«Je suis ton garçon; mais quand privé de tous les sens je suis couché dans tes bras, où est ton garçon?»
Der Rosenkavalier, Richard Strauss, livret de Hugo von Hofmannsthal
Le dernier épisode du drame #MeToo s'est déroulé plus tôt cette semaine suite à la révélation que l'actrice italienne Asia Argento, l'une des victimes présumées du producteur Harvey Weinstein, aurait acheté le silence d'un jeune homme qui l'a accusée de l’avoir agressé sexuellement.
Le New York Times a rapporté dimanche que «dans les mois qui ont suivi ses révélations sur M. Weinstein en octobre dernier, Mme Argento a secrètement arrangé le paiement de 380.000 dollars à son propre accusateur: Jimmy Bennett, un jeune acteur et musicien de rock qui a dit qu'elle l'avait agressé sexuellement dans une chambre d'hôtel en Californie en 2013, alors qu'il n'avait que dix-sept ans et deux mois. Elle avait 37 ans. L’âge de consentement en Californie est de 18 ans.»
Bennett a joué avec Argento dans The Heart is Deceitful Above All Things (2004, Le livre de Jérémie), un film que l'actrice a également réalisé et coécrit. «Après la sortie du film, explique Peoplemagazine, «ils seraient restés proches, s’appelant souvent l’un et l’autre par diverses variations de “maman” et “mon fils” à travers les médias sociaux.»
Selon le journal, «pour M. Bennett [...] la rencontre de la chambre d’hôtel en 2013 était une trahison qui a provoqué une spirale de problèmes émotionnels, selon les documents. [...] Les retombées d'une “agression sexuelle” furent si traumatisantes qu'elles avaient entravé le travail et le revenu de M. Bennett et menacé sa santé mentale, selon un avis d'intention de poursuivre en justice que son avocat a envoyé en novembre [2017].» La lettre de l'avocat «demandait des dommages-intérêts de 3,5 millions de dollars pour avoir infligé intentionnellement de la détresse émotionnelle, des pertes de salaire, et des coups et blessures.»
Le défunt Anthony Bourdain, personnalité de la télévision culinaire et petit ami d’Argento, a apparemment aidé à «gérer» l’affaire avec l’aide d’avocats. Au bout du compte, Argento a accepté de verser à Bennett 380.000 dollars sur un an et demi. Un premier paiement a été effectué en avril.
La lettre d'intention de l'avocat de Bennett affirme que pour le jeune homme, selon le New York Times, «voir Mme Argento se présenter en tant que victime d'agression sexuelle était trop lourd à porter ... et a rappelé des souvenirs de leurs retrouvailles à l'hôtel. «Ses sentiments à propos de ce jour sont ressortis récemment lorsque les projecteurs ont été braqués sur Mme Argento en tant qu'une des nombreuses victimes de Harvey Weinstein», peut-on lire dans la lettre.
À première vue, les allégations de Bennett semblent à la fois opportunistes et mercenaires. La rencontre avec Argento a peut-être été beaucoup de choses, mais cela ne semble pas mériter une condamnation morale ou une procédure pénale. Pour sa part, Argento nie fermement toute relation sexuelle avec le jeune acteur et musicien. Dans un tweet, où elle se décrit comme «profondément choquée et blessée», l'actrice écrit que, après plusieurs années d'amitié avec Bennett, «de façon inattendue il m'a fait une demande exorbitante d'argent». Argento affirme que Bourdain, ne voulant pas «la moindre publicité négative» et considérant Bennett comme «dangereux», «s'est personnellement engagé à aider Bennett financièrement».
Argento, fille du talentueux cinéaste italien de films d’horreur Dario Argento, a joué un rôle déplorable dans la campagne #MeToo. Ses allégations selon lesquelles Weinstein l'aurait agressée en 1997 pendant le Festival de Cannes étaient en évidence dans l'article de Ronan Farrow du magazine New Yorker d'octobre 2017 qui a contribué à lancer la chasse aux sorcières actuelle. Dans le même article, elle a concédé «qu’elle a finalement cédé aux avances de Weinstein et s'est même rapprochée de lui. Weinstein dînait avec elle et l'a présentée à sa mère ... Elle a déclaré avoir eu des relations sexuelles consensuelles avec lui à maintes reprises au cours des cinq années suivantes.»
Depuis la publication de l'article du New Yorker, Argento a encouragé l'hystérie entourant les agressions sexuelles ainsi que les attaques contre la procédure régulière et d'autres droits démocratiques. À Cannes, en mai de cette année, sur scène pour présenter le prix de la meilleure actrice, Argento a de nouveau affirmé qu’elle avait été violée par Harvey Weinstein. L'actrice a poursuivi: «Même ce soir, assis parmi vous, il y a ceux qui doivent être tenus responsables de leur conduite contre les femmes. Mais le plus important, nous savons qui vous êtes et nous ne vous permettrons plus de vous en sortir indemnes.» Ce type de menace vague, maccartiste, non étayée par des preuves, pue la vengeance et constitue une tentative d'intimidation.
Sans surprise, l'avocat de Weinstein, Benjamin Brafman, a suggéré que la révélation du New York Times au sujet du paiement à Bennett, «révèle un niveau étonnant d'hypocrisie ... En même temps qu'Argento travaillait sur son propre règlement secret pour l'allégation d’agression sexuelle sur un mineur, elle se positionnait au premier plan de ceux qui condamnaient M. Weinstein, en dépit du fait que sa relation sexuelle avec M. Weinstein se faisait entre deux adultes consentants et durait depuis plus de quatre ans.»
Le travail d'un avocat consiste à faire de son mieux pour son client, mais cette réaction n'est évidemment pas satisfaisante ni adéquate.
«L'hypocrisie» n'est pas l’enjeu principal ici. Bien que l’on puisse juger en partie que l'actrice italienne a été prise à son propre piège, ce qui ressort de chaque côté de l'affaire Argento, tant son bilan d'allégations non fondées que les accusations apparemment absurdes contre elle, est le caractère dégradant et malhonnête de l'ensemble du mouvement #MeToo.
Nous sommes en désaccord total avec Argento et ses opinions, mais il n'est pas difficile de voir comment toute cette entreprise risque de devenir tragique pour elle. Sur la base vraisemblablement de mauvais conseils des autres et de mauvaises décisions de sa part, elle a participé bruyamment dans la campagne #MeToo, en devenant même un porte-parole de premier plan.
Au milieu de cela, elle a perdu son petit ami, Bourdain, qui s'est suicidé (et il est concevable que la situation avec Bennett ait été un facteur dans sa crise ultime de dépression sévère). Maintenant, elle se retrouve elle-même sur la liste noire. À la suite de l'histoire Bennett, le Hollywood Reporter explique, «Sky Italia et FreemantleMedia Italia, les producteurs du concours de chant X Factor Italy, où Argento est membre du jury, a publié une déclaration disant [que] [...] si l'histoire du New York Times “devait être confirmée”, alors le spectacle n'aurait pas d'autre choix que de couper les liens avec Argento.»
Dans le même temps, un porte-parole du département du shérif du comté de Los Angeles a dit à AFP que, malgré le fait qu'il n'y avait pas d'«enquête ouverte des allégations d'agression sexuelle contre Argento, «Il y aura des enquêtes.»
Et, cela va sans dire, le New York Times et les médias en général n'ont aucun problème à se retourner contre elle.
Le Daily Telegraph britannique fait déjà référence au «succès et à la ruine» d’Argento. Un titre de Yahoo! Lifestyle se lit comme suit: «Examiner les accusations d’Asia Argento: lorsque la victime présumée devient l'agresseuse présumée.»
Certains de ses anciens alliés n'ont pas tardé à l’abandonner. «L'écrivaine intersectionnelle féministe» Lara Witt veut déjà que ses lecteurs sachent pourquoi «il est important qu’Asia Argento rende des comptes.» Elle fait référence aux «événements ignobles ... documentés par Bennett et ses avocats», et suggère que la relation mère-fils entre Argento et Bennett dans leur film de 2004 «en rajoute à la grotesque agression». Newsweek a beuglé: «[l'actrice et fanatique #MeToo] Amber Tamblyn attaque Asia Argento: “Il faut protéger tous les corps. Pas seulement le nôtre”.»
Sur Twitter, la co-accusatrice de Weinstein Rose McGowan a pris soin de prendre ses distances, notant qu'elle «connaissait Asia Argento depuis dix mois» seulement. Faisant référence apparemment aux allégations de Bennett, elle a poursuivi: «Mon cœur est brisé. Je continuerai mon travail au nom de toutes les victimes.»
Plus tard, cependant, McGowan a tweeté: «Aucun de nous ne connaît la vérité sur la situation et je suis sûr que d’autres faits seront révélés. Allez-y doucement.» Inutile de dire que l'actrice n'a jamais proposé ce conseil légitime concernant des accusations d’agression ou de harcèlement sexuel envers quiconque. En tout état de cause, la mise en garde de McGowan a généré un flot d’accusations selon lesquelles elle faisait maintenant l’hypocrite. «S'il s'agissait d'une adolescente et [d’un] homme trentenaire, diriez-vous toujours cela?» Une autre a commenté: «Je pensais que nous étions censés “écouter et croire”. Est-ce seulement quand l'accusé n'est pas un de vos amis?»
L'épisode Bennett-Argento, son explosion sordide à travers les médias (malveillants au point de rapporter tous les détails salaces) et les différents engagements pris par les militants #MeToo selon lequel ils continueraient «à tout prix»: tout cela souligne le caractère hideux et destructeur de la chasse aux sorcières sexuelle.
Comme nous l'avons dit auparavant, sous le prétexte fallacieux de protéger les femmes en milieu de travail, toute une gamme de comportements sexuels est en train d'être criminalisée, des peines sont exigées lorsqu'il n'y a pas de preuve d'un crime et une atmosphère d'intimidation et de répression est imposée.
La citation en haut de cet article provient de l'acte 1 de l'opéra-comique de Richard Strauss, Der Rosenkavalier [Le Chevalier de la Rose, 1911], avec un livret du romancier et poète Hugo von Hofmannsthal. Tandis que le rideau se lève, la princesse Marie-Thérèse von Werdenberg (connue sous le nom «Maréchale») et son amant, âgé de 17 ans, le comte Octavian Rofrano, se prélassent dans un lit juste avant l'aube. Peut-être que cette oeuvre populaire et fréquemment jouée devrait être exclue du répertoire pour ses insinuations «méprisables» et «grotesques».
Il n’est pas impossible qu’il y ait un élément de violence psychologique dans un incident comme «les retrouvailles à l’hôtel» de Bennett et Argento en 2013, mais ce n’est pas ce qui semble être le plus probable.
Comme nous avons également été obligés de le souligner, la sexualité humaine est extrêmement complexe. L'indignation néo-puritaine est à la fois inappropriée et malhonnête. En tout état de cause, alors qu'il peut y avoir beaucoup de gens au sein de la classe moyenne supérieure qui croient vraiment que l'imposition et l'application stricte de leur propre code moral sont la «meilleure chose pour tout le monde», les forces qui manipulent cette campagne suivent des lignes différentes et ont un tout autre programme.
Le New York Times, le New Yorker et Ronan Farrow, la campagne Clinton, d'anciens responsables d'Obama comme Tina Tchen (organisatrice du fonds juridique de Time’s Up et «la personne la mieux connectée travaillant aujourd'hui pour les droits des femmes», Bloomberg Businessweek) et les cercles dirigeants du Parti démocrate ont généralement profité de l'instabilité, du subjectivisme et de l’amertume d'un groupe d'artistes féminines surtout à Hollywood, pour promouvoir leur type de politique de genres et en tirer parti.
Terrifiées par la colère grandissante populaire sur les inégalités sociales, la guerre sans fin et la criminalité éhontée de l'administration Trump, ces forces n'épargnent aucun effort pour utiliser la propagande idéologique afin de détourner ce sentiment dans des canaux réactionnaires ou politiquement inoffensifs, la frénésie antirusse, les «fausses nouvelles» sur l'Internet et sur la supposée épidémie d’agressions sexuelles, etc.
Comme le montre l’exemple Argento, ils ont construit quelque chose sur des bases sans scrupules et extrêmement fragiles, voire sur des sables mouvants. Le sort d'Argento ne signifie rien pour cette section de l'establishment américain consacrée à l'incitation à la politique identitaire. Ils sont aussi prêts à la voir piétinée comme ils le sont pour les hommes qu’elle et ses collègues de #MeToo ont accusés. En effet, les nouvelles révélations signifieront probablement une intensification de cette campagne antidémocratique, promue encore plus brutalement et sans relâche.
(Article paru en anglais le 22 août 2018)