Lundi soir, un millier de néonazis se sont rassemblés dans la ville de Chemnitz en Allemagne de l’est, scandant des slogans de droite. La veille, des centaines d’extrémistes de droite avaient défilé dans le centre de la ville et chassé des personnes qu’ils identifiaient comme des immigrants ou des réfugiés. Des images postées sur les réseaux sociaux montrent des manifestants de droite menaçant et attaquant des personnes et scandant des slogans tels que « C’est notre ville », « Dégagez de notre ville » et « Libre, social et national ».
Les manifestations contre les étrangers ont été organisées par l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) d’extrême droite et par un groupe de supporters de foot voyous de droite connu sous le nom de « Kaotica Chemnitz ».
Les extrémistes de droite ont organisé les manifestations en réaction à la mort d’un homme de 35 ans samedi soir. Les circonstances de la mort de l’homme ne sont pas claires. Selon la police, « plusieurs personnes de nationalités différentes » ont été impliquées dans une rixe après le festival de la ville. Plusieurs participants ont ensuite fui les lieux du crime, et un Irakien de 22 ans et un Syrien de 23 ans ont été arrêtés. Les deux hommes sont accusés par la police d’avoir poignardé à plusieurs reprises l’homme de 35 ans.
Lundi, les médias ont rapporté que le défunt était un Allemand d’origine cubaine qui avait « liké » plusieurs posts sur des médias sociaux antinazis et avait fait des déclarations critiques à l’égard de l’AfD.
Tant le gouvernement fédéral que le gouvernement de l’État de Saxe ont été obligés de prendre leurs distances avec les actions de la bande de droite. « Ce qu’on a vu hier à Chemnitz et enregistré dans des vidéos n’a pas sa place dans notre État constitutionnel », a déclaré lundi à Berlin le porte-parole du gouvernement, Steffen Seibert. « Nous n’acceptons pas de telles bandes, traquant des gens qui semblent être différents ou étrangers, ou essayant de semer la haine dans nos rues. Nous n’avons pas de place pour cela dans nos villes et je peux dire que le gouvernement fédéral le condamne avec la plus grande fermeté. »
Le Premier ministre de l’État de Saxe, Michael Kretschmer (Union démocrate chrétienne, CDU), a déclaré qu’il était « dégoûtant de voir comment les extrémistes de droite attisent des choses sur Internet et appellent à la violence. Nous ne permettrons pas que le chaos porte atteinte à l’image de notre pays. » Le commissaire fédéral aux affaires est-allemand et ministre des affaires économiques de Saxe, Martin Dulig (Parti social-démocrate, SPD), a ajouté que « de justiciers autoproclamés, la spéculation et la rumeur n’ont pas leur place après cette attaque mortelle au couteau ».
Ces déclarations ne peuvent masquer le fait que les partis de l’establishment portent une responsabilité politique directe dans les événements de type pogrom à Chemnitz. Les extrémistes de droite ont été encouragés par la politique anti-réfugiés des partis au pouvoir. La grande coalition des démocrates-chrétiens et des sociaux-démocrates au niveau fédéral et les différents gouvernements des États a effectivement adopté les politiques anti-réfugiés xénophobes de l’AfD. Un réseau de camps pour détenir les réfugiés est en train d’être réalisé dans tout le pays, des déportations massives ont lieu et les médias et tous les partis de l’establishment incitent à la haine démagogique contre les réfugiés.
Les événements récents à Dresde ont mis en évidence les liens étroits entre les groupes d’extrême droite, l’appareil répressif de l’État et les partis traditionnels. Le 16 août, une équipe de télévision de ZDF, qui a tenté de filmer une manifestation du groupe d’extrême droite Pegida, a été arrêtée par la police pendant trois quarts d’heure après la provocation d’un manifestant. Les identités des membres de l’équipe ont été contrôlées et on leur a empêché d’effectuer leur travail pendant près d’une heure.
Il a été révélé par la suite que le manifestant de Pegida qui a provoqué l’incident est un employé de la police judiciaire de Saxe (LKA), qui entretient des liens étroits avec les extrémistes de droite. Kretschmer, le chef de la police de Dresde, Horst Kretzschmar, et le président du syndicat allemand de la police, Rainer Wendt, ont tous soutenu la police de Saxe et défendu l’attaque contre la liberté de la presse.
Le rapport annuel publié le mois dernier par les services secrets nationaux (BfV), qui qualifiait d’« extrémistes » plusieurs organisations politiques de gauche, y compris le Parti de l’égalité socialiste (SGP) allemand, fut étroitement coordonné avec l’AfD d’extrême droite.
Ces dernières semaines, on a appris que le chef de la BfV, Hans-Georg Maassen, avait rencontré à plusieurs reprises des représentants importants de l’AfD, dont le chef du parti, Alexander Gauland, son prédécesseur, Frauke Petry, et le député AfD, Stephan Brandner. Ce dernier doit son poste de président de la commission des affaires juridiques du Bundestag (parlement allemand) au vice-président du Bundestag, le social-démocrate Thomas Oppermann, qui l’avait désigné pour le poste lors d’un vote à bulletin secret.
La décision du SPD de reconduire la grande coalition impliquait la décision consciente de faire de l’AfD le parti d’opposition officiel au Bundestag.
En Saxe, le milieu extrémiste de droite a des liens étroits avec l’appareil d’État. En 2015, l’Agence nationale pour l’éducation civique participa à la création du mouvement de droite Pegida. De nombreux néo-nazis font partie des effectifs des services secrets, qui protègent les extrémistes de droite. Le dernier rapport des services secrets intérieurs de Saxe mentionne explicitement que « L’AfD et Pegida de Dresde ne sont pas surveillés par l’Office fédéral pour la protection de la Constitution ou l’Office national pour la protection de la Constitution de Saxe. »
De manière significative, la bande néo-nazie a pu traverser Chemnitz presque sans être dérangée par la police dimanche et lundi. « Plusieurs témoins ont déclaré que les participants à la manifestation de droite pouvaient se déplacer sans intervention de la police », a rapporté le Leipziger Volkszeitung. Sur les réseaux sociaux, plusieurs participants à une contre-manifestation de gauche ont déclaré avoir été agressés sur le chemin du retour.
On ne peut exclure que l’apparition des manifestants néonazis ait été étroitement coordonnée, voire provoquée par les services de sécurité. L’AfD, qui a des liens étroits avec la police et les services de renseignement, a incité la bande de voyous de droite. Le député de l’AfD, Markus Frohnmaier, a appelé dimanche sur Twitter à faire justice soi-même : « Si l’État ne peut plus protéger les citoyens, les gens descendent dans la rue et se protègent. »
Le vice-président de l’AfD de Saxe, Siegbert Droese, a défendu les actions des extrémistes de droite lors d’une conférence de presse lundi en déclarant : « Comment cela a pu arriver […] Je peux tout à fait comprendre ». Droese et Frohnmaier (un ancien membre du CDU) appartiennent à aile d’extrême droite nationale (“völkisch”) de l’AfD. Selon les médias, Droese possède une voiture AfD bleue avec la plaque d’immatriculation L-AH1818 – comprenant les initiales d’Adolf Hitler.
Les émeutes néo-nazies à Chemnitz sont un grave avertissement. Au bout du compte, ils sont le résultat du retour de l’Allemagne à une politique étrangère militariste poursuivie par le gouvernement fédéral avec l’adoption d’un nouveau document de stratégie pour la Bundeswehr (l’armée allemande) et l’appel du ministre SPD des Affaires étrangères Heiko Maas à ce que l’Allemagne poursuive une politique de « grande puissance » indépendante des États-Unis. Comme dans les années 1930, les politiques réactionnaires de la classe dirigeante – le militarisme, le renforcement de l’État policier et l’austérité sociale – exigent la promotion du nationalisme et du racisme.
(Article paru en anglais le 28 août 2018)