Les marchés mondiaux se préparent à l'impact de la crise monétaire turque

La question clé sur les principaux marchés financiers lorsqu’ils se sont ouverts au marché lundi a été l’impact de l’actuelle crise financière et monétaire turque alors que se multipliaient les mises en garde de profondes répercussions au plan mondial.

Le chroniqueur économique du New York Times, Paul Krugman, a déclaré dans un article publié ce week-end, que la chute de la livre turque était une reconstitution de la crise financière asiatique d’il y a 20 ans.

Pimco, l’une des plus importantes sociétés de négoce d’obligations au monde, a prévenu que la crise turque était le résultat d’un changement dans l’environnement financier mondial résultant de la hausse des taux d’intérêt américains par la Réserve fédérale et de la liquidation de ses avoirs financiers.

L’augmentation des taux d’intérêt a des répercussions importantes sur les pays comme la Turquie qui ont contracté des prêts libellés en dollars lorsqu’ils étaient faibles. À mesure que les taux d’intérêt américains et le dollar commencent à augmenter, le coût du service de ces prêts augmente, ce qui accroît la possibilité d’une faillite pour les emprunteurs.

La Turquie a été un emprunteur majeur sur les marchés internationaux avec une dette extérieure totale de 467 milliards de dollars.

Dans une note publiée dimanche, Joachim Fels, conseiller économique mondial chez Pimco, a écrit : « Cela semble être un autre exemple de comment une combinaison de mauvaises politiques économiques nationales qui empirent et de liquidités mondiales qui se dégradent rendant vulnérables des bilans financés à l’excès en dollars, peut produire haute volatilité et contagion ».

« Qui a dit qu’une réduction du bilan de la Réserve Fédérale américaine et une augmentation progressive du taux des fonds n’auraient pas d’implications mondiales ? »

La Banque centrale européenne a mis sous surveillance de grandes banques européennes fortement exposées à la dette turque. Il s’agit notamment de la banque espagnole BBVA, qui a prêté 83,3 milliards de dollars à la Turquie, de Unii Credit en Italie ayant prêté 38,4 milliards de dollars et de BNP Paribas en France, 17 milliards de dollars de prêts.

Le taux d’inflation étant de plus de 16 pour cent, les marchés financiers internationaux exigent que la banque centrale relève les taux d’intérêt pour assurer la stabilité financière et intensifier les attaques contre la classe ouvrière. Mais cette demande a été jusqu’ici refusée par le président turc Recep Tayyip Erdogan.

Dans une série de discours au cours du week-end, Erdogan a poursuivi sa rhétorique populiste, déclarant qu’il y avait une « opération » par d’autres pays pour faire tomber l’économie turque.

S’exprimant devant un rassemblement des membres de son parti Justice et Développement au pouvoir dans la ville de Rize, Erdogan a déclaré qu’une augmentation du taux d’intérêt était un « véhicule d’exploitation qui rendrait les riches plus riches et les pauvres plus pauvres ».

La livre Turque a chuté de près de 18 pour cent vendredi, soit la plus forte baisse depuis la crise financière de 2001, et devrait encore baisser à l’ouverture des marchés. Elle a encore chuté de 12 pour cent en début de séance du matin en Asie, pour atteindre 7 livres par dollar, certains prédisant bientôt 10 livres par dollar.

Dans un entretien avec le journal Hurriyet publié en ligne dimanche, le ministre turc des Finances et du Trésor, Berat Albayrak, gendre du président, avait déclaré qu’il avait un nouveau plan d’action pour stabiliser l’économie, décrivant le plongeon de la livre comme « une attaque ».

« À partir de lundi matin, nos institutions prendront les mesures nécessaires et partageront les annonces avec le marché », a-t-il déclaré, sans fournir de détails sur ce que ces mesures pourraient impliquer. Un plan avait été préparé pour les banques et l’économie dans son ensemble et le gouvernement prendrait « les mesures nécessaires avec nos banques et notre organisme de surveillance bancaire de manière rapide ».

Erdogan a rejeté les suggestions selon lesquelles la Turquie était dans une crise financière comme celle qui avait eu lieu en Asie en 1997-1998, provoquée par la chute du baht thaïlandais, qui a dévasté la région avec des retombées économiques équivalentes de celles de la Grande Dépression des années 1930.

Il a déclaré que la baisse de la livre ne reflétait pas les fondamentaux de l’économie turque. « Quelle est la raison de toute cette tempête dans un verre d’eau? Il n’y a aucune raison économique à cela... On appelle cela une opération contre la Turquie ».

La chute de la livre est exacerbée par la volonté de l’Administration Trump d’utiliser la crise financière pour contraindre la Turquie à s’aligner sur ses objectifs de politique étrangère au Moyen-Orient.

La semaine dernière, elle a doublé les tarifs sur les exportations turques d’acier en réponse à la chute de la livre et au refus du gouvernement turc de libérer le pasteur évangélique Andrew Brunson, accusé d’espionnage et de terrorisme en rapport avec la tentative de coup d’État de juillet 2016 visant Erdogan.

Le conflit concernant Brunson n’est que le dernier d’une suite de conflits entre la Turquie et les États-Unis. La Turquie s’oppose au soutien apporté par les États-Unis aux milices kurdes en Syrie, qu’elle dénonce comme terroristes. La Turquie est également entrée en conflit avec les États-Unis et d’autres alliés de l’OTAN à propos de sa recherche de relations plus étroites avec la Russie et la Chine.

Ces questions ont été exposées dans un article rédigé par Erdogan, publié dans le New York Times vendredi qui contenait également des critiques sur la position des États-Unis dans la tentative de coup d’État. Erdogan y déclare que deux collaborateurs clés avaient été tués par des escadrons de la mort et qu'il aurait subi le même sort si le coup d’État avait réussi.

Mais au lieu de dénoncer le coup d’État au nom de la « démocratie », les États-Unis n’avaient appelé qu’à « la stabilité et à la paix et la continuité en Turquie ». Erdogan ne l’a pas mentionné dans son commentaire, mais on a su qu’il avait seulement échappé à la mort parce qu’il avait été averti par des sources du renseignement russe.

L’article souligne la longue alliance stratégique entre la Turquie et les États-Unis, mettant en garde qu’une poursuite des actions unilatérales ne pouvait que « servir à souligner les intérêts et la sécurité des États-Unis » et qu’un échec à inverser cette tendance à l’unilatéralisme et au manque de respect nous impose de chercher de nouveaux amis et alliés ».

Quel que soit le cours immédiat des événements, la crise turque et les mises en garde de ses vastes implications, pour les marchés émergents comme pour les grandes banques internationales, ont montré que les mesures adoptées par la Réserve fédérale américaine et les autres grandes banques centrales n’ont pas résolu les contradictions de l’économie capitaliste mondiale ayant éclaté dans la crise mondiale de 2008.

L’abaissement des taux d’intérêt à des bas niveaux record, combinés à l’injection de milliers de milliards de dollars dans le système financier, a créé une manne pour l’oligarchie mondiale des entreprises et des institutions financières, sous la forme d’une hausse des actifs financiers et des actions. Le marché boursier américain a quadruplé depuis son creux de mars 2009.

Mais cela n’a fait que créer les conditions d’un nouveau krach mondial encore plus dévastateur qu’il y a dix ans — une crise qui, comme le montre l’expérience de ces dix dernières années, conduira immédiatement à un assaut renforcé contre la classe ouvrière internationale.

(Article paru d’abord en anglais le 13 août 2018)

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