Le sommet de l’UE entaché de menaces et d’ultimatums sur le Brexit

La Première ministre britannique Theresa May a subi une humiliation politique à Salzbourg, lorsque les dirigeants de l’Union européenne (UE) ont repoussé son appel pour qu’ils apportent au moins un soutien conditionnel à la proposition d’un « Brexit doux » (sortie en douceur de l’UE).

May n’a eu droit qu’à dix minutes pour s’adresser aux chefs d’État européens mercredi, après le dîner au sommet informel, au cours duquel elle a lancé un appel à son public : « Vous êtes des participants à notre débat et pas seulement d’observateurs. »

Elle avait compté sur au moins des murmures de soutien pour son plan « sérieux et réalisable », étant donné qu’elle cherchait à écarter un potentiel défi de la part de l’aile eurosceptique du parti conservateur en faveur d’un « Brexit dur » (sorite de l’UE sans accord). Elle a averti que le Royaume-Uni pourrait être déchiré – en ce qui concerne l’Irlande du Nord et l’Écosse, ainsi que par les tensions sociales ; que si son gouvernement tombait, le Parti travailliste de Jeremy Corbyn pourrait remporter une élection générale et a également évoqué le préjudice potentiel pour l’UE en raison de la perte de commerce, d’investissement et de soutien militaire du Royaume-Uni.

Au lieu de cela, son allocution a rencontré un silence et ses menaces implicites ont été rejetées, alors que les principaux acteurs de l’UE se sont réunis le lendemain pour déclarer ses propositions « inapplicables ».

Avant l’allocution de May au dîner, le président du Conseil européen, Donald Tusk, avait rejeté la proposition de May d’une zone de libre-échange UE-Royaume-Uni couvrant les biens et l’agriculture, mais pas les services, laquelle a-t-elle affirmé éviterait le besoin de tarifs douaniers et de contrôles frontaliers, notamment entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande au Sud, qui est un État membre de l’UE. Le « cadre proposé pour la coopération économique ne fonctionnera pas, notamment parce qu’il risque de compromettre le marché unique », a déclaré Tusk.

Selon certains May aurait été « stupéfiée », « choquée », « humiliée » ou « en colère ».

Tusk a posé un ultimatum en déclarant que, sans progrès décisif sur la question de la frontière irlandaise, il y aurait « un moment de vérité » d’ici le sommet européen prévu le 18 octobre, date à laquelle les négociations sur le Brexit devraient être finalisées. Sinon, il ne convoquerait pas le sommet européen prévu à Bruxelles les 17 et 18 novembre pour « finaliser et formaliser » un accord. « Je ne peux pas exclure la possibilité d’une absence d’accord. Nous ne sommes pas prêts à faire des compromis sur nos quatre libertés, tant sur notre marché unique que sur les frontières irlandaises », a-t-il déclaré.

Le président français Emmanuel Macron, qui serait l’auteur principal de la position dure de Tusk, a déclaré lors de la clôture du sommet : « Nous nous devons défendre le marché unique et sa cohérence. En l’état, le plan de Chequers [référence à la résidence de campagne des Premiers ministres britanniques] ne saurait être un plan à prendre ou à laisser […] Le Brexit nous montre une chose : ce n’est pas si facile de quitter l’Union européenne. Ce n’est pas sans coût. Ce n’est pas sans conséquences. »

La victoire du camp favorable à la sortie de l’UE lors du référendum de 2016 en Grande-Bretagne a été « poussé par certains qui prédisaient des solutions faciles », a-t-il ajouté. « Ce sont des menteurs ».

La chancelière allemande, Angela Merkel, a déclaré qu’il fallait « du progrès considérable » sur l’accord de la sortie du Royaume-Uni d’ici octobre et que les 27 membres restants de l’UE étaient « unis pour dire que en ce qui concerne le marché unique, il ne peut y avoir aucun compromis ».

Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a déclaré que l’exécutif européen s’est préparé « en détails » pour un Brexit « sans accord », « alors soyez heureux, ne vous inquiétez pas. »

En commentant des propos non-attribués avant le sommet selon lesquels le Royaume-Uni serait forcé à battre en retraite sur son Brexit au « moment le plus sombre », le président de la République tchèque, Andrej Babis, et son homologue maltais, Joseph Muscat, ont ouvertement déclaré que Theresa May n’était même plus considérée comme un partenaire de négociation viable.

Ils estiment que sa chute et la probabilité que le parlement britannique vote contre une proposition de « Brexit dur » pourraient créer les conditions d’un deuxième référendum donnant lieu à un vote en faveur de rester dans l’UE. Babis a déclaré que « la plupart d’entre nous souhaiteraient une situation où le peuple britannique pourrait mettre les choses en perspective, ayant vu ce qui a été négocié, les options, et puis de prendre une décision une fois pour toutes ».

Les adversaires pro-Brexit de May dans son parti ne lui ont laissé aucune marge de manœuvre. Jacob Rees-Mogg s’est réjouit que les propositions de May aient fait « plouf » et que le leader adjoint du Parti unioniste démocrate (DUP), Nigel Dodds, a insiste pour dire que la préservation « de l’intégrité politique, constitutionnelle et économique du Royaume-Uni » était « la priorité absolue pour nous ».

May dépend des 10 députés du DUP pour sa majorité parlementaire.

Avec nulle part où aller, May a réitéré : « Il n’y aura pas de second référendum […] Je pense que les autres ont commencé à se rendre compte davantage de ce qui va se produire. Nous allons quitter l’Union européenne. »

Le Financial Times a conclu que « May se battra pour maintenir son plan, et peut-être son poste de Premier ministre, en vie » à la conférence du Parti conservateur dans un peu plus d’une semaine. Mais, lui aussi, espérait qu’une « agitation d’activité diplomatique » se produirait, car « un Brexit en douceur – pour protéger le commerce et les relations diplomatiques – reste dans l’intérêt de toutes les parties. »

Le FT a également pris en compte les difficultés et les tensions plus larges auxquelles l’UE était confrontée, déclarant : « Le problème irlandais est un défi plus vaste. Tout au long du débat sur le Brexit, trop d’attention a été accordée à la politique britannique, en particulier aux désirs et aux caprices des conservateurs. Mais d’autres pays européens sont également confrontés à de grands défis politiques. Les forces populistes montent en puissance en Italie en Suède et plus à l’est en Pologne. Le dénominateur commun est une révolte contre Bruxelles. »

Ces tensions ont explosées lors du sommet où Macron a dénoncé les gouvernements de droite en Italie, en Autriche, en Hongrie, en République tchèque, en Pologne et en Slovaquie, qui « ne veulent pas s’en tenir au droit humanitaire et au droit maritime international et refusent de laisser les bateaux accoster » dans leurs ports » pour être responsables de « la crise et les tensions impliquant l’immigration ».

« Les pays qui ne font preuve d’aucune solidarité devront finalement quitter Schengen et ils ne bénéficieront plus de l’aide financière de l’UE », a-t-il menacé.

Malgré cela, l’éditorial du FT a déclaré que le mieux que l’on puisse espérer à court terme est un compromis dans lequel « les questions vitales sur l’avenir de la nation seraient reportées pour être tranchées dans la période de transition : en clair cela revient à déplacer le bord du gouffre de mars 2019 à décembre 2020. »

Au Royaume-Uni, l’impasse dans laquelle se trouve le Parti conservateur incite à des efforts conjoints pour que le Parti conservateur s’engage à promouvoir un deuxième référendum et à destituer Corbyn de la tête du parti. Son arrivée au pouvoir est impensable pour l’élite dirigeante quelle que soit sa position sur le Brexit, car il est associé dans l’esprit populaire aux revendications de mettre fin à l’austérité et au militarisme.

Des sondages ont été publiés cette semaine, indiquant que le Parti travailliste pourrait gagner plus de 1,5 million d’électeurs supplémentaires s’il soutenait un second référendum par le groupe de campagne People’s Vote (Vote du peuple). Mené conjointement par la blairiste Chuka Umunna et Anna Soubry du Parti conservateur, People's Vote organise une manifestation à Liverpool dimanche pour coïncider avec le début de la conférence annuelle du Parti travailliste.

La conférence examinera les motions de plus de 100 sections locales du parti qui appuieront un référendum sur tout accord final sur le Brexit. Le groupe pro-Corbyn Momentum a déclaré qu’il ne fera pas d’opposition à un tel débat.

Peu importe la manière dont ces conflits se déroulent, la Grande-Bretagne et l’ensemble de l’Europe font face à une crise qui s’aggrave qui menace de déchirer l’UE. La montée des antagonismes inter-impérialistes et sociaux a pris une forme dramatique dans le Brexit auquel de sections dominantes de la City de Londres, de grandes entreprises, tous les grands partis et les alliés britanniques aux États-Unis et en Europe se sont tous opposés. Pourtant, deux ans plus tard, May mène une lutte désespérée contre sa faction anti-UE en faveur d’un « Brexit dur », les États-Unis sont dirigés par un président qui a déclaré son soutien à l’éclatement de l’UE et de nombreux gouvernements d’extrême droite sont arrivés au pouvoir en partie en exploitant l’hostilité populaire à l’austérité dictée par l’UE.

Le capitalisme, à mesure qu’il descend de plus en plus dans la guerre commerciale et militaire, s’est révélé incapable de réaliser l’unification progressiste du continent européen. Cette tâche incombe désormais à la classe ouvrière européenne à travers une lutte contre toutes les factions de la classe dirigeante – que ce soit ceux en faveur de quitter et rester dans l’UE – et pour le socialisme.

(Article paru en anglais le 22 septembre 2018)

Loading