Moins d'une semaine après sa conclusion, l'accord scellé d’une « poignée de main » entre les États-Unis et l'Union européenne, qualifié de trêve ou du moins de cessez-le-feu dans la guerre commerciale transatlantique, commence à se déliter.
Le désaccord porte sur ce qui a été exactement convenu à la réunion du 25 juillet entre le président Donald Trump et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. L’écart dans les interprétations, focalisé sur l'agriculture, a émergé le jour après le passage de l'accord, quand Trump a dit à un public d'agriculteurs américains: « Nous venons d'ouvrir l'Europe pour vous autres agriculteurs ».
En vertu de cet accord, l’UE a accepté d’augmenter ses importations de soja et de gaz naturel liquéfié américains en échange d’une suspension d’un tarif douanier de 25 pour cent sur les voitures et les pièces automobiles européennes, et de négociations sur l’imposition des droits sur l’acier et l’aluminium. Mais il n’y a pas eu d’accord sur une plus grande ouverture des marchés agricoles européens, protégés par des arrangements complexes dans le cadre de la Politique agricole commune.
Immédiatement après la réunion, M. Juncker a déclaré aux journalistes que les États-Unis avaient « lourdement insisté pour inclure toute la gamme des produits agricoles. Nous avons refusé cela parce que je n’avais pas de mandat et c’est une question très sensible en Europe. »
Après les remarques de Trump et leur implication que l’accord était allé au-delà du soja, Juncker a publié une déclaration par l’intermédiaire d’une porte-parole, que l’agriculture « n’en faisait pas partie ».
«Quand vous lirez la déclaration commune... vous ne verrez aucune mention de l’agriculture en tant que telle, vous verrez mentionné des fermiers et une mention du soja, qui font partie des discussions et nous allons donner une suite à cela», a déclaré Mina Andreeva.
« Sur l’agriculture, je pense que nous avons été très clairs là-dessus : l’agriculture est hors du cadre de ces discussions. Nous ne négocions pas sur les produits agricoles ».
Ces commentaires n’ont fait qu’encourager les États-Unis à intensifier leur offensive.
Larry Kudlow, conseiller économique en chef de Trump, a déclaré dimanche à l’émission « Face à la Nation » sur la chaîne de télévision CBS que les États-Unis allaient entamer des négociations avec l'UE pour conclure des accords sur les produits agricoles et énergétiques. « Nous allons mettre en place un processus en strates pour examiner tous les différents domaines », a-t-il dit, indiquant que seraient incluses de larges négociations sur l'agriculture.
Kudlow a déclaré qu'il n’acceptait pas l’argument que l'agriculture serait exclue des négociations. «Si l'agriculture n'en fait pas partie, que font les fèves de soja et que fait le bœuf ? Dans le document final signé par les deux, nous avons parlé de l'ouverture des marchés pour les agriculteurs et pour les travailleurs ».
Le seul produit mentionné dans l’accord était le soja. Le bœuf était couvert par des négociations séparées qui avaient lieu avant la réunion de mercredi dernier.
Signe clair que les remarques de Kudlow faisaient partie d’une poussée de l’Administration Trump, le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, a insisté sur le fait que l’agriculture avait fait partie des discussions. Interviewé par Fox News dimanche, il a déclaré : « J’étais dans la salle et nous avons eu des conversations spécifiques sur l’agriculture et la nécessité de faire tomber les barrières et d’avoir plus d’opportunités pour nos agriculteurs ».
Mais comme les remarques de Juncker et Andreeva l'ont clairement montré, alors que l'agriculture avait été discutée, l'UE a spécifiquement rejeté tout accord qui allait au-delà du soja.
Interrogé sur ce décalage, Mnuchin a répondu : « Nous avons spécifiquement parlé du soja, mais nous avons spécifiquement convenu de regarder ces autres marchés et il était très clair que notre objectif dans le cadre de cet accord était que les Européens devaient élargir les opportunités pour nos agriculteurs et notre agriculture.
Toute perspective d’un accord plus large sur l’agriculture a été rapidement écartée par le président français Emmanuel Macron. S’exprimant après une rencontre avec le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez à Madrid vendredi dernier, il a déclaré que les discussions entre Trump et Juncker avaient été « utiles » mais qu’il n’était pas favorable à un « vaste nouvel accord commercial » entre les États-Unis et l’UE.
Évoquant la question encore non résolue des tarifs sur l’acier et l’aluminium, et la menace persistante des tarifs automobiles, il a déclaré que les discussions sur le commerce ne pouvaient « être menées que sur une base équilibrée et réciproque, et dans aucun cas, sous une menace quelconque ».
Macron a déclaré, « des gestes clairs sont nécessaires de la part des États-Unis, signes de désescalade de l’acier et de l’aluminium, sur lesquels les États-Unis ont imposé des taxes illégales. Pour moi, cela constituerait un prélude à de nouveaux progrès concrets ». Il a insisté sur le fait que l’agriculture dans son ensemble ne pouvait faire partie d’aucun accord.
« Je crois qu'aucune norme européenne ne devrait être supprimée ou abaissée dans les domaines de l'environnement, de la santé ou de la nourriture, par exemple », a déclaré Macron, parlant de l'exclusion des produits agricoles américains par l'UE.
Sanchez a soutenu les remarques de Macron sur l'agriculture, disant « nous ne voulons pas de guerre commerciale » mais ajoutant qu'il était déterminé à « défendre la politique agricole commune [de l'UE] ».
S'exprimant en marge d'une réunion du G20 à Buenos Aires, en Argentine, la ministre allemande de l'Agriculture, Julia Kloeckner, a mis en doute l'affirmation de Trump que l'UE allait « acheter beaucoup de soja ». Elle a dit qu’il n’y avait aucune garantie que l’UE allait acheter la quantité de soya attendue par Washington.
Sur CBS, Kudlow a souligné un autre aspect de l’accord euro-américain: il tente d’amener l’Europe à prendre parti dans la guerre commerciale américaine contre la Chine. En vertu de l’accord, l’UE collaborera avec les États-Unis pour tenter de changer les règles de l’Organisation mondiale du commerce sur le vol de propriété intellectuelle, les transferts de technologie et les subventions de l’État — toutes des mesures visant la Chine.
Kudlow a déclaré que «l'histoire de l'UE» progressait «très rapidement» et «je pense que... met la Chine dans une position très difficile».
Juste après les discussions de la semaine dernière, Kudlow a déclaré à Fox Business Network : «Les États-Unis et l’UE seront des alliés contre la Chine, qui a brisé le système commercial mondial. Le président Juncker a dit très clairement... qu’il avait l’intention de nous aider, le président Trump, sur le problème de la Chine ».
En même temps, l’Administration Trump laisse planer une épée de Damoclès au-dessus de l’UE: les tarifs automobiles. Ils n’ont pas été annulés, mais seulement suspendus. Le Département du commerce américain enquête toujours pour déterminer s’ils devraient être imposés pour des raisons de «sécurité nationale».
Trump et Juncker ont convenu que la suspension demeurerait en vigueur pendant que les négociations se poursuivraient. Mais les différences sur l’agriculture indiquent que les États-Unis pourraient ensuite estimer que les négociations ont échoué et se mettre à imposer les droits de douane à nouveau.
(Article paru d’abord en anglais le 31 juillet 2018)