Lors de la deuxième élection d'État depuis la formation du gouvernement de la Grande Coalition à Berlin, les partis au pouvoir en Allemagne ont une fois de plus essuyé une défaite cuisante aux urnes. Comme lors de l'élection d'il y a deux semaines en Bavière, les chrétiens-démocrates (CDU) et les sociaux-démocrates (SPD) ont perdu plus de 22 points de pourcentage à eux deux en Hesse.
La CDU, qui a dirigé le Land de Hesse en coalition avec les Verts au cours des cinq dernières années, a perdu 11,3%, pour passer à 27%. C'est le pire résultat pour la CDU de Hesse depuis plus de cinquante ans. Le SPD ayant perdu 10,9% est tombé sous le seuil des 20%.
Le résultat des élections est l'expression d'une hostilité croissante à l'égard de la grande coalition et de ses politiques de droite militaristes, de répression étatique et d'austérité sociale. Après la perte des voix en Bavière et la grande manifestation à Berlin en appui aux réfugiés et contre leur politique xénophobe, les dirigeants de la CDU et du SPD se sont engagés à inverser la tendance en Hesse et à envoyer leurs principaux représentants dans la campagne électorale. Mais plus il y avait de représentants de la grande coalition, plus la réaction des électeurs était hostile.
Le rejet de la grande coalition a été particulièrement massif chez les jeunes, les nouveaux électeurs et dans les quartiers populaires.
Cette hostilité à l'égard du gouvernement de Berlin ne trouve aucune expression progressiste dans le système des partis existants. En conséquence, les votes se sont simplement déplacés autour des différents partis parlementaires, qui s'accordent tous sur les principales questions politiques et travaillent ensemble dans diverses coalitions de gouvernements fédéraux ou d'État. Environ cent mille électeurs du SPD et 95.000 électeurs de la CDU ont migré vers les Verts, qui ont collaboré rondement avec la CDU au cours des cinq dernières années.
Les Verts ont obtenu 19,8% des voix, soit une augmentation de 8,7%, et ont été célébrés comme les vainqueurs des élections. Leurs politiques ne diffèrent cependant guère de celles de la CDU et du SPD. Pendant la campagne électorale, ils ont critiqué la politique agressive de la grande coalition à l'égard des réfugiés et la création de centres d'accueil pour les déportations accélérées. Mais ce n'était que de la poudre aux yeux.
Partout où les Verts participent au gouvernement, les forces de sécurité sont réarmées et les réfugiés sont brutalement déportés. Le maire vert de Tübingen, Boris Palmer, a plaidé en faveur de certaines des politiques anti-réfugiés les plus agressives en Grèce.
Il en va de même pour Hesse. Selon les médias, près de 600 hommes et femmes ont été déportés au cours des quatre premiers mois de cette année seulement. Il s'agit d'une augmentation de 50% par rapport à la même période en 2017. L'aéroport de Francfort est une plaque tournante pour l'expulsion des réfugiés. L'ancien porte-parole pour la politique d'asile et de migration, Mürvet Öztürk, a démissionné du groupe parlementaire des Verts il y a trois ans parce que le parti avait reconnu l'Albanie, le Monténégro et le Kosovo comme pays d'origine sûrs pour les réfugiés, contrairement à ses promesses électorales.
En outre, la CDU et les Verts de Hesse ont adopté l'une des lois policières les plus sévères d'Allemagne. Elle permet notamment à la police de s’infiltrer dans les téléphones intelligents et les ordinateurs au moyen de ce que l'on appelle les «Trojans-Hesse», bien que la loi interdise en fait à la police d'utiliser les méthodes des services secrets.
Les problèmes sociaux fondamentaux n'ont reçu que peu ou pas d'attention pendant la campagne électorale, bien que des rassemblements et des manifestations de protestation aient eu lieu dans de nombreuses villes. Rien qu'à Francfort, des milliers de personnes ont participé au cours des deux derniers mois à une série de manifestations contre la promotion de l'extrême droite par la grande coalition.
Le Parti de gauche joue un rôle clé dans le blocage de l'opposition croissante aux coupes sociales, aux loyers élevés et à l'extrémisme de droite. Ils s’efforcent de fournir au SPD et aux Verts une couverture de gauche pour leurs politiques de droite. En Hesse, toute leur campagne électorale avait pour but de prendre le pouvoir en alliance avec le SPD et les Verts.
Alors que Janine Wissler, candidate du Parti de gauche, s'est révélée être un chouchou des médias – le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) lui a consacré un article intitulé «La communiste charmante» – et a participé à de nombreux talk-shows, le Parti de gauche a été puni aux urnes. Malgré les pertes massives subies par le SPD, le total des voix du parti de gauche (6,3 %) n'était que légèrement plus élevé qu'il y a cinq ans. Par rapport aux élections du Bundestag de l'année dernière, il a subi une perte de 1,8%.
Dans ces conditions, l'Alternative d'extrême droite pour l'Allemagne (AfD) a pu entrer au parlement du Land de Hesse avec 13,1%. Pour la première fois, elle est désormais représentée dans le parlement de chaque État. Malgré les fortes pertes de la CDU, l'ancien premier ministre Volker Bouffier continuera à gouverner. La CDU et les Verts disposent d'une faible majorité d'une voix; aucune coalition tripartite excluant la CDU ne dispose d'une majorité.
Le gouvernement fédéral réagit à l'opposition populaire croissante en resserrant sa politique de droite. Le chef de la Chancellerie, Helge Braun (CDU), a déclaré que la Grande Coalition s’attèlera désormais «à la tâche» et «resserrera les rangs». La dirigeante du SPD Andrea Nahles a annoncé un «calendrier contraignant», et le secrétaire général du SPD Lars Klingbeil a expliqué: «Quelque chose doit changer ici à Berlin. Je ne pense pas qu'il y aura de nouvelles élections.»
Lundi, la chancelière Angela Merkel a annoncé qu'elle renoncerait à la présidence de la CDU lors du prochain congrès du parti en décembre, mais qu'elle continuerait d'être la chancelière. Auparavant, elle avait insisté pour que la même personne occupe les deux postes. Plusieurs jugent qu’il s’agit du début de la fin de sa carrière politique. Mme Merkel a présidé la CDU pendant 18 ans et dirigé le gouvernement pendant 13 ans.
Déjà le soir de l'élection, les commentateurs des médias réclamaient le retrait de Mme Merkel. «La chancelière Angela Merkel devra en porter les conséquences», écrit Spiegel Online.
«La marque Merkel est périmée, c'est l'un des messages de Hesse», a commenté le FAZ: «Ce serait une erreur pour Angela Merkel de se représenter à la présidence du parti CDU. Mais la chancelière a-t-elle reçu le message?»
Dans les coulisses, il y a évidemment aussi une discussion sur l'intégration de l'AfD dans les futurs gouvernements. Un jour avant les élections, Der Spiegel avait présenté Björn Höcke, qui se trouve à l'extrême droite de l'AfD, comme un homme politique aimable et sensible dans un compte rendu de six pages pour son édition imprimée, citant en détail son nouveau livre.
Les résultats des élections en Hesse montrent une fois de plus l'importance de la lutte pour la construction du Parti de l’égalité socialiste (SGP). C'est le seul parti qui lutte pour un programme socialiste dirigé contre le capitalisme et basé sur un mouvement indépendant de la classe ouvrière. Sans l'expropriation des grandes banques, des entreprises et de leurs actifs, et sans l'orientation de la vie économique vers les besoins de la société à l’encontre des intérêts de profit du capital, aucun problème social ne pourra être résolu.
(Article paru en anglais le 30 octobre 2018)