La démission le 2 octobre du ministre de l‘Intérieur Gérard Collomb, deuxième homme du gouvernement et ministre d‘État, dans des circonstances sans précédent sous la Ve République, a confirmé ce qui était clairement visible depuis la rentrée politique de septembre: l’extrême faiblesse du gouvernement Macron et sa crise grandissante.
Après que Macron ait une première fois refusé la démission de Collomb lundi 1er octobre, celui-ci l‘avait reposée une deuxième fois, forçant Macron à l‘accepter vingt-quatre heures après l’avoir refusée. Macron, pris de court, a du confier le poste à son premier ministre, Edouard Philippe, en attendant de trouver un remplaçant. Philippe a dû annuler un voyage officiel en Afrique du Sud.
Collomb avait déjà annoncé le mois dernier qu‘il avait l‘intention de quitter le gouvernement après les élections européennes de mai 2019 ostensiblement pour être candidat aux municipales à Lyon, en 2020, créant l’incertitude à la tête de ce ministère stratégique.
Le départ d’un fidèle de la première heure et l’effondrement subit du duo Macron-Collomb, un pilier de l‘exécutif depuis l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence, a directement fragilisé le président.
Bien que pressentie, la démission a aussi créé un choc dans la classe politique, car elle souligne l’instabilité du gouvernement alors qu’il essaye d‘imposer des attaques nombreuses et massives pour casser les droits sociaux et démocratiques acquis depuis la Libération.
La presse s’est alarmée des circonstances de la démission de Collomb et de ce qu‘elle révélait. «A l’an II du quinquennat, feu le ministre de l’Intérieur a défié le président de la République et l’a fait plier. Une première sous la Ve République dont on célèbre, jeudi 4 octobre, le 60e anniversaire», écrivait Le Monde le 3 octobre, avant d’ajouter: «Avec son départ, c’est bien une crise d’autorité au sommet de l’État que l’ancien allié d’Emmanuel Macron a déclenchée.»
Le journal souligne encore l‘impuissance visible du «chef du gouvernement, Edouard Philippe, qui passe pour un nigaud devant les députés, parce qu’il semble complètement pris de court», alors que la Constitution dit clairement que c‘est lui qui propose les nominations et les démissions.
Se faisant l‘écho d‘accusations que Collomb désertait l’État, le journal ajoute qu’après Macron et Philippe, «La troisième victime est Gérard Collomb lui-même dont on se demande s’il a bien mesuré la portée de son acte au regard de ce qu’on appelle la raison d’Etat».
Après son départ, Collomb a immédiatement pris ses distances du chef de l’État. Il a annoncé son intention de se présenter à Lyon sans étiquette, abandonnant ainsi La République en Marche (LRM), le parti de Macron. Et à présent, Collomb et ses proches se fendent de multiples commentaires acerbes et alarmistes dans la presse quant à la viabilité de la présidence de Macron.
Ses proches ont rapporté à la Dépêche du Midi que peu avant sa démission, Collomb aurait dit: «Ceux qui parlent franchement à Macron sont ceux qui étaient là dès le début: Ferrand, Castaner, Griveaux et moi. … Il va finir par ne plus me supporter. Mais si tout le monde se prosterne devant lui, il finira par s'isoler, car par nature l'Élysée isole.»
Collomb lui-même a déclaré sur LCI que sa relation avec Macron a explosé parce que «J'essayais de faire remonter les choses du terrain.» Il ajoutait sur BFM-TV que Macron sera victime de «l’hubris … la malédiction des dieux. Quand, à un moment donné, vous devenez trop sûr de vous, vous pensez que vous aller tout emporter (...) Il y a une phrase qui dit que les dieux aveuglent ceux qu'ils veulent perdre.»
Surtout, le départ de Collomb se fait sur fond d’une grogne vaste et persistante dans les rangs de la police et des forces de l‘ordre. Celle-ci s‘était déjà fait jour lors des manifestations policières fin 2016 et début 2017, que Collomb a mentionnées au début de son discours d‘adieu au ministère de l‘Intérieur le 3 octobre, en évoquant une «révolte» de la police.
Des milliers de policiers avaient alors défilé à plusieurs reprises dans des villes en France, réclamant plus de moyens et de reconnaissance pour le travail de répression tous azimuts et de plus en plus lourd qu‘ils effectuaient dans le cadre de l’état d‘urgence et de la prétendue «lutte contre le terrorisme».
Cette grogne était aussi apparue à l’arrière-plan de l‘affaire Benalla durant l‘été, qui avait déstabilisé la présidence. Lorsqu‘il fut rendu public qu‘Alexandre Benalla, un proche collaborateur du président avait tabassé des manifestants le 1er mai se faisant passer pour un policier, une bonne partie de l‘opposition parlementaire avait applaudi la police contre Macron.
En tête de cette opération se trouvait le LFI de Jean-Luc Mélenchon, allié au parti conservateur LR et agissant de concert avec le FN (à présent RN) néofasciste de Marine Le Pen. Tous ont saisi l’occasion pour monter une défense de la répression policière du Premier Mai.
Cet épisode avait confirmé que Macron avait perdu le soutien d‘une partie importante de ce qui avait été la principale base de soutien du gouvernement Hollande: les forces de police.
Alors que la fronde policière, qui persiste, est le terreau propice pour des coups de force d’extrême-droite, Mélenchon tente de la faire passer, contre toute évidence, pour quelque chose de progressiste et la police pour une force démocratique et républicaine.
En fait, face à la l’impopularité de l’exécutif, la police prépare une intensification de la répression des travailleurs et des quartiers populaires. Dans son discours de démission de mercredi, Collomb a insisté sur une intensification de l‘intervention des forces de l‘ordre dans les banlieues ouvrières où il fallait dit-il, «assurer la sécurité», parlant de « reconquete républicaine».
Avec Collomb, c‘est non seulement un des soutiens de la première heure de Macron qui quitte le navire. C‘est aussi le deuxième ministre d‘État qui s‘en va en un mois. Après la grève des cheminots et le passage de la loi de privatisation de la SNCF les taux de popularité du gouvernement ne cessent de chuter. Un sondage Elabe trouva que 6 pour cent de gens seulement pensaient que la politique de Macron améliorait leur situation personnelle.
Le départ de Collomb confirme l‘énorme faiblesse du gouvernement Macron qui est fondamentalement due, dans des conditions d‘inégalité sociale énormes et grandissantes dans le pays, à l’énorme opposition de la population travailleuse à son programme.
Le ralliement des dirigeants de LFI proches des appareils syndicaux à la cause de la police souligne la nécessité de franchir une nouvelle étape dans la lutte contre Macron et l’Union européenne. Pour stopper la course à l’austérité, à la guerre et à l’État policier, les travailleurs ne peuvent pas se mobiliser derrière les appareils syndicaux, qu’ils désertent de plus en plus. Il s’agit de construire leurs propres comités d’action et de préparer un mouvement qui soulèvera la nécessité du transfert du pouvoir à la classe ouvrière.