Les médias, les syndicats, et la pseudo-gauche présentent le timide programme électoral du Nouveau Parti démocratique (NPD) pour les élections du 7 juin en Ontario comme un courageux virage «à gauche» et un retour à ses racines sociales-démocrates. De telles idées démontrent à quel point la politique bourgeoise est rendue à droite au Canada.
Célébrée par les médias, la dirigeante du NPD Andrea Horwath fut la première des trois principaux dirigeants à présenter son programme électoral. Il inclut des promesses de modestes augmentations des dépenses sociales, en santé et en éducation, qui ont seulement l'air généreuses comparées à l'impitoyable austérité imposée par les gouvernements libéraux ontariens successifs, en collusion avec la bureaucratie syndicale.
Horwath promet un service de garde à 12 dollars par jour (les frais étant annulés pour les familles ayant un revenu inférieur à 40.000 $) et de fournir les soins dentaires pour tous ceux «qui ne peuvent se l'offrir». Elle a également promis une augmentation du financement des hôpitaux pour mettre fin à la «médecine de couloirs» – une référence à la pratique répandue qui consiste à traiter les patients dans les couloirs par manque de lits d'hôpitaux et d'employés.
Pendant six ans, de 2012 à la fin de 2017, le gouvernement libéral de l’Ontario a réduit les dépenses en santé, en éducation, et d’autres services publics essentiels au nom de l'élimination du déficit budgétaire de la province. Pendant les deux premières années de ce programme d'austérité, le gouvernement libéral minoritaire de Dalton McGuinty et Kathleen Wynne a maintenu le pouvoir uniquement parce qu'il bénéficiait de l'appui de nul autre que Horwath et ses collègues du NPD.
Le programme électoral de Horwath contient également des promesses selon lesquelles un gouvernement NPD introduirait un programme d'assurance-médicaments universel (non gratuit), l'établissement d'un ministère de la santé mentale et de la dépendance, et le lancement d'un programme de 10 ans d'investissements de plusieurs milliards de dollars pour réparer les écoles.
Provenant d'un parti qui a imposé des politiques de droite, propatronales, chaque fois qu'il a été au pouvoir au niveau provincial, ces promesses n’ont aucune valeur. Soulignant l'orientation propatronale du NPD, Horwath a vanté en tant que mesure radicale son projet d'augmenter l'impôt des entreprises de 1,5% et de 1% sur les revenus supérieurs à 220.000$. En fait, ceci ne rétablirait même pas le niveau d'imposition pour les grandes entreprises et les riches qui était déjà très bas quand les libéraux ont renversé les progressistes-conservateurs en 2003.
Comme l'ont fait remarquer les médias patronaux, à part ces quelques augmentations d'impôts minimes, le plan fiscal du NPD diffère peu de celui proposé par les libéraux.
Wynne a secondé cette observation, ajoutant qu'elle serait prête à coopérer avec le NPD pour empêcher Doug Ford et ses conservateurs de former un gouvernement en l'absence d'un parti majoritaire le 7 juin.
Pendant ce temps, Horwath et le NPD ont refusé d'exclure la possibilité que les deux partis coopèrent dans une coalition ou une autre entente parlementaire pour bloquer l'arrivée au pouvoir des conservateurs. Une telle entente, telle qu'en 2012 et 2014, entraînerait une intensification de l'assaut contre la classe ouvrière.
Les travailleurs à travers le Canada ont une longue expérience avec les politiques de droite de gouvernements provinciaux du NPD. La dernière fois que le parti a été au pouvoir en Ontario, de 1990 à 1995, il a capitulé face aux revendications de la grande entreprise qui voulait sabrer les dépenses publiques. Sous le premier ministre Bob Rae, le NPD a forcé 1 million d'employés du secteur public à prendre des congés non payés, a introduit le «workfare» (travail obligatoire pour les bénéficiaires de l’aide sociale), et abandonné des promesses électorales clés, incluant la création d'un système public d'assurance auto.
Rae a ensuite prouvé une fois de plus que les principaux partis bourgeois canadiens n'ont aucune différence de principes entre eux, quand, une décennie après avoir perdu le pouvoir, il a fait une simple transition à un poste dirigeant dans le Parti libéral fédéral.
Au niveau fédéral, le NPD a démontré qu'il est tout autant voué aux intérêts de l'élite patronale. Tout comme les partis sociaux-démocrates à travers le monde, incluant le Parti travailliste de Tony Blair en Grande-Bretagne et le Parti social-démocrate de Gerhard Schröder en Allemagne, le NPD a brusquement viré à droite dans les années 1980 et 1990. Sous la direction de feu Jack Layton, le NPD s'est débarrassé des restants de son programme réformiste timoré, incluant son opposition symbolique à la participation du Canada à l'OTAN, et a recruté des politiciens libéraux expérimentés de la grande entreprise, comme l'ancien ministre du Parti libéral du Québec, Thomas Mulcair, qui allait succéder à Layton à la tête du parti.
Mulcair, un sympathisant de la première ministre conservatrice britannique Margaret Thatcher, a engagé le NPD à la responsabilité fiscale et aux budgets équilibrés, a appuyé l'invasion israélienne de Gaza et le massacre de Palestiniens durant la guerre de 2014 et a insisté sur le maintien des conditions de taxation favorables aux investisseurs établies par des gouvernements successifs libéraux et conservateurs au cours des trois décennies précédentes. Depuis que Jagmeet Singh a pris la relève après Mulcair en octobre dernier, suivant une campagne à la direction qui n'a remis en cause aucun des principes fondamentaux guidant Mulcair, le parti a continué à maintenir sa trajectoire de droite.
En plus de ses politiques intérieures réactionnaires, le NPD est un fervent défenseur de l'agression impérialiste canadienne à travers le monde. Au nom de la supposée défense des droits de l'homme, le parti a appuyé le bombardement de la Yougoslavie en 1999 et a appuyé le rôle dirigeant du Canada dans les guerres américaines en Afghanistan et en Libye. Le NPD a également fortement appuyé le déploiement des Forces armées du Canada en Europe de l'Est dans le cadre des préparatifs à la guerre de l'OTAN contre Moscou. Et les sociaux-démocrates ont démontré leur appui pour l'augmentation des dépenses militaires en maintenant le silence au sujet des projets libéraux fédéraux pour une augmentation des dépenses militaires de 70% au cours de la prochaine décennie.
L'augmentation modeste de l'appui duquel bénéficie le NPD dans les sondages malgré son passé provient en grande partie de l'opposition répandue parmi les travailleurs à Ford, dont la politique de droite conservatrice est perçue comme une menace à ce qui demeure des gains faits par les travailleurs au cours des luttes du siècle passé. Malgré des tentatives misérables de la part de porte-parole médiatiques alignés aux libéraux, dont le Toronto Star, qui accusent la classe ouvrière d’être responsable de la montée de Ford afin d'obscurcir le fait que les politiques anti-ouvrières des libéraux ont produit la misère et l'inégalité sociales, Ford ne jouit pas d'une base d'appui de masse parmi les travailleurs. Ce sont plutôt des sections de l'élite dirigeante qui le mettent de l'avant afin de pousser la politique encore plus à droite.
Ceci étant dit, le NPD est loin d'attirer l'appui de masse des travailleurs. On ne voit rien de comparable à la vaste participation aux rassemblements et campagnes comme qu'aux États-Unis pour le candidat présidentiel démocrate Bernie Sanders et en Grande-Bretagne pour le dirigeant travailliste Jeremy Corbyn, qui ont tous deux employé de la démagogie socialiste pour canaliser la colère populaire croissante envers le système capitaliste dans le cul-de-sac de la politique officielle.
Des factions de l'élite dirigeante opposées à la candidature de Ford encouragent la montée du NPD. Reconnaissant qu'après 15 années d'attaques contre les travailleurs, les jours des libéraux au pouvoir sont comptés, des sections de syndicats, qui lors des dernières élections appuyaient les libéraux, font à présent campagne pour le NPD. En plus de cela, le Toronto Star fournit une couverture généralement favorable et exhaustive à Horwath et au NPD.
Deux questions reliées sont en jeu. D'abord, les syndicats et d'autres sections privilégiées de la classe moyenne associées aux ONG et au milieu universitaire craignent qu'un cabinet Ford menace leurs intérêts matériels en les excluant de la périphérie du pouvoir. Autant les libéraux que le NPD préfèrent un «partenariat» avec les syndicats, pour employer de façon systématique la bureaucratie syndicale dans l'imposition de leurs attaques contre la classe ouvrière. Les progressistes-conservateurs de Ford, d'autre part, ont affirmé que dans le cadre de leur campagne pour éliminer «le gaspillage gouvernemental», ils se débarrasseront de l'infrastructure provinciale des comités consultatifs patronat-syndicats-gouvernement biens financés.
Deuxièmement, des sections de l'élite dirigeante sentent que la classe ouvrière entre à nouveau dans des luttes de classes majeures, comme le font pressentir le nombre croissant de grèves et d'autres protestations sociales à travers le Canada durant la dernière année. Ces sections considèrent que le renforcement de l'apparence de «gauche» du NPD est vital afin de bloquer la radicalisation de la classe ouvrière et maintenir les travailleurs qui sont sur une trajectoire vers la gauche confinés dans le cadre de la politique bourgeoise.
Des illusions demeurent sans aucun doute parmi de nombreux travailleurs par rapport à la possibilité d'obtenir des améliorations sociales d'un gouvernement NPD. Ces illusions sont consciemment cultivées et encouragées par une coterie de groupes de la pseudo-gauche qui opèrent au sein du NPD, comme La Riposte (Fightback) et Action socialiste, ou dans sa périphérie, comme International Socialists.
En plus de cela, de figures «radicales» bien connues se sont manifestées pour renforcer l'autorité du NPD. Le dernier exemple de ce genre provient d'un article paru dans le Star écrit en collaboration avec la fameuse activiste progressiste Naomi Klein. Cet article, intitulé «Pouvons-nous empêcher la venue du Trumpisme au Canada», se lit comme une publicité électorale pour les néo-démocrates. «Nous sommes convaincus, peut-on lire, «qu'il est temps que tous ceux qui sont pour la justice sociale aident à faire élire le NPD – et ceci inclut des personnes comme nous qui n'avons jamais été membres du NPD et demeurons généralement en dehors de la politique parlementaire.»
(Article paru en anglais le 23 mai 2018)