L'accord commercial passé entre le président américain Donald Trump et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, lors de discussions à Washington, mercredi ne signifie pas la fin du conflit entre les Etats-Unis et l'Union européenne (UE). C'est une manoeuvre de Washington dans un conflit commercial mondial qui va s'intensifiant. L'accord doit surtout, grâce à des concessions limitées à l'UE, renforcer les Etats-Unis dans leur lutte contre la Chine.
La menace de Washington d'imposer des tarifs douaniers sur les importations de voitures et les produits automobiles n'a pas disparu. Elle est seulement suspendue, tant que les négociations ont lieu sur les relations commerciales en général, y compris la levée des tarifs sur tous les produits industriels non-liés à l'industrie automobile.
Mais l'exclusion même des produits liés à l'automobile veut dire que de telles discussions auront lieu dans des conditions où la menace de tarifs sur les automobiles peut être brandie à tout moment.
Les tarifs sur l'acier et l'aluminium qui ont déclenché les mesures de représailles de l'UE, resteront mais seront estimés à nouveau au cours des discussions, conduites par un groupe de travail exécutif encore à mettre en place.
Le résultat des discussions représente un sérieux recul de la part de l'UE, qui avait dit qu'elle n'engagerait pas de négociations «un revolver sur la tempe». Mais c'est exactement ce qui s'est passé. L'UE a demandé à être exemptée des taxes sur l'acier et l'aluminium, exigé le retrait de la menace de tarifs sur les voitures et déclaré que toute négociation devait être «mutuellement bénéfique», c'est-à-dire qu'il devait y avoir des concessions de la part des Etats-Unis. Ces exigences n'ont pas été remplies.
Selon la déclaration de Juncker, il n'y aura pas d'abrogation de «l’esprit» de l'accord, «à moins que les deux parties mettent un terme à la négociation». Cela laisse la porte ouverte aux Etats-Unis pour se retirer à tout moment.
Il faut rappeler qu'en mai dernier, après des discussions à Washington avec des responsables chinois, le secrétaire d’Etat au Trésor Steven Mnuchin a dit que la guerre commerciale avec la Chine avait été «suspendue». Peu après, l'Administration avait annoncé que la menace de tarifs sur 50 millliards de dollars de produits chinois serait maintenue; la première tranche de 34 milliards serait imposée le 6 juin. Depuis, Trump a dit que des tarifs pourraient être imposés touchant jusqu'à 500 milliards de dollars de produits chinois.
Les discussions entre Trump et Juncker n'avaient pas le caractère d’une négociation, mais plutôt d'une rencontre avec un parrain de la mafia faisant une offre qui ne se refuse pas. C’est un signe indéniable de l'effondrement en cours des relations économiques internationales.
En amont de la rencontre, Trump avait écrit sur Twitter: «Les tarifs sont fantastiques! Soit un pays qui a traité les Etats-Unis injustement sur le plan commercial négocie un accord juste, soit il est frappé de tarifs. C'est aussi simple que ça.»
Si les Etats-Unis n’ont rien abandonné, l’UE s’est engagé sur deux dossiers critiques pour Washington: à augmenter ses importations de soja américain et à devenir un «acheteur massif» de gaz liquéfié américain. Le marché et les cours du soja ont été impactés par les restrictions imposées par Beijing en réponse aux tarifs américains contre la Chine, et les Etats-Unis veulent aussi augmenter leurs exportations de gaz. Déjà, en visite en Europe, Trump avait déclaré que l’Allemagne était un «otage» de ses importations de gaz russe.
Ces manoeuvres pour améliorer la balance commerciale des USA avec l’Union européenne se déroulent sur fond de guerre commerciale croissante contre la Chine.
Un thème récurrent du Congrès américain a été le besoin d’agir contre la Chine, ainsi qu’une critique de Trump selon laquelle la décision d’agir contre l’UE, le Canada et d’autres «alliés stratégiques» affaiblit la posture américaine contre Beijing. Ils s’inquiètent que si Washington ne laisse aucune marge de manoeuvre à l’UE, elle n’aura d’autre choix que de réagir favorablement aux propositions chinoises de former un front commun «libre-échangiste» contre les USA.
A une conférence de presse avec Juncker, Trump a dit que les pourparlers lançaient une «nouvelle phase dans la relation entre les Etats-Unis et l’Union européenne», qui représente ensemble plus de 50 pour cent du Produit intérieur brut mondial et plus de 50 pour cent du commerce mondial.
«Si on agit ensemble, on aura une planète meilleure, plus sûre et plus prospère», a-t-il dit.
Toute «action commune», si ça se produit, n’aura rien à voir avec la sécurité et la prospérité mondiales, mais visera à renforcer les Etats-Unis contre la Chine, que des sections puissantes de l’Administration Trump considèrent comme la plus grande menace à la domination économique et militaire des Etats-Unis.
Trump a dit que les Etats-Unis travailleraient «étroitement avec des partenaires qui partagent nos vues pour réformer l’Organisation mondiale du Commerce et revoir des pratiques commerciales injustes dont le vol de propriété intellectuelle, le transfert forcé des technologies, les subventions industrielles, les distorsions créées par les sociétés nationalisées, et les surcapacités.»
La Chine n’était pas nommée, mais c’était elle la cible. Une cible préférée de Trump est le projet «Made in China 2025», par lequel Beijing vise à développer et approfondir ses capacités industrielles et technologiques. Une déclaration américaine proposée à la Chine au début de mai a essentiellement exigé que la Chine abandonne ce projet pour se convertir en semi-colonie américaine. Les médias chinois ont reçu l’ordre de ne pas trop évoquer le projet ces dernières semaines, mais Beijing ne compte pas l’abandonner.
Trump calcule qu’en échange de la suspension des tarifs, l’UE, qui a aussi des plaintes industrielles contre la Chine et surtout contre ses tentatives d’influencer économiquement voire politiquement l’Europe orientale, va rejoindre les Etats-Unis dans une action commune contre elle.
Des calculs politiques internes ont aussi joué un rôle. Il y a eu des critiques considérables de la part des constructeurs automobiles que l’imposition des tarifs sur les voitures et les pièces détachées provoqueraient une crise majeure de leurs chaînes d’approvisionnement mondiales; Ford, General Motors et Fiat-Chrysler ont tous annoncé des réductions de leurs profits. Le seul soutien à l’intérieur des Etats-Unis pour des tarifs sur les automobiles provient de la bureaucratie syndicale.
D’autres industries ont aussi critiqué les interruptions et les augmentations des coûts liés aux tarifs sur l’acier et l’aluminium.
Dans son rapport sur la réunion, le Financial Times l’a décrit comme «une victoire importante pour l’UE». C’est tout autre. Les Etats-Unis n’ont rien cédé sur le plan économique, ils ont simplement abandonné pour l’heure la menace d’une guerre commerciale, alors que l’UE a offert des concessions économiques majeures.
Après la victoire contre l’Irak dans la guerre du Golfe en 1991, le début de plus d’un quart de siècle de guerres néo-coloniales, le Wall Street Journal a proclamé que «La force marche». Après cette victoire sur l’UE, l’Administration Trump tire vraisemblablement des conclusions semblables. Ainsi, même si l’accord Trump-Juncker sera peut-être une «trêve», la guerre commerciale mondiale va continuer et s’intensifier.