Perspective

La crise politique au Sri Lanka : ses leçons pour la classe ouvrière internationale

La crise politique qui sévit au Sri Lanka depuis trois semaines mérite l’attention des travailleurs du monde entier.

Les événements sur cette île de 22 millions d’habitants, située au sud de l’Inde, sont propulsés par les mêmes processus, enracinés dans la décomposition mondiale du capitalisme, qui façonnent la vie politique et socio-économique à travers le monde.

Les principaux parmi ceux-ci sont :

  • Une renaissance du militarisme et de la rivalité stratégique des grandes puissances dirigée par les États-Unis menace, en l’absence de l’intervention révolutionnaire de la classe ouvrière, de plonger l’humanité dans une troisième guerre mondiale ;
  • Une résurgence de la lutte des classes alors que les travailleurs s’efforcent de mettre fin à des décennies d’austérité et d’inégalités sociales rampantes ;
  • L’effondrement des formes démocratiques de gouvernement, constitutionnelles et juridiques, alors que toutes les couches de l’élite capitaliste se tournent vers la réaction et l’autoritarisme.

Il y a trois semaines aujourd’hui, le président sri-lankais Maithripala Sirisena a illégalement renvoyé Ranil Wickremesinghe, chef du Parti national unifié (UNP), de son poste de Premier ministre du pays, et a mis à sa place l’ancien président Mahinda Rajapakse.

Ce fut un retournement brusque, et un retournement qui en outre a immédiatement déclenché des alarmes à Washington, dans la mesure où il bouleversait la longue campagne américaine visant à intégrer le Sri Lanka – qui se trouve sur les plus importantes voies de navigation du monde – à son offensive militaro-stratégique contre la Chine.

À la fin de 2014, l’impérialisme américain, aidé par son proche allié régional, l’Inde, avait concocté une alliance entre Sirisena, jusqu’alors un fidèle allié de Rajapakse, et Wickremesinghe et son UNP. À peine quelques semaines avant les élections présidentielles de janvier 2015 et quelques jours seulement après avoir quitté le gouvernement de Rajapakse, Sirisena a été proclamé candidat de l’opposition commune à Rajapakse.

Président sri-lankais de 2005 à son éviction orchestrée par les États-Unis en 2015, Rajapakse avait bénéficié du soutien indéfectible de Washington alors qu’il menait une guerre d’extermination contre les séparatistes du LTTE dans laquelle périrent des dizaines de milliers de civils tamouls. Mais il va à l’encontre de Washington en acceptant des investissements chinois à grande échelle, notamment pour les infrastructures.

Le déclencheur du coup constitutionnel de Sirisena du 26 octobre a été la crise provoquée dans les cercles dirigeants par l’opposition croissante et populaire de la classe ouvrière aux mesures d’austérité brutales dictées par le FMI et imposées par le régime Sirisena-Wickremesinghe. Au cours des mois précédents, les alliés supposés du gouvernement, Sirisena et Wickremesinghe, avaient cherché désespérément à renvoyer chacun sur l’autre la responsabilité de la détérioration de la situation des masses devant l’opprobre public croissant. Pendant ce temps, Rajapakse a agité pour un retour au pouvoir, se présentant comme un « homme fort » qui inciterait le chauvinisme anti-tamoul à diviser la classe ouvrière et à mener à bien une « restructuration » en faveur des grandes entreprises.

Dans des conditions où les États-Unis ont transformé l’Asie du Sud et l’ensemble de la région de l’océan Indien en une arène cruciale dans son intention d’encercler, d’isoler et de faire soumettre la Chine – comme le symbolise l’acte récent du Pentagone en renommant son Commandement du Pacifique en Commandement Indo-Pacifique – la crise politique et les luttes internes au sein de la bourgeoisie sri-lankaise ne pourraient que s’enchevêtrer dans la rivalité géopolitique entre Washington et Beijing.

Sous l’impulsion des États-Unis, de l’Union européenne, du Canada et de l’Inde, Wickremesinghe et son UNP ont défié Sirisena, refusant de reconnaître Rajapakse comme Premier ministre ou la légitimité de son nouveau cabinet.

Sirisena a réagi par des actions antidémocratiques de plus en plus flagrantes. Lorsque Rajapakse s’est avéré incapable d’obtenir le soutien d’une majorité de parlementaires par des marchandages, Sirisena a illégalement ordonné la dissolution du Parlement et la tenue de nouvelles élections. Après que la Cour suprême eut rejeté cette décision, dans l’attente d’une décision finale le 7 décembre, et après que les parlementaires aient fait passer un vote de défiance envers Rajapakse lors d’un vote mercredi, Sirisena, en violation ouverte de la constitution, a affirmé le principe autocratique selon lequel il pourrait nommer qui il veut comme Premier ministre, peu importe l’avis du parlement.

Déjà commandant en chef en vertu de la constitution, Sirisena s’est arrogé encore plus de pouvoir en se nommant à la tête des ministères chargés de la police et des médias. Et, dans un développement inquiétant, des soldats et des chars ont été déployés dans certaines parties de la banlieue de Colombo et des commandos de police postés à l’extérieur du Parlement et de tous les ministères.

Wickremesinghe et son UNP exploitent les actions illégales de la cabale Sirisena-Rajapakse pour se faire passer pour des défenseurs de la démocratie. Quelle fraude monstrueuse ! Wickremesinghe a hâte de reprendre le contrôle de l’appareil d’État, avec l’aide de Washington, Londres et New Delhi, pour pouvoir continuer à intégrer le Sri Lanka à la guerre menée par les États-Unis contre la Chine tout en imposant l’austérité du FMI aux travailleurs et aux paysans de Sri Lanka. L’UNP, il faut le dire, n’est pas moins ancré dans le chauvinisme anti-tamoul que le Parti pour la liberté du Sri Lanka (SLFP) de Sirisena et Rajapakse. C’est l’UNP sous Jayawardene qui a déclenché la guerre civile anti-tamoule qui a secoué l’île de 1983 à 2009, et c’est lui qui a injecté le chauvinisme cinghalais dans l’ADN de l’État sri-lankais. Lors de l’indépendance, il a dépouillé les travailleurs tamouls des plantations leurs droits de citoyenneté.

Rien de tout cela n’a arrêté le parti bourgeois et pro-américain tamoul, l’Alliance nationale tamoule (TNA) ; le JVP, populiste cinghalais se présentant comme « de gauche » ; et les divers groupes pseudo-gauches qui se sont rassemblés sous la bannière démocratique bidon de l’UNP.

Seul le Parti de l’égalité socialiste (SEP), la section sri-lankaise du Comité international de la Quatrième Internationale, insiste – et a insisté au cours des méandres des trois dernières semaines de bagarres au sein de la classe dirigeante – pour que la classe ouvrière se mobilise pour faire valoir ses propres intérêts de classe, indépendamment, et opposés aux deux camps bourgeois rivaux.

Dans une déclaration du 31 octobre intitulée : « Il faut lutter pour une solution socialiste à la crise politique au Sri Lanka », le SEP a appelé la classe ouvrière à s’opposer à Sirisena-Rajapkase et à l’UNP de Wickremesinghe qui « s’arrachent le pouvoir d’État ». « Personne », a-t-il déclaré, « ne devrait avoir l’illusion que ces représentants vénaux de la bourgeoisie sri-lankaise défendront les droits démocratiques et sociaux. »

« Ce coup d’État politique », a-t-il poursuivi, « est une manifestation aiguë au Sri Lanka de l’aggravation de la crise économique mondiale, de l’intensification des tensions géopolitiques en particulier entre les États-Unis et la Chine, et de la résurgence des luttes de classe au plan international ».

La déclaration poursuit en expliquant que le parlement a toujours été un écran de fumée derrière lequel la bourgeoisie a impitoyablement poursuivi ses propres intérêts aux dépens des droits démocratiques et sociaux et des aspirations de la classe ouvrière et des masses opprimées. Mais aujourd’hui, cette façade s’effondre dans des conditions de crise géopolitique et d’opposition sociale croissante, y compris – à la consternation et à la peur de la bourgeoisie – l’unité de classe croissante des travailleurs tamouls et cinghalais.

Quelle que soit la fraction qui finira par s’imposer au combat de plus en plus acharné – hier, le parlement sri-lankais était la scène de bagarres à coups de poing – sera un gouvernement de caractère de plus en plus autoritaire voué à imposer impitoyablement l’austérité et à faire respecter les intérêts prédateurs de l’élite capitaliste. Rajapakse, il convient de le souligner, a déclaré publiquement qu’il était prêt à travailler avec Washington.

Cependant, à ce stade, les États-Unis ont rejeté leurs appels. L’Administration Trump est déterminée à mener son offensive contre la Chine sans relâche. Pour souligner cela, l’ambassadrice des États-Unis, Aliana Teplitz, a assisté à la session parlementaire de mercredi afin de pouvoir surveiller personnellement le vote de censure. Et dans un développement lié, Facebook, qui, comme les autres géants de la technologie basés aux États-Unis, travaille main dans la main avec les agences de renseignement américaines, a supprimé une publication de la page Facebook officielle du World Socialist Web Site en langue tamoule qui révélait les liens étroits de la TNA à Washington.

La seule force qui puisse garantir les droits démocratiques, l’égalité sociale, et une véritable indépendance par rapport à l’impérialisme est la classe ouvrière, ralliant les pauvres des zones rurales et urbaines dans la lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan fondé sur un programme socialiste et internationaliste.

De même, le seul antipode progressif de la guerre américaine est la mobilisation de la classe ouvrière internationale contre l’ordre social capitaliste. Le régime du Parti communiste chinois, le représentant de l’oligarchie issue de la restauration du capitalisme dans les années 1990, cherche à contrer Washington par sa propre construction militaire et sa volonté d’influencer l’économie et la diplomatie au niveau mondial. Dans un geste qui ne peut que nourrir la propagande impérialiste américaine, le président chinois Xi a salué le coup d’État de Sirisena le 26 octobre.

Alors que la crise sociale et les tensions mondiales montent, la putréfaction du régime parlementaire sri-lankais, souligne surtout l’urgence de mettre en place une direction révolutionnaire – à savoir le Parti de l’égalité socialiste (SEP – Sri Lanka) et des sections du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) dans chaque pays – capable d’armer le mouvement naissant de la classe ouvrière avec un programme socialiste qui corresponde à la logique objective et au caractère global de sa lutte.

(Article paru d’abord en anglais le 16 novembre 2018)

À lire également :

Il faut lutter pour une solution socialiste à la crise politique au Sri Lanka

[1ᵉʳ Novembre 2018]

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