En pleine crise politique au Sri Lanka: les syndicats des plantations tentent de mettre un terme à la lutte salariale

Les syndicats sri-lankais des plantations se sont ralliés à différentes factions politiques dans le conflit âpre qui sévit au sein de l’élite dirigeante du pays et tentent maintenant de réprimer la lutte des travailleurs des plantations qui tentent d’obtenir une augmentation de 100 % de leur salaire quotidien.

Le 26 octobre, le président Maithripala Sirisena a limogé le premier ministre Ranil Wickremesinghe et l’a remplacé par l’ancien président, Mahinda Rajapakse. Le dirigeant du Congrès des travailleurs de Ceylan (CWC), Arumugam Thondaman, également membre du parlement, a immédiatement soutenu Rajapakse et a été nommé ministre des nouveaux villages et des Infrastructures de la région des collines (au centre du Sri Lanka, où se trouvent des plantations de thé).

Vadivel Suresh, ancien secrétaire du Syndicat des travailleurs des plantations de Lanka Jathika (LJEWU), contrôlé par le Parti national unifié de Wickremesinghe, a démissionné de son parti et a rejoint Rajapakse. Il a également été récompensé par un poste clé et a été nommé ministre d’État chargé des plantations.

Tentant de détourner la colère des travailleurs suscitée par leurs sordides manœuvres politiques, Thondaman et Vadivel ont tous deux affirmé que Rajapakse avait promis d’augmenter les salaires quotidiens des travailleurs des plantations, les faisant passer de 500 roupies (2,5 euros) par jour à 1.000 roupies (5 euros).

D'autres syndicats de plantations sri-lankais – le Syndicat national des travailleurs (NUW), le Front populaire démocratique (DPF) et le Front du peuple du nord (UPF), dirigés respectivement par P. Digambaram, Mano Ganeshan et P. Radhakrishnan – soutiennent le premier ministre limogé, Ranil Wickremesinghe.

Les trois dirigeants syndicaux, anciens ministres du gouvernement de Wickremesinghe, l’appuient dans ses tentatives de recouvrer son poste, dans l’espoir de rétablir leurs propres privilèges perdus.

Malgré ces manœuvres, les travailleurs des plantations, qui ont commencé à manifester début septembre pour réclamer des salaires plus élevés, poursuivent leur lutte.

Les travailleurs des plantations manifestent à Talawakele en septembre dernier

 

La semaine dernière, des centaines de travailleurs des plantations des domaines de Norwood, Iravy, Nallathanni Hapugasthenna, dans le district central des collines, ont manifesté pour réclamer une augmentation de salaire. Les travailleurs ont dénoncé Thondaman et Vadivel lors des manifestations, déclarant que les responsables syndicaux avaient été nommés à des postes ministériels pour trahir la lutte des salaires. Une centaine de travailleurs ont également manifesté à Mathugama, une ville du district de Kalutara, au sud de Colombo.

La longue lutte des travailleurs des plantations s’est attiré un puissant soutien de la part des jeunes et d’autres couches de la classe ouvrière sri-lankaise.

Le 26 octobre, par exemple, près de 1.000 enseignants des cités Deraniyagala et Dehiowita dans le district de Kegalle et des centaines d’enseignants stagiaires de Kotagala dans le district de Nuwara Eliya se sont mobilisés pour appuyer les travailleurs des plantations.

Des enseignants du collège de formation de Kopay et des étudiants du collège de médecine de Kaithady dans le district de Jaffna ont également manifesté le même jour pour les travailleurs du domaine. Un enseignant d’un collège de formation à Kopay a déclaré aux médias: «Les parents de nos élèves sont des ouvriers des plantations. Pour que les enfants puissent poursuivre leurs études, les travailleurs des plantations doivent recevoir au moins 1.000 roupies [par jour]. Nous soutenons donc leur lutte.»

Le 24 octobre, deux jours seulement avant le coup d’État politique de Sirisena, plus de 5.000 jeunes travailleurs cinghalais, musulmans et tamouls de Colombo et de leurs banlieues ont manifesté à Galle Face Green, dans le centre de Colombo, en solidarité avec les travailleurs des plantations. Pour la première fois, la manifestation, organisée au grand dam de l’élite dirigeante du Sri Lanka, a été organisée sur les réseaux sociaux.

En fait, le principal facteur qui a déclenché la crise du gouvernement de Sirisena et de Wickremesinghe est l’opposition populaire de masse au programme d’austérité du Fonds monétaire international mis en œuvre par le gouvernement, qui porte atteinte aux droits sociaux et aux conditions de vie. La lutte salariale des travailleurs des plantations est un élément crucial de ce mouvement de masse en croissance auquel les syndicats tentent désespérément de mettre fin.

Alors que Thondaman et Vadivel ont affirmé qu’ils acceptaient des postes ministériels parce qu’on leur avait promis une augmentation de salaire pour les travailleurs des plantations, Rajapakse leur aurait dit qu’ils devraient discuter de la question avec les fonctionnaires du Trésor.

Mais lors de discussions avec les responsables du Trésor le 5 novembre, la Planters Association (association des propriétaires des plantations) a de nouveau rejeté catégoriquement les revendications des travailleurs pour une augmentation de 100 % des salaires. Les responsables de la Planters Association ont de nouveau déclaré que les sociétés immobilières ne donneraient qu’une augmentation de 20 % soit 100 roupies seulement, et ont déclaré que les travailleurs pourraient gagner près de 400 roupies de plus grâce à des allocations supplémentaires liées à une augmentation de la productivité.

La Planters Association a également refusé d’octroyer une prime de 10.000 roupies (50 euros) au festival religieux annuel Deepavali et a insisté sur le fait que 1.000 roupies de salaire par jour était «complètement irréaliste», car la majorité des sociétés de plantation fonctionnaient à perte.

La Tea Factory Owners Association (l’association des propriétaires d’usine de thé) a également affirmé qu’un salaire de 1.000 roupies par jour serait «catastrophique» pour le secteur et que toute augmentation de salaire «doit être liée à la productivité et à l’assiduité».

Les travailleurs des plantations sont parmi les couches les plus pauvres de la classe ouvrière sri-lankaise. Ramenés du sud de l’Inde par des propriétaires de plantations britanniques il y a 150 ans, à l’époque coloniale, la majorité des travailleurs des plantations et leurs familles vivent encore dans de petites salles en terrasse, dépourvues d’installations de base, et n’ayant que des infrastructures de santé et d’éducation totalement inadéquates. Leur salaire journalier actuel est insuffisant pour couvrir les besoins alimentaires fondamentaux.

Un rapport récent de l’Institut de développement social de Kandy a noté que le salaire de subsistance moyen des travailleurs des plantations devrait être de 44.711 roupies (226 euros) par mois pour une famille de 4,5 personnes en moyenne.

Avant le coup d’État politique du mois dernier, l’ancien ministre des Plantations, Naveen Dissanayake, s’est rangé du côté des entreprises, déclarant que les revendications des travailleurs étaient inacceptables et que, si elles étaient acceptées, le secteur «s’effondrerait». C’est aussi la position du camp de Rajapakse.

Les dirigeants des syndicats de plantation, qui sont également des politiciens bourgeois, ne défendent pas les travailleurs des plantations, mais agissent comme une force de police industrielle pour les entreprises et le gouvernement.

L’alignement des syndicats des plantations sur les fractions politiques concurrentes de l’élite dirigeante ne se limite pas à la crise politique actuelle au Sri Lanka ou au secteur des plantations. D’autres syndicats ont pris le parti, directement ou indirectement, du Parti national unifié de Wickremesinghe ou du Parti de la liberté du Sri Lanka pour Sirisena.

Quel que soit la fraction ou l’alignement politique de la bourgeoisie sri-lankaise qui finit par prendre le contrôle, le nouveau gouvernement mettra en œuvre de manière brutale les exigences de profit des grandes entreprises et des investisseurs internationaux. Avec l’aide des syndicats et des organisations de pseudo-gauche, il s’emploiera à supprimer toute résistance de la classe ouvrière.

C’est pourquoi les travailleurs des grands domaines de plantation, des lieux de travail et des quartiers du pays doivent prendre l’initiative de constituer des comités d’action indépendants des syndicats et de toutes les factions de la bourgeoisie et se battre pour des politiques socialistes et pour un gouvernement des travailleurs et des paysans.

(Article paru d’abord en anglais le 6 novembre 2018)

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