaires Emmanuel Macron incarne cette aristocratie financière. La brutalité avec laquelle il réduit les prestations sociales n'est dépassée que par son arrogance personnelle. Dès le début, son gouvernement a brutalement réprimé les manifestations. Rien que le week-end dernier, près de 90.000 policiers lourdement armés ont été déployés, attaquant sans avertissement de grandes foules de manifestants avec des grenades lacrymogènes et des canons à eau. 1723 participants ont été arrêtés selon le décompte officiel.
Ce n'est que lorsque le mouvement n'a pas pu être intimidé par une violence brutale que Macron a décidé de battre en retraite tactiquement. Ses promesses sont une tentative évidente de gagner du temps pour paralyser le mouvement, le diviser, armer davantage la police et serrer les rangs avec les autres partis et les syndicats, tous bouleversés par les manifestations de masse.
Lorsque la presse économique allemande accuse néanmoins Macron de capituler, ce n'est pas seulement par souci de la stabilité de l'euro, dont le capital allemand bénéficie comme aucun autre et dont il se sert pour dicter sa politique d'austérité à toute l'Europe. Elle le fait principalement par crainte que les protestations en France ne s'étendent à l'Allemagne.
Les contradictions sociales contre lesquelles les «gilets jaunes» se rebellent existent sous une forme similaire dans tous les pays du monde, y compris en Allemagne. La stagnation des salaires, l'augmentation des bénéfices et les conséquences de l'Agenda 2010 ont fait de l'Allemagne le pays le plus inégal en Europe. Il est en train de bouillir sous la surface. Les bas salaires, le stress croissant et les conditions inacceptables rendent insupportable le travail dans de nombreux secteurs – hôpitaux, services postaux, commerce de détail, etc. Lundi dernier, une grève massive a en grande partie paralysé les chemins de fer allemands pendant des heures. Chez Bayer, Ford, Opel, VW et de nombreuses autres grandes entreprises, des centaines de milliers d'emplois sont menacés.
En même temps, la classe dirigeante réagit à la crise de l'Union européenne et aux conflits commerciaux avec les États-Unis par une politique militariste de grande puissance. Le politologue Herfried Münkler avait déjà demandé il y a trois ans que l'Allemagne devienne la seule superpuissance européenne. «À la longue, ne peut être "intendant" que celui qui est prêt à jouer le difficile rôle de "maître de discipline"», écrit-il dans son livre «Le pouvoir au centre». Ceci est maintenant le consensus parmi les élites dirigeantes.
La politique des grandes puissances, le militarisme et la redistribution en faveur des riches ne sont pas compatibles avec la démocratie. Le commentaire de Die Welt l'exprime ouvertement. Il exige qu'un président ou un chancelier ne se soumette pas à la volonté démocratique de la majorité, mais qu'il s'oppose à la majorité et, si nécessaire, mette sa fonction en danger «pour faire ce qui est juste en matière de politique économique». Ce qui est «juste en matière de politique économique» est déterminé par les représentants des banques; c'est le marché boursier et non les besoins de la société qui en décide.
Les nouvelles lois totalitaires sur la police, l'expansion d'un appareil de surveillance complet, les liens étroits entre les services secrets et les extrémistes de droite et la cour faite à l'AfD par les médias et tous les autres partis au Parlement montrent tous à quel point les préparatifs pour une dictature sont déjà avancés. Bien que le parti d'extrême droite n'ait obtenu que 12,6 % des voix, il donne maintenant le ton à la politique du gouvernement en matière de réfugiés et dans de nombreux autres domaines.
Les manifestations en France ont confirmé qu'une lutte contre le gouvernement des riches ne peut être menée qu'en dehors et indépendamment des syndicats et des partis nominalement «de gauche», qui travaillent en étroite collaboration avec l'État et le gouvernement et défendent le capitalisme contre toute menace venant de la base.
Pour mener cette lutte vers le succès, il faut un programme socialiste. La classe ouvrière ne doit pas se laisser diviser et doit s'unir au niveau international. Elle doit construire ses propres organes indépendants, des comités d'action, pour organiser la lutte. Elle doit se battre pour que les gouvernements ouvriers et les États socialistes unis d'Europe exproprient les biens de l'aristocratie financière et mettre l'économie sous le contrôle démocratique des travailleurs.
Voilà le programme du Parti de l'égalité socialiste allemand (SGP - Sozialistische Gleichheitspartei) et des autres sections du Comité international de la Quatrième Internationale (ICFI). Nous encourageons les lecteurs de WSWS à nous contacter, à discuter du programme et à participer à l'élaboration du SGP.
(Article paru en anglais le 13 décembre 2018)