On a annoncé le vendredi 4 mai que les travailleurs en grève d’Air France avaient voté à 55 pour cent pour rejeter le contrat présenté le 16 avril par le PDG Jean-Marc Janaillac et les syndicats. Plus de 80 pour cent des travailleurs ont participé au vote.
Le contrat proposé était une insulte au personnel. Délivré par Janaillac avec le soutien tacite des syndicats, il proposait seulement une augmentation de salaire de sept pour cent sur quatre ans. La direction d’Air France s’était octroyée l’an dernier des augmentations de salaire à deux chiffres pouvant atteindre 67 pour cent après avoir affiché des bénéfices records de plus d’un milliard d’euros. Cette augmentation des bénéfices a été obtenue en déplaçant le personnel vers les compagnies aériennes subsidiaires à bas prix afin de réduire radicalement le niveau global des salaires.
Les travailleurs ont rejeté la proposition, défiant les menaces non seulement de la direction d’Air France et du gouvernement français, mais aussi celles des bureaucrates syndicaux, qui les ont dénoncés pour avoir fait grève contre le contrat et ont exigé qu’ils l’approuvent.
Alors que les pilotes auraient voté en grande partie pour approuver le contrat, les agents de bord et le personnel de maintenance semblent avoir massivement voté contre. L’entreprise compte 3.500 pilotes, 13.000 agents de bord et 32.000 travailleurs au sol. Alors que les pilotes qualifiés gagnent de bons salaires, une grande majorité des travailleurs de l’entreprise ne sont pas très bien payés. Leur revenu mensuel moyen avant impôt n’est que de 2.981 euros pour les hommes et 2.066 euros pour les femmes.
La semaine précédant le vote, le responsable de la Confédération française du travail (CFDT) Laurent Berger, interviewé par Europe 1, attaquait les pilotes d’Air France, disant qu’« ils nous prennent tous en otage » et provoquaient « de gros problèmes » pour l’entreprise. Air France aurait perdu au moins 300 millions d’euros et perdrait plus de 26 millions d’euros chaque jour que la grève continue.
Les syndicats d’Air France, après avoir organisé quelques grèves d’un jour ne donnant aux travailleurs aucune perspective pour s’opposer aux menaces de la direction d’Air France et du gouvernement s’attendaient à obtenir facilement un « oui ». La direction et les dirigeants syndicaux rassemblés pour voir les résultats du vote n’en crurent pas leurs yeux en voyant qu’exactement le contraire s’était produit.
Un responsable syndical resté anonyme a raconté la scène à France Télévisions : « J’ai vu 55 pour cent. Au début, je pensais que c’était pour ‘oui’, mais en fait c’était pour ‘non’. Un silence stupéfait s’empara de tout le monde. Il y a eu un silence pendant une minute entière. Puis un fonctionnaire d’Air France a crié : ‘Cette compagnie est ingérable !’ »
Un bureaucrate syndical à la réunion, qui avait organisé des grèves et déclaré publiquement s’opposer au contrat tout en s’attendant à ce qu’il soit voté, a déclaré : « J’étais sûr qu’avec tous les efforts que la direction avait faits, ils réussiraient ».
Les syndicats se sont même retrouvés sans tract pour informer les travailleurs du résultat du vote. Ils étaient si sûrs qu’ils obtiendraient un « oui » qu’ils avaient imprimé des tracts annonçant le passage de l’accord et n’avaient fait aucun préparatif pour un « non ». Ils n’avaient rien en main lorsque leurs membres les ont défiés et ont voté contre le contrat.
Janaillac a réagi en annonçant immédiatement sa démission. « Je prends la responsabilité des conséquences de ce vote et dans les prochains jours je remettrai ma démission au conseil d’administration d’Air France et d’Air France-KLM », a-t-il déclaré. « Ce vote est l’expression d’un malaise. Il appelle à une transformation profonde », a-t-il poursuivi, ajoutant qu’il espérait que sa démission permettrait « un changement collectif de mentalité, et créerait des conditions d’un rebond ».
Le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, a menacé les travailleurs d’Air France en déclarant que l’État ne « rattraperait pas les dettes d’Air France » ; il sermonna les travailleurs avec arrogance disant que leurs revendications salariales étaient « injustifiées ».
Hier, après la démission de Janaillac, les actions d’Air France-KLM ont chuté de 13 pour cent, dû aux craintes des investisseurs que la grève ne réduise les milliards de bénéfices que la compagnie leur distribue. « Cela laisse l’entreprise sans directeur général au milieu d’un conflit en cours », ont déclaré les analystes financiers au Figaro.
L’opposition courageuse des travailleurs d’Air France à ce contrat fait partie d’une recrudescence internationale de la lutte de la classe ouvrière contre les exigences de l’aristocratie financière. Cette vague de résistance de la base amène aussi la classe ouvrière à entrer en conflit ouvert avec les bureaucraties syndicales.
Aux États-Unis, une vague de grèves et de manifestations d’enseignants au mépris des syndicats a éclaté dans de nombreux États. Alors que les travailleurs d’Air France votaient contre le contrat, les enseignants du Colorado se mettaient en grève en même temps que des dizaines de milliers d’universitaires californiens et de chauffeurs des bus scolaires à Los Angeles. Parallèlement, des enseignants ont déclenché des grèves dans d’autres pays, depuis la Grande-Bretagne jusqu’au Sri Lanka.
En Europe, depuis le début de l’année, des grèves ont éclaté en Allemagne parmi les travailleurs de l’automobile, les métallurgistes et les fonctionnaires ; en Grande-Bretagne chez les cheminots ; en Europe de l’Est dans l’automobile et en Turquie chez les métallurgistes.
En France, la classe ouvrière entre en lutte politique contre le programme d’austérité et de militarisme du président Emmanuel Macron. Une grève des chemins de fer est en cours contre la privatisation prévue de la SNCF, en même temps que font grève les travailleurs de la santé et de l’État et que les étudiants bloquent leurs universités. Macron supervise de fortes réductions des salaires et des services sociaux pour tenter de libérer 300 milliards d’euros en vue d’augmenter considérablement les dépenses militaires. Dans le même temps, la France se joint à la campagne de guerre menée par les États-Unis au Moyen-Orient, bombardant la Syrie et menaçant l’Iran de guerre.
La voie à suivre est de retirer ces grèves des mains des bureaucraties syndicales corrompues et d’établir des organisations de base indépendantes pour unifier les grévistes avec leurs frères et sœurs de classe sur le plan international.
Les grèves de ces dernières années à Air France constituent un exemple particulièrement frappant de la façon dont les syndicats, tous axés sur le renforcement de la compétitivité des entreprises et des bénéfices, conviennent de mesures qui sapent directement les intérêts des travailleurs qu’ils prétendent, faussement, représenter.
En 2014, une puissante grève des pilotes avait éclaté à Air France contre des projets de transfert de travailleurs vers des filiales à bas coûts où les salaires sont inférieurs. Le management d’Air France avait perdu des centaines de millions d’euros et été mise à genoux financièrement. Alors que la victoire était à la portée des grévistes, les syndicats ont soudainement annulé l’action. « Il est de notre devoir de préserver l’avenir de notre entreprise et de panser ses blessures, avant que des dommages irréversibles ne soient causés », avaient déclaré les syndicats dans un communiqué.
Les syndicats n’étaient pas opposés à un effondrement des salaires de leurs membres. Ils craignaient une victoire de la grève et étaient déterminés à l’empêcher puisqu’elle pouvait nuire aux profits et encourager des actions de grève plus larges en France et dans les transports aériens en Europe. Leur rôle dans l’étranglement de la grève a été salué par divers partis de pseudo-gauche de la classe moyenne aisée comme le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et Lutte ouvrière (LO).
Le résultat de la grève de 2014 est un avertissement sérieux pour les travailleurs d’Air France aujourd’hui : les syndicats ne reculeront devant rien pour réimposer une autre version du contrat, faisant tout ce qu’ils pourront pour transformer une victoire en défaite.
Alors que la grève se poursuit, les syndicats n’ont pas réussi à s’entendre sur la façon de poursuivre la grève lors de leur réunion lundi soir. Un responsable syndical anonyme a déclaré au Figaro : « Nous voulons montrer que nous sommes responsables et ne pas réclamer immédiatement plus de grèves ».
(Article paru d’abord en anglais le 8 mai 2018)