Vendredi soir, plusieurs centaines de néo-nazis ont défilé dans un quartier résidentiel de la ville ouvrière allemande de Dortmund. Ils brandissaient des drapeaux de l’Allemagne impériale, noir-blanc-rouge, et hurlaient des slogans néo-nazis. Leur slogan principal était : « Ceux qui aiment l’Allemagne sont antisémites ». Ils ont également scandé « La police, la démocratie, vous ne nous briserez jamais » et « Le socialisme national [le nazisme] maintenant ! » La police a laissé les nazis tranquilles et n’est pas intervenue.
Ce même jour, des extrémistes de droite ont de nouveau défilé dans la ville de Chemnitz. Selon les médias, les partisans de l’alliance « Pro-Chemnitz » ont attaqué les bureaux du Parti de gauche, où sont basés de nombreux membres de la législature de l’État de Saxe. Un journaliste aurait également été attaqué lors de la marche de droite.
Samedi, dans la ville bavaroise de Bamberg, un supposé « centre d’ancrage » pour les réfugiés, a été incendié. Il a fallu plusieurs heures pour éteindre l’incendie et évacuer des centaines de demandeurs d’asile. La police a déclaré que la cause de l’incendie n’était pas claire et qu’il n’y avait aucune preuve d’incendie criminel ou d’attaque xénophobe.
Le caractère antisémite de ces attaques de droite a provoqué l’indignation dans le monde entier. À la fin du mois d’août, une dizaine de néonazis avaient attaqué le restaurant juif « Shalom » à Chemnitz avec des pierres, des bouteilles et des tuyaux en acier et avaient insulté le propriétaire. A New York, un porte-parole du Congrès juif mondial a appelé le gouvernement allemand à intervenir contre la montée des attaques antisémites.
Mais le gouvernement allemand est la mauvaise adresse pour de telles demandes. Qu’aujourd’hui, 85 ans après la prise du pouvoir par les nazis et l’horreur fasciste ultérieure en Europe, qui a coûté la vie de 6 millions de Juifs, des gangs nazis marchent à nouveau dans les rues en scandant des slogans antisémites sous les yeux de la police est le produit de la politique du gouvernement allemand. La grande coalition des démocrates-chrétiens (CDU-CSU) et des sociaux-démocrates (SPD) est responsable du retour des hordes nazies.
La grande coalition, dont les partis qui le constituent ont tous vu leurs votes dégringoler dans les élections législatives de l’année dernière a adopté le slogan des néo-nazis : « Les étrangers dehors ! » comme ligne directrice de sa politique concernant les réfugiés, ce qui est profondément haï. Le gouvernement a mis en place un système inhumain de camps de concentration pour détenir, intimider et expulser les réfugiés le plus rapidement possible.
Le ministre de l’Intérieur, Seehofer (CSU) a déclaré que l’immigration était la « mère de tous les problèmes ». Fin Août, quand des voyous d’extrême droite ont traqué et attaqué des étrangers à Chemnitz et ont aussi attaqué un restaurant juif, Seehofer a déclaré que les manifestants étaient des « citoyens inquiets » et a ajouté qu’en tant que citoyen de Chemnitz, lui aussi serrait descendu dans la rue.
Avec le chef des services secrets d’alors, Hans-Georg Massen, le ministre de l’Intérieur a minimisé les événements. Massen avait offert aux néo-nazis sa protection en niant que les réfugiés aient été « traqués » à Chemnitz. Jusqu’au dernier moment, Seehofer a refusé de licencier Massen ; celui-ci a, par contre, été promu à un poste influent au ministère de l’Intérieur.
Massen entretient des liens étroits avec les cercles de droite. C’est un partisan de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui a une aile ouvertement néo-fasciste. Il avait mené plusieurs discussions avec les dirigeants de l’AfD et s’était assuré que le parti ne soit pas cité comme une organisation d’extrême droite dans le Rapport annuel sur la protection constitutionnelle préparé par les services secrets. Au lieu de cela, tous ceux qui s’opposent à l’extrême droite sont stigmatisés dans le rapport comme des « extrémistes de gauche ».
Le SPD joue un rôle clé dans cette conspiration de droite.
Lorsque la promotion de Massen a déclenché une tempête d’indignation dans de larges sections de la population, la dirigeante du SPD, Andrea Nahles a suggéré la « renégociation » du « cas Massen » pour garantir que l’influence politique croissante de ce partisan de l’AfD au sein du gouvernement soit cachée dans la mesure du possible. À la suite des récents pourparlers de haut niveau, il ne serait plus secrétaire d’État, mais « conseiller spécial » du ministère de l’Intérieur et il continuerait à recevoir son plein salaire de plus de dix mille euros par mois.
Nahles cherche à maintenir la grande coalition au pouvoir face à une résistance populaire croissante. Dans une lettre aux membres du SPD, elle justifie la poursuite de la collaboration avec Mme Merkel, Seehofer et compagnie comme suit : « L’Europe est confrontée à un test crucial, il y a la menace d’une guerre commerciale avec les États-Unis, la situation en ce qui concerne la Syrie exige toute notre compétence diplomatique. C’est pourquoi il est important que le SPD préserve un gouvernement fédéral efficace », a-t-elle souligné.
Le SPD avait aspiré à faire continuer la grande coalition au printemps et il la défend maintenant de toutes ses forces parce qu’il considère ce gouvernement comme l’instrument politique avec lequel il peut défendre les intérêts économiques et géostratégiques de l’impérialisme allemand dans la crise même dont Nahles a parlé dans sa lettre aux membres. Elle réagit à la crise en Europe en prônant une domination allemande accrue et utilise la guerre commerciale croissante avec les États-Unis comme une opportunité de faire passer un programme de réarmement militaire massif.
Un entretien avec l’ancien chef du SPD et ancien ministre des affaires étrangères, Sigmar Gabriel, dans le nouveau numéro de Der Spiegel le montre clairement. Il prévient que la « grande question concernant la place de l’Allemagne dans le monde » reste sans réponse.
Avec la présidence de Donald Trump, les Etats-Unis avaient renoncé à leur rôle de dirigeant dans le monde occidental, a-t-il déclaré. « Nous vivons une lutte pour la souveraineté de l’Europe dans un monde complètement différent ». Cependant, selon Gabriel, c’était aussi « une bonne chose si nous autres Européens sommes obligés de prendre notre destin en main. » Le danger qui émane de l’Allemagne n’était pas le danger de la domination militaire, mais de « la domination de l’inaction ».
Gabriel appelle à des « débats plus stratégiques » déclarant, « Tout d’abord nous devons comprendre que la rigueur morale peut être tout aussi erronée que de renoncer à la morale. » Dans ce rejet de la morale, il fait l’écho à des déclarations du politologue Herfried Münkler. Ce professeur de l’Université Humboldt a souligné à plusieurs reprises par le passé que « nous, Allemands, sommes toujours heureux de défendre la moralité. Ce serait mieux si nous admettions que nous avons aussi des intérêts. »
Münkler a appelé à ce que l’Allemagne, en tant que « puissance au centre », soit le « champion de l’Europe » pour pouvoir jouer un rôle dans la politique mondiale. Le professeur était pleinement conscient du fait que le réarmement allemand exige le blanchiment les crimes passés de l’Allemagne. Il a déclaré : « Il n’y a pratiquement pas de politique responsable en Europe si vous avez l’idée que nous sommes responsables de tout. En ce qui concerne 1914 [le déclenchement de la Première Guerre mondiale], c’est une légende. »
Son collègue de l’Université Humboldt, le professeur d’histoire de l’Europe de l’Est, Jörg Baberowski, a entrepris de minimiser les crimes des nazis. La même année, il a défendu Ernst Nolte, le défenseur des nazis le plus connu parmi les historiens allemands, et il est allé jusqu’à défendre Adolf Hitler. « Hitler n’était pas un psychopathe, il n’était pas cruel. Il ne voulait pas parler de l'extermination des Juifs à sa table », a-t-il déclaré au magazine allemand Der Spiegel.
Le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste, SGP) et son organisation de jeunesse, l’IYSSE (International Youth and Students for Social Equality, Jeunes et Étudiants internationalistes pour l’égalité sociale, EJIES), ont été les seules organisations politiques à s’opposer à cette falsification historique. « Les efforts visant à établir un récit historiquement faux coïncide avec un tournant décisif dans l’histoire allemande », ont déclaré le SGP et l’IYSSE en février 2014, se référant à l’annonce du gouvernement fédéral qui rendait révolues les décennies de contrainte militaire en Allemagne. « La renaissance du militarisme allemand nécessite une nouvelle interprétation de l’histoire qui minimise les crimes de l’ère nazie. »
Les événements récents ont confirmé l’exactitude de cette évaluation. Le retour du militarisme allemand fait également revivre tous les fantômes du passé. Le seul moyen d’empêcher la renaissance du nazisme et du militarisme impérialiste est de mobiliser la classe ouvrière sur la base d’un programme socialiste révolutionnaire.
(Article paru en anglais le 24 septembre 2018)