La valeur nette du PDG d’Amazon, Jeff Bezos, a dépassé les 150 milliards de dollars, soit 129 milliards d’euros lundi, faisant de lui la personne la plus riche de l’histoire du monde moderne.
L’ampleur d’une telle somme est difficile à comprendre. Son sens réel émerge lorsqu’il est juxtaposé à la position sociale des 500 000 travailleurs d’Amazon.
* Jeff Bezos a gagné 43 milliards d’euros en 2018. Les 219 millions d’euros qu’il a gagné chaque jour de l’année correspondent aux salaires annuels de plus de 10 000 travailleurs d’Amazon aux États-Unis.
* Le montant que Bezos a gagné par seconde en 2018, soit 2533 euros, est supérieur au salaire annuel d’un travailleur d’Amazon en Inde, soit 2404 euros.
* En cinq jours de 2018, Bezos a gagné autant d’argent que le revenu combiné de tous les travailleurs des centres d’expédition d’Amazon dans le monde en 2017.
* Si la richesse de Bezos était divisée également parmi les employés d’Amazon, chacun recevrait un chèque de 258 000 euros.
* Dans le temps qu’il faut pour un lecteur moyen de lire ces cinq points, Jeff Bezos aura fait 60.000 euros de plus, à savoir : sept fois le revenu annuel moyen mondial de 8.600 euros.
L’existence de telles fortunes expose le caractère oligarchique de la société américaine et mondiale. Sous le capitalisme, Bezos et des milliardaires comme lui dominent les partis politiques, choisissent qui est élu à une fonction publique, déterminent les politiques des gouvernements du monde et dictent « l’opinion publique » par leur contrôle sur les institutions académiques et les médias. Ici aussi, Bezos est un exemple parfait. Il a acheté le Washington Post en 2013 pour 250 millions de dollars – moins que ce qu’il gagne aujourd’hui en un jour.
Derrière la grande richesse, il y a de grands crimes sociaux. Bezos a gagné ses milliards par l’exploitation impitoyable de la main-d’œuvre d’Amazon, qui a plus que doublé depuis 2015, lorsque la richesse de Bezos était de 51 milliards d’euros. Amazon a embauché environ 300 000 nouveaux travailleurs depuis 2015, permettant à Bezos d’empocher la plus-value de main-d’œuvre d’une véritable armée d’exploités.
Amazon a gagné un avantage concurrentiel en introduisant des méthodes du 21ᵉ siècle pour presser chaque goutte de sueur de ses travailleurs, qui portent des dispositifs de surveillance qui mesurent leur dur travail et sont obligés de marcher ou courir jusqu’à 22,5 km par jour. Les blessures sont courantes, et les décès et les suicides se produisent aussi régulièrement. Le Conseil national pour la sécurité au travail a cité Amazon parmi les lieux de travail les plus dangereux aux États-Unis.
Amazon est profondément impliquée dans les crimes du gouvernement américain, à la fois dans ses guerres impérialistes à l’étranger et dans son attaque digne de la Gestapo sur les droits démocratiques dans son pays.
La société héberge les serveurs Web de l’armée américaine et de la CIA et vend son service de cloud à Palantir, une société d’analyse de données qui fournit des logiciels utilisés par l’Immigration and Customs Enforcement (ICE – Agence des contrôles douaniers et d’immigration) pour mener des raids et détenir des immigrants. En mai, l’ACLU a rapporté qu’Amazon vend également le logiciel de reconnaissance faciale orwellien aux services de police et au département de la Sécurité intérieure (DHS).
L’opposition à ce géant de l’entreprise est en train d’émerger, y compris au sein de l’entreprise elle-même.
En juin, un nombre indéterminé d’employés d’Amazon a publié une lettre demandant à l’entreprise d’arrêter son implication dans la déportation de masse et la surveillance policière. « Ce sera un autre outil puissant pour l’état de surveillance, et il servira finalement à nuire aux plus marginalisés », indique la lettre, citant le rôle d’IBM qui a fourni à Hitler l’infrastructure utilisée pour assassiner des millions de personnes dans des camps de concentration.
Cette année a également vu le développement d’une série de grèves dans les installations d’Amazon dans le monde entier. En Espagne, en Pologne et en Allemagne, la colère des travailleurs sur les bas salaires, le travail temporaire permanent et les conditions de travail brutales sont presque universels, obligeant les syndicats à appeler des grèves de protestation limitées pour coïncider avec la « journée Prime » – un solde d’une période de 36 heures, du 16 au 17 juillet.
L’objectif des syndicats d’appeler les grèves de protestation pendant la journée « Prime » est l’exact opposé des aspirations des travailleurs qui y participent.
En Espagne, le syndicat a maintenu la grève à un seul centre d’expédition. En Allemagne, la majorité des travailleurs ont choisi de ne pas participer à une grève d’une journée organisée par le syndicat, Verdi, sachant que Verdi appelle régulièrement des grèves isolées qui n’auront pas d’effet sur les profits des entreprises. En Pologne, le syndicat n’a appelé à un ralentissement partiel du travail que pour bloquer une grève réelle plus importante.
Alors que les travailleurs veulent fermer les chaînes d’approvisionnement d’Amazon et réaliser des augmentations massives des salaires et des améliorations significatives des conditions de travail, les syndicats ont admis qu’ils organisent les grèves comme des manifestations limitées qui n’auront aucun effet sur les chaînes d’approvisionnement d’Amazon.
Tandis que les travailleurs aspirent à s’unir dans une lutte internationale commune avec leurs collègues au-delà des frontières nationales, les syndicats, par nature, maintiennent les travailleurs liés à « leurs propres » États-nations et gouvernements.
Chez Amazon et dans tous les lieux de travail dans le monde, les syndicats constituent un obstacle et non un canal pour le développement de la lutte des classes. Leurs dirigeants, à la fois en termes de fonction politique et de composition sociale, sont hostiles aux membres de la classe ouvrière dont les cotisations paient leurs salaires. Les syndicats, à travers la répression incessante de la lutte de classe à Amazon et ailleurs, sont responsables de rendre possible la fortune de Jeff Bezos.
Dans leurs luttes contre les sociétés transnationales, les travailleurs doivent se débarrasser des chaînes syndicales et construire de nouvelles organisations d’usine à la base.
Ces comités d’usine doivent se battre pour établir des lignes de communication entre les travailleurs dans différents lieux de travail, et non pour isoler les travailleurs dans chaque usine. Ces comités doivent être fondés sur le principe que les intérêts des travailleurs et des capitalistes sont incompatibles, et non sur la « coopération » entre les travailleurs et la direction. Ils doivent favoriser le plus haut degré de discussion démocratique, de planification et de débat au sein les travailleurs eux-mêmes. Ils doivent être basés sur la compréhension que la classe ouvrière est une force sociale internationale et que les travailleurs sont impuissants lorsqu’ils sont divisés en fonction de la nationalité.
La suppression de la lutte de classe a produit des niveaux sans précédent d’inégalité sociale. Aux États-Unis, trois personnes possèdent la même richesse que la moitié la plus pauvre de la population – 160 millions de personnes. Dans le monde entier, les cinq personnes les plus riches possèdent autant que les plus pauvres : 3,6 milliards de personnes. En dehors des 5 à 10 pour cent des plus riches de la population mondiale, les masses sont confrontées à des difficultés économiques qui ne varient que dans les degrés d’extrémité.
L’existence de tels niveaux extrêmes d’inégalité soulève le besoin urgent d’une révolution socialiste. La société ne peut pas se permettre le système capitaliste. Les milliards de dollars qui se trouvent dans les coffres des grandes sociétés et dans les fonds fiduciaires des « super » riches doivent être expropriés et dépensés dans des programmes internationaux pour fournir eau, nourriture, éducation, culture, logement et infrastructure aux quatre coins du monde.
L’intégration internationale de l’économie mondiale qui, sous le capitalisme, sert de source de conflit, de guerre et de concurrence deviendra, sous le socialisme, un mécanisme de distribution des ressources de chaque région du monde selon sa capacité à chaque région selon les besoins de ses populations. Amazon, avec son réseau logistique complexe couvrant tous les continents et des dizaines de pays, sera transformé en un service public d’expédition de médicaments, de matériaux de construction, de nourriture et de secours aux sinistrés à travers le monde.
Ni Bezos ni la classe capitaliste ne céderont leurs richesses sans combat. La classe ouvrière doit se préparer aux prochaines batailles de classe en rejoignant la lutte pour le socialisme.
(Article paru d’abord en anglais le 18 juillet 2018)