Des centaines d’employés de Google ont protesté contre les mesures prises par la société pour créer un moteur de recherche censuré en Chine, a rapporté vendredi le New York Times.
L'article du New York Times fait suite à un article du 1er août du journal Intercept selon lequel la société avait secrètement chargé une équipe d'ingénieurs et de développeurs de construire un moteur de recherche conforme au régime sévère de censure d'Internet en Chine.
Il est bien connu que Google a mis fin à ses opérations de recherche en Chine en 2010, protestant contre les exigences strictes du pays visant à empêcher les utilisateurs d'accéder à des sites Web et à des sujets critiques. Mais, dans la période la plus récente, il a laissé tomber tous ses scrupules.
Le PDG de Google, Sundar Pichai, a confirmé l’existence de l’opération, connu en interne sous le nom de Project Dragonfly (Projet libellule), lors d’une réunion générale avec les employés jeudi dernier Dans le même temps, il a cherché à minimiser la nouvelle en disant que la société était « encore loin » de la mise en place de ce produit et que l'expansion de Google en Chine était « lente et compliquée ».
La lettre des employés n'aborde pas la substance des «questions morales et éthiques» soulevées par le Project Dragonfly, mais exige que l'entreprise fournisse aux employés plus d'informations sur les outils qu'elle développe. « Nous avons besoin de toute urgence d'une plus grande transparence, d'une place à la table de discussion et d'un engagement envers des processus clairs et ouverts: les employés de Google ont besoin de savoir ce que nous construisons », conclut la lettre
La lettre et la réunion de jeudi font suite à la publication d'une lettre ouverte en avril, signée par plus de 1000 employés et exigeant que l'entreprise mette fin à sa collaboration avec le Pentagone sur les systèmes d'intelligence artificielle conçus pour faire fonctionner le programme de drones de combat de l'armée américaine.
Google a dû faire marche arrière, annulant ostensiblement le programme « Project Maven » et adoptant un ensemble de directives éthiques pour l'utilisation d'intelligence artificielle. Mais sa collaboration avec l'armée américaine s'est intensifiée et la société est en lice pour un contrat massif du Pentagone, connu sous le nom de «Project Jedi» et devant accueillir une grande partie de l'infrastructure technique de l'armée.
La nouvelle des efforts de Google pour créer un moteur de recherche censuré pour la Chine a déclenché les critiques d’une partie de la presse américaine qui a reproché à l'entreprise de collaborer avec un gouvernement « totalitaire ». En fait, le moteur de recherche censuré proposé par Google en Chine représente un développement, et non pas un abandon de sa trajectoire d’ensemble.
En avril 2017, Google a réagi à la pression accrue de l'establishment politique et des agences américaines de renseignement en mettant en place un système de censure aux États-Unis visant principalement les organisations de gauche, anti-guerre et socialistes.
A cette époque, le vice-président de Google Engineering, Ben Gomes, a annoncé des modifications à l'algorithme de recherche de l'entreprise visant à favoriser les sources d'information « faisant autorité » au dépens des « points de vue alternatifs. » En utilisant des évaluateurs de recherche pour former le système d'intelligence artificielle de l'entreprise, la société a classé à des rangs inférieurs des domaines présentant des « points de vue alternatif ... à moins que la requête n'indique clairement que l'utilisateur recherche un point de vue alternatif».
L’effet de ces mesures a été une baisse massive du classement des sites de gauche, en particulier du World Socialist Web Site, dont le trafic de recherche de Google a chuté de 75%.
Google n'a donné aucune explication sur quels sites étaient visés et pourquoi ils l’étaient et a déclaré aux journalistes que son système de notation était exempt de parti pris politique. L'année suivante, cette approche a été adoptée par d'autres géants de la technologie, dont Facebook. Le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, a déclaré plus tôt cette année que la société réduirait la propagation de ce qu'il appelait des « fausses informations » au lieu de les supprimer tout simplement, parce qu’une telle censure était une « question sensible ».
L'affirmation de Google que la société n'avait pas de parti pris politique dans son déclassement de sites est un mensonge qui a été entièrement démasqué par ses efforts de plus en plus agressifs de réduire ou bloquer l'accès des lecteurs aux sites qui promeuvent des informations et des opinions d’opposition.
Le développement d'un moteur de recherche bloquant complètement un ensemble de termes et de domaines à la demande d'un gouvernement n'est que la prochaine étape du régime de censure de Google. Pichai a précisé que le projet irait de l'avant malgré les pressions politiques, non seulement des employés, mais aussi de la part de sections de l'establishment politique qui craignaient de voir entraver leur politique anti-chinoise.
Les Etats-Unis sont engagés dans un conflit acerbe avec la Chine à propos de son secteur technologique, Washington cherchant à empêcher la croissance des fabricants de téléphones intelligents Huawei et ZTE, tout en promouvant l'expansion d’entreprises technologiques américaines comme Google sur le marché chinois.
La détermination de Google à poursuivre son projet en Chine indique que les méthodes de censure développées ostensiblement pour la Chine sont perçues comme ayant une utilité ailleurs, y compris aux États-Unis.
Alors qu'on s'attend à ce que les ventes de smartphones plafonne, que la croissance baisse dans d'autres secteurs et que l’Union Européenne impose des amendes record sur fond d’aggravation des tensions commerciales et économiques avec les États-Unis, Google, comme d'autres géants de la technologie, cherche une collaboration plus étroite avec le gouvernement américain et d’autres gouvernements pour renforcer ses sources de revenus. Et étant donné que les États-Unis, la Chine et d’autres pays sont de plus en plus axés sur la répression intérieure et l’expansion militaire, cette collaboration prend inévitablement la forme d’un partenariat avec leurs opérations policières et militaires.
L’issue ultime des efforts de Google pour créer un moteur de recherche censuré en Chine pourrait bien dépendre de négociations d’État à État. Comme l’écrit le New York Times: «Le gouvernement chinois pourrait bien utiliser Google comme outil de marchandage dans ses négociations avec le gouvernement américain, qui a critiqué la manière dont la Chine limitait l’accès au marché des sociétés technologiques américaines. En laissant le moteur de recherche de Google revenir en Chine, le gouvernement chinois pourrait donner au président Trump une victoire politique, y gagnant un peu de bonne volonté »
Indépendamment de l'issue des pourparlers, il est clair que Google ne s'oppose pas à la censure par l'État et est prêt à collaborer avec tout gouvernement, que ce soit l'Amérique de Trump ou la Chine de Xi, pour la mettre en œuvre.
Sur fond de crise montante du système capitaliste mondial, toutes les classes dirigeantes internationales, craignant une opposition croissante de gauche et socialiste de la classe ouvrière, cherchent à mettre en œuvre et à étendre la censure de l'Internet par les États. Nous exhortons les travailleurs du monde entier à lutter contre la censure d'État en contactant le World Socialist Web Site.
(Article paru en anglais le 18 août 2018)