Ricardo Robles, représentant du Bloc de gauche au conseil municipal de Lisbonne, la capitale portugaise, a démissionné la semaine dernière après des révélations selon lesquelles il aurait fait fortune grâce à la spéculation immobilière.
Robles et son frère ont participé à une ruée vers la richesse pour l’embourgeoisement du quartier le plus ancien et le plus pauvre de la capitale, Alfama. Ils ont acheté en 2014 une propriété historique délabrée de premier ordre appartenant à l’État pour la somme dérisoire de 350 000 euros et l'ont mise en vente cette année pour 5,7 millions d'euros.
D’abord, Robles a tenté de faire fi des critiques par une conférence de presse au siège du Bloc de gauche le 27 juillet. Il y a déclaré: « Il n'y a rien de critiquable dans ma conduite. » La cheffe du Bloc de gauche, Catarina Martins, a pris la défense du spéculateur immobilier, insistant qu’il n’avait «rien fait d’illégal» et qu’il avait été victime «d’une chasse aux sorcières journalistique et politique». Les dirigeants du parti lui ont accordé un vote de confiance.
Le 29 juillet, alors que la pression montait, Robles a été contraint de démissionner. Il a fait une tentative lamentable d’expliquer que l’énorme profit accumulé «révélait un réel problème politique» et « créait une énorme contrainte» pour «son travail de conseiller». Il a affirmé qu’il n’avait expulsé personne et laissé en place un locataire à faible revenu. Il a ensuite annoncé qu'il retirait la vente de sa propriété du marché et qu'il prendrait le contrôle de comment elle serait mise en location.
Le mardi suivant, Martins a déclaré à la presse que la direction du Bloc de gauche avait commis une « erreur d'analyse » en soutenant Robles, affirmant que « la contradiction était très grande » et créait « un obstacle quotidien » entre ses intérêts d’affaires et son travail pour le parti. Le fait que Martins ait admis sans sourciller que l’opération immobilière de Robles n’avait « jamais été un sujet de conversation » entre eux en dit long sur l’opportunisme du Bloc de gauche.
Toute cette affaire autour Robles sent mauvais et révèle, une fois de plus, la nature intéressée et hypocrite de la classe moyenne supérieure qui constitue la base sociale de la pseudo-gauche.
Au moment de la rédaction de cet article, la page d’accueil du site web esquerda.net du Bloc de gauche continuait de promouvoir sa campagne frauduleuse, sur sa première page, de «Stoppez les expulsions, Changez la loi, Combattez la spéculation ». On y prétend que le parti « est dans la rue avec des propositions pour arrêter les expulsions, promouvoir la loi d’un bail locataire plus équitable et combattre la spéculation immobilière. » Tout en s'occupant de son portefeuille immobilier, Robles contribuait régulièrement à esquerda.net.
Robles n'était pas qu'un simple responsable subalterne tenté par un gain rapide; il était porte-parole du Bloc de gauche et candidat à la mairie de Lisbonne. Son fonds de commerce était de dénoncer l'expulsion de la classe ouvrière du centre de Lisbonne pour ouvrir la voie à l’embourgeoisement.
Preuve du cynisme de Robles, il se plaignait en octobre 2015 sur esquerda.net de la crise du logement à Lisbonne et du rôle du maire de l’époque, António Costa, du Parti socialiste, l’actuel premier ministre du gouvernement minoritaire maintenu au pouvoir grâce au soutien du Bloc de gauche et de la Coalition d’unité démocratique (Parti communiste et Verts). En tant que maire, Costa s’était mis à déréglementer et à privatiser l’administration de la ville au profit d’entrepreneurs capitalistes, du secteur touristique et de ce qu’on appelle «la classe créative mondiale».
Robles a déclaré à l'époque: « Au cours des 30 dernières années, Lisbonne a perdu 260 000 habitants. Il y a 50 000 maisons vacantes dans la ville. Faire revenir ces personnes à la ville a été la priorité des priorités. La stratégie suivie était précisément l'inverse et elle a échoué. António Costa a considéré la ville comme un actif financier.[ ...] Pas de respect pour ceux qui vivent et travaillent ici mais tout le respect pour le capital ».
Le 6 avril 2016, Robles est revenu sur le sujet, déclarant: « L'expulsion des résidents du centre-ville, bien que n'étant pas récente, s'est accélérée ces dernières années. La stratégie de régénération urbaine soutenue par la spéculation et l’exploitation du tourisme a des conséquences. Le prix des logements dans le centre historique a augmenté de 22 pour cent en 2015. L'expulsion des locataires, pour la plupart des personnes âgées et économiquement vulnérables, pour faciliter l'installation d'hôtels a été la règle [ ...] Le processus d’embourgeoisement de la ville s’étend dans le centre historique ».
Puis, encore une fois le 15 avril 2017, il écrivait que « dix ans de déréglementation urbaine, une monoculture d'hôtels et des ventes record du patrimoine municipal » était devenue « en termes de logement [...] une décennie perdue ».
Selon António Machado, président de l'Association de locataires de Lisbonne, une ville d'un demi-million d'habitants qui a accueilli 6 millions de visiteurs l'année dernière: «Nous avons vu des logements transformés d’habitations pour les familles en locations à court terme [...] de maisons de particuliers mis en location pour le tourisme qui, dans certaines quartiers, a fait augmenter le prix des loyers de 30 à 40 pour cent ces dernières années, ce qui est pratiquement insupportable pour les portugais locaux ». Le phénomène a provoqué le terme « terramotourisme » ou séisme touristique.
La croissance des locations Airbnb a été explosive, produisant dans une seule rue d'Alfama 230 offres de locations. Le loyer quotidien moyen de 85 € est beaucoup plus rentable que les solutions de location traditionnelles à long terme, qui ont également connu une hausse inexorable des prix. Le loyer mensuel moyen à Lisbonne est d'environ 900 euros, soit presque le salaire brut moyen.
L'énorme croissance de la valeur des biens immobiliers oblige également des couches moins riches de la population à participer au processus « d’embourgeoisement », cherchant à trouver une place face à la hausse rapide des loyers et du prix des logements. Les jeunes, qui affluent dans les villes pour y trouver du travail, font également partie de cette tendance.
L’embourgeoisement, ou plus exactement le nettoyage social, reflète la croissance incessante des inégalités. Le président Marcelo Rebelo de Sousa a été forcé de l’admettre plus tôt cette année, déclarant que la pauvreté est la « honte nationale » du Portugal et qu’il est l’un des « pays les plus inégalitaires d’Europe ». Il a ressorti le mantra habituel qu’il fallait une « stratégie nationale autonome pour lutter contre la pauvreté une fois pour toutes ».
Le nettoyage social actuel dans les villes d’Europe, des États-Unis et du reste du monde s'est accéléré dans les années qui ont suivi le crash de 2008. Ce processus a été aggravé par les énormes sommes d'argent injectées dans les marchés financiers par les banques centrales dans le cadre d'un «assouplissement quantitatif» qui a permis d’alimenter la spéculation immobilière en argent bon marché.
L'inégalité croissante et le nettoyage social sont inévitables tant que le logement restera une marchandise sur le marché plutôt qu'un droit social. Le droit à un logement décent et abordable ne peut être acquis qu’à travers un programme socialiste.
Le rôle du Bloc de gauche est d'essayer d'empêcher la classe ouvrière et la jeunesse d'adopter une telle perspective. Celui-ci a cherché à canaliser la désaffection de masse d’après le krach économique de 2008 – qui s’est exprimée dans le plus bas taux de participation de 57 pour cent aux élections législatives de 2015 – vers le Parti socialiste discrédité, tout en intégrant sa base sociale petite-bourgeoise à l’officielle, et comme le montre l'affaire Robles, lucrative politique bourgeoise.
(Article paru en anglais le 7 août 2018)