Environ 5000 jeunes travailleurs se sont réunis mercredi à Galle Face Green, dans le centre de Colombo, pour une manifestation de soutien à la campagne des travailleurs des plantations pour un salaire journalier de 1000 roupies (soit environ 6 dollars américains).
De nombreux jeunes hommes et femmes travaillant à Colombo et dans d’autres régions du pays ont participé à la manifestation en scandant des slogans jusqu’à midi. Ils ont demandé une résolution de la revendication salariale avant le 31 octobre.
Une nouvelle convention collective doit être signée entre les syndicats et la Fédération des employeurs du Sri Lanka à cette date. Avant les accords précédents, les syndicats utilisaient une rhétorique militante pour détourner la colère des travailleurs mais finirent par imposer de faibles augmentations de salaire liées à une charge de travail croissante. Cette fois, ils sont engagés dans des discussions en coulisses avec des entreprises.
Lorsque les manifestants ont commencé à marcher vers le secrétariat présidentiel à proximité, la police a érigé des barrages routiers pour les arrêter. Des policiers antiémeute armés de gaz lacrymogène, de matraques et de camions avec des canons à eau ont d’abord été mis en attente.
Un responsable du secrétariat présidentiel a informé les manifestants qu’ils devaient envoyer des représentants le lendemain matin pour rencontrer de hauts responsables. Les manifestants ont décidé d’attendre sur le site jusque-là.
Vers 20 heures, la police a soudain déchaîné la violence sur la manifestation pacifique, attaquant les jeunes à coups de matraque et les pourchassant.
Des milliers de travailleurs des plantations organisent des manifestations quotidiennes réclamant le doublement de leur salaire actuel de 500 roupies (2,5 euros) par jour ouvré. Les manifestations ont été organisées par l’Union nationale des travailleurs (NUW), dirigée par un ministre du gouvernement, P. Digambaram, qui a délibérément appelé des manifestations limitées sur une base échelonnée, craignant qu’un conflit majeur ne survienne.
En réponse à la manifestation de mercredi, l’association des planteurs a organisé une conférence de presse à Colombo pour rejeter la demande des travailleurs. Le président de l’association, Sunil Poholiyadde, a déclaré qu’une telle augmentation entraînerait l’effondrement du secteur des plantations. Il a insisté sur le fait que seule une augmentation de salaire de 20 pour cent, soit 100 roupies (0,50 euro), était possible.
Poholiyadde a affirmé qu’avec diverses indemnités, les travailleurs pouvaient atteindre 1000 roupies. Cependant, les travailleurs ont du mal à atteindre les exigences de productivité et de présence qui permettraient d’atteindre ce niveau de salaire.
La manifestation de Colombo marque une nouvelle étape du développement de la lutte de classe, dans le cadre d’une résurgence internationale de la classe ouvrière. En adoptant le nom « Groupe 24 », les jeunes ont utilisé les médias sociaux pour organiser la campagne, affirmant qu’ils voulaient faire entendre la demande justifiée des travailleurs des plantations et rassembler du soutien des travailleurs dans tout le pays et à l’étranger. C’est la première fois que des travailleurs sri-lankais mènent une telle campagne.
Prasad Kumar, un jeune médecin de l’armée, a déclaré aux journalistes du WSWS : « Les travailleurs des plantations ont énormément contribué à l’économie depuis plus de 200 ans depuis la domination britannique et 70 ans depuis l’indépendance du pays. Cependant, à l’instar des dirigeants impérialistes, les dirigeants sri-lankais les ont également négligés. Ils ne touchent que 500 roupies par jour […] Comment peuvent-ils se débrouiller avec 500 roupies par jour alors que le coût de la vie monte en flèche ? »
Kumar a expliqué que le groupe ne limitait pas la manifestation aux jeunes des plantations, mais invitait tous ceux qui soutenaient la revendication salariale. Ainsi, des jeunes du nord et des jeunes cinghalais du sud figuraient parmi les participants. Il a averti : « Les politiciens bourgeois cherchent à saisir ce genre d’occasions pour profiter de la situation. Certains partis politiques des plantations sont venus ici pour faire dérailler la manifestation. »
Parmi les manifestants se trouvaient des associés du NUW et du Congrès des travailleurs de Ceylan (CWC) – un autre syndicat basé dans une plantation, dirigé par l’ancien ministre du gouvernement, Arumugam Thondaman, et un ancien parlementaire, Shri Renga, qui s’est aligné maintenant avec Thondaman.
Les jeunes hommes et femmes qui ont pris la parole devant le WSWS ont exprimé leur opposition aux syndicats.
Yoga, un travailleur de textile à Colombo, a déclaré : « Les syndicats disent une chose aux travailleurs et discutent d’une autre chose avec les entreprises. Ils s’adressent aux travailleurs et leur disent : « Comme les usines sont sur le point de s’effondrer, vous feriez mieux d’accepter l’offre salariale et de retourner au travail. » Les travailleurs sont en train de tomber dans le précipice. C’est la raison pour laquelle beaucoup de membres de notre génération ont abandonné le travail pénible dans les domaines et vont à Colombo. Même en travaillant ici, nous ne faisons que survivre. »
Une jeune femme d’un domaine de Maskeliya, qui travaille actuellement comme vendeuse à Cargill’s Food City, a déclaré que ses parents l’avaient envoyée à l’école dans des conditions difficiles. « Nous avons dû marcher six kilomètres pour aller à l’école. Nous avons donc définitivement besoin d’un salaire de 1000 roupies (5 euros) par jour. J’ai terminé mon niveau avancé [condition pour pouvoir s’inscrire à l’université, ndt], mais je travaille comme vendeuse à Cargill pour aider mes parents à éduquer mes frères. »
« Chez Cargill, nous faisons face à des conditions de travail très difficiles. Nous arrivons au magasin à 7 heures du matin et commençons à travailler à 8 heures, jusqu’à 17 heures du soir. Parfois, nous enchainons un deuxième poste de roulement de manière continue. »
Prabu de Bibila a déclaré que personne dans sa famille ne travaillait maintenant dans les domaines, mais que leurs origines étaient dans les plantations. « Je suis donc venu ici pour soutenir la campagne sur les salaires. Je travaille sur un chantier de construction dans des conditions très difficiles et je reçois 1500 roupies (7,50 euros) par jour. Après avoir envoyé de l’argent à ma famille, ça ne fait pas assez pour vivre. »
Prabu a déclaré qu’il n’y avait pas d’installations de base pour les travailleurs des plantations, y compris un logement décent. « Les syndicats se vantent d’avoir construit des maisons pour les travailleurs des domaines, mais ils ne construisent que quelques maisons sans approvisionnement en eau suffisant ni toilettes convenables. » Il a ajouté : « Je suis d’accord avec vous pour construire une société qui respecte l’égalité sociale. Cela ouvrirait une énorme occasion. Nous aimerions discuter de ces questions. »
Parce que le Groupe 24 n’offrait aucune perspective politique, des organisations pro-capitalistes et en particulier une, dirigée par Shri Renga, se sont employés à détourner une partie des manifestants en encourageant à faire appel au gouvernement du président Maithripala Sirisena.
Au cours des derniers mois, les syndicats ont trahi les luttes impliquant les travailleurs des postes, des chemins de fer et des services des eaux, les exhortant à accepter les fausses promesses de Sirisena. Sirisena et le Premier ministre, Ranil Wickremesinghe, ont promis un salaire de 1000 roupies aux travailleurs des plantations lorsqu’ils ont fait campagne pour accéder au pouvoir, mais ont renié l’engagement pris. Néanmoins, les syndicats ont canalisé les travailleurs derrière ce gouvernement pro-impérialiste, qui applique les mesures d’austérité dictées par le Fonds monétaire international.
Les organisateurs dans la manifestation ont annoncé leur intention de diffuser le message concernant la lutte pour les salaires dans d’autres villes. C’est une initiative positive de la part de ces jeunes de sensibiliser les travailleurs à la situation et à la colère ressentie envers le gouvernement, les entreprises et les syndicats qui sont devenus leurs agences directes. Cependant, cela n’est pas politiquement suffisant pour gagner la bataille des plantations ou d’autres sections des travailleurs.
Dans son invitation à manifester, le groupe a déclaré : « Non à la politique ou aux organisations politiques ». Les organisateurs ont tenté de justifier cela en affirmant qu’ils entendaient interdire les partis et les syndicats de création. Cependant, une interdiction de la politique constituerait un obstacle à la révélation politique de ces partis et syndicats et à la mise en place d’une véritable direction de la classe ouvrière. La classe ouvrière a besoin d’une perspective politique socialiste.
Les membres du Parti de l’égalité socialiste (SEP) et de la jeunesse internationale et des étudiants pour l’égalité sociale (IYSSE) ont distribué un dépliant en langues cinghalaise et tamoule, soulignant la nécessité de créer un parti révolutionnaire parmi les travailleurs et les jeunes.
Soulignant la crise économique, politique et sociale sous-jacente, le tract expliquait que la classe ouvrière et les pauvres ne pouvaient pas exercer leurs droits démocratiques et sociaux au sein du système capitaliste. S’adressant spécifiquement aux travailleurs des plantations, la déclaration préconisait la création de comités d’action dans chaque domaine, élus par les travailleurs de manière démocratique, totalement indépendants des syndicats et des partis bourgeois.
« Ces comités doivent discuter et décider du salaire décent pour lequel les travailleurs devraient se battre. Ils doivent convoquer une conférence des délégués des travailleurs pour appeler à une lutte unifiée des plantations et d’autres secteurs. Il est nécessaire de lutter pour l’unité de la classe ouvrière internationale dans cette lutte. »
« Il s’agit avant tout d’une lutte politique. La classe ouvrière, y compris les travailleurs des plantations, ne peut réaliser ses droits que sous un gouvernement de travailleurs et de paysans qui nationalisera les grands domaines, les banques et les grandes entreprises sous le contrôle des travailleurs dans le cadre de la lutte pour le socialisme international. »
(Article paru d’abord en anglais le 27 octobre 2018)