L’administration Trump a formellement rejeté les appels de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, ainsi que de l’Union européenne, en faveur d’une exclusion des sanctions américaines imposées à l’Iran à la suite du retrait des États-Unis de l’accord nucléaire iranien en mai dernier.
Une lettre signée par le secrétaire d’État Mike Pompeo et le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin, et citée dans un certain nombre de reportages en fin de semaine, a été préparée en réponse à la demande formulée le 7 juin par les puissances européennes pour obtenir des exemptions dans les domaines des finances, de l’énergie et des soins de santé, ainsi que pour les contrats signés avec l’Iran après la conclusion de l’accord nucléaire.
Les puissances européennes ont dit qu’en tant qu’«alliés», elles s’attendaient à ce que «les États-Unis s’abstiennent d’agir pour porter atteinte aux intérêts de l’Europe en matière de sécurité».
Cette proposition a été rejetée catégoriquement. La lettre de Pompeo et Mnuchin souligne que les États-Unis cherchent à exercer une «pression financière sans précédent» sur l’Iran après s’être retirés du Plan d’action global commun (PAGC).
«Le président s’est retiré du PAGC pour une raison simple: le Plan n’a pas réussi à garantir la sécurité du peuple américain, soutient la lettre. Nous ne sommes donc pas en mesure de faire des exceptions à cette politique, sauf dans des circonstances très précises où cela profiterait clairement à notre sécurité nationale.»
La première vague de sanctions entrera en vigueur le 4 août, et frappera l’industrie automobile, l’or et d’autres métaux. Une deuxième vague de sanctions sera imposée le 4 novembre contre les ventes de pétrole et les transactions financières de la banque centrale iranienne.
Plus tôt ce mois-ci, Brian Hook, un haut responsable du département d’État, a déclaré que des équipes de l’administration Trump se sont rendues dans un certain nombre de pays pour «mettre en garde les gouvernements et les entreprises» des risques de continuer de faire des affaires avec l’Iran. Les États-Unis vont verrouiller «agressivement» les avoirs de l’Iran à l’étranger et refuser au «régime iranien l’accès à sa monnaie forte». Il a déclaré que les États-Unis voulaient réduire les exportations pétrolières iraniennes «à zéro dès que possible» avant l’échéance du 4 novembre.
Ces mesures américaines sont un autre coup économique porté aux puissances européennes, qui considéraient le PAGC comme ouvrant la voie à des milliards de dollars d’accords commerciaux et d’investissements lucratifs avec l’Iran.
Alors que les détails de la lettre de Pompeo et Mnuchin étaient publiés, Trump s’en prenait à l’Europe après avoir dénoncé les niveaux de dépenses de l’OTAN et sa déclaration selon laquelle l’Allemagne est «captive» de la Russie à cause de ses accords sur le gaz naturel.
Dans une entrevue accordée à l’émission Face the Nation diffusée sur CBS hier, lorsqu’on lui a demandé de nommer les «plus grands ennemis des États-Unis à l’échelle mondiale», Trump a cité en premier l’Union européenne. «Je pense que l’Union européenne est un ennemi, avec ce qu’ils nous font sur le plan commercial. D’accord, on ne penserait pas à l’Union européenne, mais c’est bien un ennemi», a-t-il dit, avant de nommer la Russie comme étant «un ennemi à certains égards» et la Chine comme «un ennemi sur le plan économique».
L’UE envisage la perspective de contrer les mesures américaines en offrant des protections aux entreprises qui concluraient des accords avec l’Iran.
Les ministres des Affaires étrangères de l’UE devaient tenir des pourparlers mardi pour présenter leur réponse, un haut responsable ayant déclaré au Financial Times que ses membres continueraient de résister aux efforts de l’administration Trump de saborder l’Accord.
L’UE va continuer de faire valoir ses attentes selon lesquelles «les sanctions américaines ne devraient pas être imposées de façon à empêcher les acteurs économiques européens d’entreprendre des affaires légitimes avec l’Iran conformément à l’engagement pris dans le cadre de l’accord sur le programme nucléaire», a déclaré le porte-parole.
L’UE tente de fournir des lignes financières non libellées en dollars à la banque centrale iranienne pour effectuer ses paiements de pétrole et est en train de revoir une loi remontant aux années 1990 qui visait à protéger les entreprises européennes contre les sanctions américaines d’alors.
Les grandes entreprises européennes, dont le géant pétrolier français Total, se sont toutefois déjà retirées des accords proposés, craignant trop l’impact des sanctions américaines. Elles risquent en effet non seulement de se voir refuser l’accès aux marchés américains, mais aussi de perdre leur capacité de financer des opérations avec des tiers en raison du rôle dominant du dollar américain dans le système financier mondial.
Le retrait des États-Unis du PAGC et leur menace d’imposer des sanctions à ceux qui continueront d’y adhérer ont été effectués malgré le fait que tous les autres signataires, ainsi que la principale agence internationale d’inspection nucléaire, ont déclaré que l’Iran s’est pleinement conformé à l’accord.
Pour les États-Unis, la question de la capacité nucléaire de l’Iran s’est toujours inscrite dans la poursuite d’un programme plus vaste, à savoir l’élimination de l’Iran en tant que puissance régionale au Moyen-Orient afin de faciliter la domination sans entrave des États-Unis dans la région. Le 12 mai, ils ont ainsi formulé une série d’exigences, comprenant notamment la cessation de l’implication de l’Iran au Yémen, en Syrie et en Irak.
La lettre de Pompeo et de Mnuchin stipule que les États-Unis vont continuer de maintenir leurs sanctions tant qu’ils ne verront pas «un changement tangible, démontrable et durable dans les politiques que nous avons énumérées».
Dans les faits, les États-Unis exigent que l’Iran abandonne toute politique étrangère indépendante et s’aligne complètement sur leurs diktats dans la région. La logique inhérente à cette demande est de mener la guerre contre Téhéran, associée à des opérations de changement de régime.
La menace d’une guerre a fait l’objet d’un commentaire publié dans l’Atlantic par le sénateur démocrate Tim Kaine, candidat à la vice-présidence d’Hillary Clinton aux élections de 2016. L’accord nucléaire avec l’Iran était l’une des principales initiatives en matière de politique étrangère de l’administration Obama.
Décrivant la décision des États-Unis de faire la guerre à l’Irak – une décision pleinement soutenue par Clinton – comme l’une des «pires erreurs» jamais commises par les États-Unis, Kaine écrit: «Je crains que les États-Unis ne soient sur le point de se lancer dans une autre guerre inutile avec l’Iran, voisin immédiat de l’Irak.» Les mêmes signes avant-coureurs, poursuit-il, sont «visibles à l’horizon».
En effet, le même personnel est impliqué. John Bolton, l’un des principaux promoteurs de la guerre contre l’Irak et ardent défenseur d’un changement de régime à Téhéran, est maintenant conseiller en matière de sécurité nationale de l’administration Trump.
Kaine cite également un rapport du site Web Axios selon lequel Israël et les États-Unis auraient formé un groupe de travail il y a quelques mois pour se concentrer sur les efforts déployés en Iran pour encourager les protestations et exercer des pressions sur le gouvernement. Selon le rapport d’Axios, les tâches de ce groupe de travail auraient été discutées lors d’une réunion entre Bolton et son homologue israélien il y a plusieurs semaines.
Pompeo doit prononcer dimanche prochain une importante allocution intitulée «Supporting Iranian Voices» (Soutenir les voix iraniennes) comme suite à une série de tweets qu’il a rédigés en soutien aux protestations contre le gouvernement de Téhéran et dans lesquels il déclarait que «le monde entend leur voix».
(Article paru en anglais le 16 juillet 2018)