Avec le référendum d’entreprise du 14-21 mai que prépare l’intersyndicale à la SNCF sur la réforme de Macron, les appareils syndicaux tentent de mener les cheminots dans une impasse. Alors qu’une majorité des travailleurs sont hostiles envers Macron et la loi travail du PS, d’où provient le dispositif réactionnaire du référendum d’entreprise, les syndicats présentent un choix empoisonné aux travailleurs.
Même si le «non» l’emporte, ceci laissera la voie ouverte aux négociations qu’entament les syndicats avec le premier ministre Edouard Philippe. En acceptant de négocier avec les syndicats, Philippe a insisté que la conversion de la SNCF en société anonyme, la fin du statut des cheminots et l’ouverture à la concurrence ne faisaient plus partie des sujets dont il négocierait. C’est-à-dire que les syndicats ont déjà accepté les positions du gouvernement sur ces questions dans le dos des grévistes, et qu’ils ne font plus que négocier le financement de la dette de la SNCF.
Si le «oui» l’emportait, grâce par exemple à la participation des cadres au référendum ou à la démobilisation des travailleurs non-grévistes ou de grévistes qui souffrent déjà du manque à gagner, les syndicats s’en serviraient pour décréter la fin de la lutte à la SNCF.
C’est un avertissement aux travailleurs: la seule voie pour aller de l’avant est de prendre leurs propres luttes en main et de s’organiser dans des comités d’action indépendants des syndicats. Les travailleurs ne peuvent pas mener la lutte contre l’austérité, qui est une lutte politique, sous l’égide des syndicats. Leurs appareils étant financés à 95 pour cent par l’État et le patronat et dominés par des bureaucrates qui cherchent avant tout à rentabiliser les sociétés où ils militent, les syndicats visent avant tout à désamorcer une mobilisation politique des travailleurs contre Macron.
L’intersyndicale qui a lancé l’appel au référendum inclut non seulement la CGT stalinienne et SUD, une centrale historiquement liée aux pablistes du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), mais aussi des syndicats pro-gouvernementaux tels que la CFDT. Même les syndicats qui se veulent «contestataires» envoient constamment des signes à Macron et à Philippe qu’ils cherchent une porte de sortie.
En annonçant le référendum le 9 mai, le secrétaire général de la CGT-Cheminots, Laurent Brun, a déclaré à CNews: «La direction dit ‘puisque trois quarts des cheminots ne sont pas en grève, c’est que trois quarts des cheminots soutiennent la réforme’ … A mon avis, la réponse sera écrasante, mais on le verra bien.»
Le secrétaire fédéral de SUD-Rail, Bruno Poncet, a déclaré sur LCI qu’il aurait préféré un format de référendum où les travailleurs auraient pu choisir quelle réforme «proposer», pour souligner le fait que les appareils syndicaux veulent eux aussi imposer une réforme aux cheminots.
«Il faut expliquer aux collègues qu’on n’est pas contre la réforme par principe. Aujourd’hui, la direction nous fait passer pour des radicaux alors que ce n’est pas le cas», a-t-il dit.
Cet aveu de Poncet dévoile le caractère de l’activité des appareils syndicaux, en France et à travers le monde. Ils sont bousculés par une profonde radicalisation des travailleurs et une remontée de luttes comme celles des enseignants aux Etats-Unis qui ont éclaté en dehors du cadre des syndicats, ou en Turquie qui ont abouti à des augmentations de plus de 20 pour cent pour les métallos. Ils sont également sonnés par le danger grandissant d’une guerre majeure contre l’Iran au Moyen Orient.
Les frappes d’Israël contre les forces iraniennes en Syrie soulignent les dangers que font peser sur les travailleurs les longues guerres en Libye et en Syrie, contre lesquelles les syndicats en France et dans le reste de l’Europe n’ont mobilisé aucune lutte. En fait, la CGT et SUD ont même signé une déclaration en 2012 dans laquelle ils se solidarisaient avec les prétextes «humanitaires» qu’avançait Paris pour ses interventions agressives. Ils savent qu’en cas de guerre majeure, la classe capitaliste voudra étouffer les grèves et toute opposition politique à l’intérieur du pays.
Les syndicats se lancent donc dans une série de manœuvres face au danger d’être débordés par un mouvement explosif de la classe ouvrière, comme il y a 50 ans, lors de le grève générale de Mai 68.
Le Parti de l’égalité socialiste a averti dès le début des luttes contre Macron que les travailleurs auraient besoin non pas d’une stratégie prétendument «contestataire» de syndicats favorables aux réformes, mais de construire leur avant-garde politique révolutionnaire. Les diverses tactiques et simagrées des bureaucrates syndicaux fournissent encore une confirmation éclatante de ce diagnostic.
Dans le journal stalinien L’Humanité, Brun a expliqué sa stratégie en citant la grève actuelle à Air France où, cette semaine, les salariés ont pris les syndicats de court en rejetant l’accord proposé par la direction, que les syndicats avaient approuvé et envoyé aux travailleurs sans oser le signer.
Il a dit: «A Air France, la direction pensait que les salariés avaient plongé dans le fatalisme et que tout pouvait passer. De même, le gouvernement pensait que la réforme de la SNCF se ferait sans trop de problèmes. Mais il est tombé sur un os. Le fatalisme est en train de reculer parmi les salariés, et les patrons qui comptaient dessus se retrouvent piégés.»
C’est de la démagogie pure. En fait, face à la colère grandissante des travailleurs, le patronat mais aussi les appareils syndicaux et leurs alliés politiques au PCF et au NPA se sentent tous piégés. A Air France, la défaite subie par la direction a traumatisé les syndicats; sûrs de la victoire de l’accord, ils ont préparé tous leurs tracts pour annoncer la victoire de la direction. Ils ont dû avouer à la presse qu’ils étaient stupéfaits et navrés du résultat.
A la SNCF, des syndicats dont les dirigeants qui sont favorables «par principe» à une réforme lancent ce référendum – soit pour se donner des fausses couleurs d’opposants à Macron en cas d’un vote «non», soit pour justifier leur propre capitulation en cas d’un vote «oui».
Ce référendum rappelle celui sur l’austérité organisé par le gouvernement Syriza («Coalition de la gauche radicale») en Grèce en juillet 2015. Au départ, Syriza disait vouloir obtenir plus de légitimité contre l’Union européenne; mais en interne, ses responsables misaient secrètement sur une défaite afin de justifier leur propre capitulation programmée. Surpris par le «non» des travailleurs grecs au référendum, ils l’ont foulé aux pieds après, en votant le programme d’austérité le plus profond depuis le début de la crise grecque en 2009.
Tout indique que le référendum CGT-SUD, fondé sur la loi travail du PS haïe par les travailleurs, a la même nature politique que le référendum fourbe de Syriza.