La crise ouverte qui secoue le gouvernement depuis la démission du ministre de l‘Intérieur Gérard Collomb (ex-PS), un des fidèles de la première heure du président de la République, s'est intensifiée cette semaine. Macron avait annoncé un remaniement ministériel en profondeur la semaine dernière, mais à cette heure celui-ci n'a toujours pas été effectué.
Après les démissions en série des deux semaines précédentes, d'autres départs de ministres ont été annoncés en début de semaine. Devaient entre autre quitter le gouvernement, la ministre de la Culture Francoise Nyssen, le ministre de l‘Agriculture Stéphane Travers et le ministre à la Cohésion des territoires Jacques Mézard.
Le remaniement a été annoncé et repoussé plusieurs fois. Mardi, la presse avait été conviée pour une annonce imminente. Mais l'annonce s'est vue repoussée et puis annoncée pour vendredi après une prétendue absence d'entente entre Macron et son premier ministre Édouard Philippe. Selon la presse, Macron ne voulait pas d'une déclaration de politique générale du premier ministre devant l'Assemblée nationale à l‘occasion du remaniement, insistant que son discours du 9 juillet devant le Congrès réuni à Versailles restait le seul exposé valable de la politique gouvernementale.
Lors d'une conférence de presse hier, alors que les médias rapportaient que finalement le remaniement ne serait pas annoncé, Macron semblait totalement dépassé par la situation. Il s'est fendu d'une déclaration ubuesque: «Je fais les choses dans le calme, dans le respect des personnes. J'essaie de faire les choses de manière professionnelle ... Il faut faire les choses avec calme, méthode et bon rythme. Il n’y a aucune rupture, le gouvernement est au travail, aucun poste n’est vacant, les choses avancent.»
Une des difficultés admises par des responsables gouvernementaux pour trouver de nouveaux ministres a été les refus à répétition des politiciens pressentis pour faire partie d‘un nouveau cabinet, aucun ne voulant risquer sa carrière dans un gouvernement dont on considère les jours comptés. C'est une situation sans précédent dans la Ve République, où tout politicien à qui on demandait de devenir ministre se précipitait pour accepter.
Une difficulté particulière a été le remplacement de Collomb à l'Intérieur, son départ s‘étant fait sur fond de grogne persistante des forces de l‘ordre qui réclament depuis plusieurs années un accroissement de leurs moyens pour effectuer la répression généralisée que l'exécutif exige d‘eux.
Neuf ministres ont annulé des rendez-vous importants. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire ne s‘est par exemple pas rendu aux réunions annuelles du FMI et de la Banque Mondiale à Bali en Indonésie.
Indépendamment des figures qui accepteront de faire partie du gouvernement remanié, il est déjà clair que l‘agenda politique d‘austérité massive, de militarisme et d‘État policier de Macron, sur lequel s‘accordent tous les partis de la bourgeoisie, ne changera pas, ni sa collaboration intensifiée avec les syndicats pour l‘imposer. En accord avec la trajectoire de l‘ensemble de la bourgeoisie française, comme européenne et mondiale vers l’extrême droite, le remaniement représentera une droitisation majeure.
Depuis la démission de Collomb, le premier ministre agit en ce sens, poussant à l‘intégration de figures provenant de LR (Les Républicains).
Pour le moment, ce sont les différentes factions de ce parti qui poussent les plus hauts cris contre le gouvernement, attaquant son indécision et l‘accusant de répandre l‘instabilité au sommet de l’État. « On n’a rien pu nous dire … parce qu’on ne sait même pas s’il y aura un gouvernement!» a lancé le chef du groupe parlementaire LR Christian Jacob à l‘Assemblée.
Le député LR Guillaume Larrivé a déclaré :«Huit jours après la démission compulsive de monsieur Collomb ce n’est pas très sérieux de n’avoir toujours pas un gouvernement opérationnel (...) Le char de l’État n’est plus piloté (...) On n'est pas capable de trouver un ministre de l'Intérieur. C'est quand même surprenant !»
Des fractions de LR derrière Alain Juppé, l‘ex-premier ministre de Jacques Chirac qui avait déclenché une grève massive en 1995 par une attaque frontale des travailleurs du service public et des retraites, se sont mises en avant pour proposer une coalition.
Un autre ex-premier ministre de Chirac, Jean-Pierre Raffarin a déclaré qu‘il fallait «aller vers une logique de coalition», avec «des gens du centre gauche» mais aussi du «centre droit ... des gens, par exemple, proches d’Alain Juppé».
Une autre faction de LR située à l‘extrême droite proche de l'ex-président Sarkozy et de l'actuel dirigeant du parti, Laurent Wauquiez, est partout présente dans les interviews et les matinées politiques des stations de radio. Brice Hortefeux, ex-ministre droitier de l'Intérieur de Sarkozy et proche de Wauquiez a dénoncé «un désordre institutionnel et une pagaille politique jamais vus» au sommet de l'État.
Quelques jours seulement après la conférence conjointe de la cheffe du RN (ex-FN) Marine Le Pen avec le ministre italien néofasciste de l‘Intérieur Matteo Salvini, où elle assurait vouloir «prendre le pouvoir», ce parti se fait remarquer pas sa retenue. Sébastien Chenu, député RN et porte-parole du parti a seulement dit le 9 octobre sur BFM-TV: « C’est beaucoup de bruit pour pas grand chose ».
Même retenue chez le parti pseudo-de gauche de Jean-Luc Mélenchon, La France insoumise (LFI), dont les leaders ont réagi en raillant le gouvernement sans rien faire, ne serait-ce que pour le gêner. La députée LFI et porte-parole du parti, Danièle Obono, a affirmé dans une interview: «Nous ne sommes pas à la recherche de crise pour la crise», pour ensuite ajouter: «Que la Macronie soit en crise… nous, nous sommes spectateurs.»
Alors que Macron dirige le régime le plus à droite en France depuis la fin de l'Occupation, le site web de la fraction moréniste du NPA, Révolution Permanente, écrit que Macron est «à bout de souffle» parce qu‘il perd le soutien de sa «base de centre gauche», déçue d'une politique trop à droite. Le NPA invoque de façon typiquement pabliste une aile plus «à gauche» de la bourgeoisie, qu‘on pourrait soutenir contre une aile fasciste. En fait, l'essentiel pour eux est de subordonner les intérêts indépendants de la classe ouvrière à cette aile prétendument «démocratique».
Mais tous les partis bourgeois vont à la contre-révolution et à l’extrême droite, qu’ils soient prétendument «démocratiques» ou ouvertement néo-fascistes. En Allemagne, la Grande Coalition des partis «démocratiques», le SPD social-démocrate et la CDU chrétienne-démocrate, adopte la politique du parti d'extrême-droite AfD (12,6 pour cent des voix). La semaine dernière le dirigeant de l'AfD, Alexander Gauland a écrit un article réhabilitant l‘antisémitisme et la politique du «sang et du sol» de Hitler dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, un des principaux quotidiens du pays.
La question essentielle est le conflit qui s‘intensifie entre la bourgeoisie toutes nuances confondues et la classe ouvrière, la seule force progressiste et révolutionnaire dans la société. En France, la classe politique essaie pour le moment d‘effectuer son extrême droitisation sans le dire ouvertement, avec le prétexte qu'il existerait encore un «centre-gauche» et un «centre-droit» sur lequel s‘appuieraient un Macron et un Philippe. Mais cela ne change rien à la trajectoire de fond du gouvernement.