Avec les élections provinciales du 7 juin en Ontario à moins de deux semaines, il est clair que les libéraux au pouvoir se dirigent vers une défaite écrasante. Après 15 années au pouvoir, pendant lesquelles ils ont sabré les dépenses publiques, criminalisé à plusieurs reprises les actions des travailleurs, privatisé les services publics et réduit encore les impôts des grandes entreprises et des riches, les libéraux luttent pour rester au-dessus de 20% des intentions de vote.
À ce stade, c'est l'homme d'affaires populiste de droite Doug Ford qui a été le principal bénéficiaire de la grogne populaire contre les libéraux qui ont été vivement soutenus par la bureaucratie syndicale tout au long de leur mandat. Après avoir mené une campagne à la Trump pour gagner la direction du Parti progressiste-conservateur (PC) plus tôt cette année, Ford a été largement accepté comme premier ministre de l'Ontario par l'élite corporative et ses porte-paroles des médias. Une campagne médiatique concertée a cherché à minimiser ses similitudes avec Trump, même si ses appels à réduire les milliards en «gaspillage» du gouvernement, à réduire les taxes des entreprises, les réglementations environnementales et sur le milieu de travail déjà minimales et les attaques démagogiques contre les «élites» ressemblent étrangement à la campagne électorale de 2016 du milliardaire fascisant.
La montée subite de Ford à la tête de l’autre parti traditionnel du gouvernement de l'Ontario n'était pas un hasard. Le poste de dirigeant du PC s’est ouvert à la fin du mois de janvier lorsque Patrick Brown, un ancien acolyte de Stephen Harper, est tombé sous le coup d’accusations non fondées d'inconduite sexuelle. Les dirigeants du PC, frustrés par les efforts de Brown pour ramasser les votes en déplaçant le parti au «centre», l'ont jeté en pâture dans les heures qui ont suivi les allégations.
Comme le World Socialist Web Site l’avait alors noté, «rien de progressiste ne peut sortir du retrait de Brown ... Le caractère de droite et antidémocratique de la chasse aux sorcières de #MeToo, en même temps que l'hystérie médiatique cultivée autour de Brown, sera utilisé pour déplacer le climat politique encore plus vers la droite en Ontario et partout au Canada».
Les grandes entreprises demandent un virage encore plus prononcé vers la droite
La détermination de l'élite dirigeante à changer radicalement la politique dans la province la plus peuplée du Canada est liée à l'aggravation de la crise du capitalisme canadien, dans des conditions d'instabilité géopolitique et économique mondiale croissante. Le programme de «l’Amérique d’abord» de Trump, qui inclut des économies d'impôts supplémentaires offertes à l'élite corporatiste et l'adoption de mesures économiques nationalistes qui menacent de nuire à la bourgeoisie canadienne, a suscité de plus en plus d'appels au sein des cercles dirigeants pour une attaque encore plus agressive à l’égard de la classe ouvrière, et ce dans le but de renforcer la «compétitivité» du Canada.
Il y a deux semaines, Donald Walker, PDG de Magna, a déclaré que les coûts élevés menaçaient l'avenir de ses usines de pièces automobiles en Ontario, tandis que David McKay, PDG de la Banque Royale du Canada, a déclaré que les gouvernements devaient relever le «défi de la compétitivité».
Les grandes entreprises critiquent de plus en plus le gouvernement libéral fédéral, vieux de deux ans et demi, avec lequel les libéraux de l'Ontario sont étroitement liés. Il y a beaucoup de reproches faits aux libéraux pour ne pas avoir réussi à faire passer les oléoducs vers la mer face à l'opposition publique et l’échec de la poursuite de la privatisation massive de l'infrastructure publique par l'entremise de leur nouvelle Banque canadienne de l'infrastructure. De plus, bien qu'il y ait un soutien universel au sein de l’élite dirigeante au programme militariste libéral, qui comprend une augmentation de 70% des dépenses militaires au cours de la prochaine décennie, les experts en sécurité militaire et une grande partie des médias se plaignent que Trudeau n'agit pas assez rapidement dans sa mise en application, en particulier dans le domaine de l'approvisionnement militaire.
De telles préoccupations doivent encore se traduire par une révolte ouverte par des sections de l'élite dirigeante contre le premier ministre Justin Trudeau et les gouvernements libéraux fédéraux. Mais il existe un solide consensus au sein de l'establishment selon lequel Kathleen Wynne et son gouvernement libéral ontarien ont dépassé leur date de péremption. Les grandes entreprises sont furieuses que les libéraux aient imposé une feinte cynique de gauche après avoir imposé une austérité impitoyable, surtout de 2010 à 2016, dans l'espoir d'éviter une déroute électorale. Cela comprenait l'augmentation du salaire minimum provincial à 14 $ l'heure et la promesse de modestes augmentations des dépenses sociales, financées par des dépenses déficitaires, dans leur budget préélectoral.
Une autre préoccupation majeure de l'élite dirigeante, même si celle-ci est moins discutée à ce stade, est l’intensification de la lutte des classes. En parallèle avec les grèves d'enseignants à travers les États-Unis, de travailleurs industriels et de fonctionnaires en Allemagne et de travailleurs du rail en France, les grèves et les protestations des travailleurs de l'Ontario et d'autres provinces ont augmenté au cours de la dernière année. De plus, dans plusieurs de ces luttes, y compris des grèves récentes dans deux usines automobiles à Ajax et à Windsor, en Ontario, et à la Caesars Hotel and Casino à Windsor, les travailleurs ont rejeté les contrats négociés par leurs représentants syndicaux officiels.
Dans les dernières heures avant la dissolution de l'Assemblée législative de l'Ontario en raison des élections imminentes, les libéraux ont tenté sans succès d'adopter une «loi d'urgence» rendant illégale la grève de deux mois et demi de 3.000 professeurs et adjoints diplômés de l'Université York.
L'alliance étroite des syndicats avec les libéraux était leur réponse à la dernière période de lutte des classes d’importance en Ontario, lorsque des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues pour protester contre la «révolution du bon sens» du premier ministre Mike Harris. À l'automne 1997, les enseignants ont organisé une grève illégale pour s'opposer à l'attaque du gouvernement Harris contre l'éducation publique. Mais quand Harris déclara que son gouvernement ne céderait pas, posant clairement la nécessité d'une grève générale politique visant à chasser son gouvernement, les syndicats stoppèrent la grève et sabotèrent le mouvement anti-Harris.
Peu de temps après, le syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile (l’Unifor actuel) et les syndicats d'enseignants forment la coalition Working Families Ontario pour canaliser des millions de dollars dans des campagnes visant à élire des libéraux, présentés comme «progressistes» et amis des travailleurs.
Les antécédents de droite du NPD
Craignant que leur identification à des contrats de concession et leurs liens étroits avec les libéraux pro-austérité aient miné leur capacité à surveiller la classe ouvrière alors qu'elle entre dans une nouvelle ère de luttes de classe acharnées, de nombreux syndicats ontariens ont décidé de se distancer du navire libéral qui est en train de sombrer.
Au lieu de défendre le «vote stratégique» pour les libéraux, un nombre croissant de syndicats mettent à profit leur force politique et organisationnelle derrière leur allié de longue date, les sociaux-démocrates du Nouveau Parti démocratique de l'Ontario (NPDO). Cela a débuté l'automne dernier, avec la consternation d’Unifor, lorsque la Fédération du travail de l'Ontario (FTO) a voté en faveur d’un appui au NPD lors des élections provinciales de 2018. Plus tôt ce mois-ci, la Fédération des enseignantes et des enseignants de l'élémentaire de l'Ontario, qui, comme les autres syndicats d'enseignants, était étroitement liée aux libéraux, a également appuyé le NPD.
Bien que les grandes entreprises et la machine politique de l'ex-premier ministre Harris et des premiers ministres conservateurs Harper et Brian Mulroney se soient ralliées à Ford, il est loin d'être acquis que les conservateurs obtiendront une majorité parlementaire ou même remporteront les élections.
Alors que Ford, exploitant l'identification des syndicats avec Wynne et la suppression systématique de la lutte des classes, a réussi à obtenir du soutien parmi les travailleurs, en particulier dans le sud-ouest de l'Ontario économiquement durement touché, il existe parmi la majorité des travailleurs et des jeunes une opposition profonde à Ford et à son programme réactionnaire, qui comprend des appels à la droite religieuse.
Cette opposition a trouvé une expression déformée dans le soutien croissant au NPD, qui, après avoir recueilli le soutien d'un peu plus d'un cinquième de l'électorat, recueille maintenant plus de 30% de soutien.
Bien conscients de la montée de la colère au sein de la classe ouvrière, des sections des médias et de la bureaucratie syndicale tentent maintenant de promouvoir le leader du NPDO, Andrea Horwath, en tant que défenseure des travailleurs et «vraie progressiste».
La plateforme d’Horwath, publiée le mois dernier et saluée par le Toronto Star d’allégeance libérale, contient un certain nombre de modestes propositions de dépenses sociales qui, dans le cas improbable où elles seraient appliquées, ne feraient rien pour mettre fin à la pauvreté profonde, à l'insécurité économique et aux inégalités sociales qui sévissent au sein du centre industriel traditionnel du Canada.
Toute suggestion voulant que le NPD commence à inverser les décennies d'attaques contre la classe ouvrière est réfutée par la longue tradition du parti de soutenir et de mettre en œuvre des politiques de droite en Ontario et partout au Canada. Les sociaux-démocrates ont réagi à la crise économique de 2008, qui a été utilisée dans le monde entier par la classe dirigeante pour dépecer les droits des travailleurs et mettre des milliards de dollars à la disposition des banques, en cherchant une coalition avec les libéraux au niveau fédéral. L'accord de coalition avorté comprenait des promesses de réduire les impôts des sociétés de 50 milliards de dollars, de faire la guerre en Afghanistan et de faire de la responsabilité financière la priorité du gouvernement.
Alors que le soutien continu de l'élite dirigeante pour les conservateurs de Harper a empêché le NPD d’entrer au gouvernement avec les libéraux à Ottawa, le NPD, d’abord sous la direction de feu Jack Layton puis sous l’ancien ministre libéral du Québec Thomas Mulcair, a continué à faire la promotion des libéraux en tant qu’alternative progressiste à Harper.
Horwath poursuivait essentiellement la même politique au niveau provincial, même si elle soutenait un gouvernement libéral minoritaire à Queen's Park plutôt que de se joindre au cabinet dans le cadre d'un gouvernement de coalition. Cet arrangement, qui a duré entre 2012 et 2014, a permis à Wynne d'adopter deux budgets d'austérité qui comprenaient des coupes dévastatrices dans les dépenses de santé et d'éducation.
Pendant la campagne électorale de 2014, Horwath était si déterminée à gagner l’attention des grandes entreprises qu'elle a fait campagne à la droite des libéraux, qui ont retrouvé leur majorité avec le soutien de la FTO et de son «Arrêtez Hudak! N’importe qui sauf les conservateurs».
La période entre les deux a seulement servi à souligner le caractère tout à fait frauduleux de la revendication selon laquelle les travailleurs pourraient arrêter l'offensive des grandes entreprises en soutenant les libéraux. L'inégalité sociale est à des niveaux sans précédent en Ontario, l'emploi précaire et à bas salaire a explosé et les services publics ont été réduits à leur plus simple expression.
Le fait que la bureaucratie syndicale corporatiste soit maintenant en train de graviter autour de Horwath et du NPD est un autre avertissement que si les sociaux-démocrates arrivent au pouvoir, elle dirigera un gouvernement de droite, anti-ouvrier.
(Article paru en anglais le 19 mai 2018)