Les Étudiants et jeunes internationalistes pour l’égalité sociale (EJIES) condamne sans équivoque l’interdiction par le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) du groupe Fightback (La Riposte) sur les lignes de piquetage des chargés de cours et assistants de recherche diplômés en grève de l’Université York.
Cette interdiction, orchestrée par une cabale de bureaucrates syndicaux, est une attaque flagrante contre les droits démocratiques. Elle souligne le caractère réactionnaire de la bureaucratie syndicale et de la campagne #MoiAussi, utilisée pour légitimer une attaque frontale contre des principes juridiques démocratiques fondamentaux et, dans le cas présent, pour faire taire explicitement tout débat politique.
L’EJIES et le Parti de l’égalité socialiste ont des divergences politiques de longue date, bien documentées et insurmontables avec Fightback, la section canadienne de la Tendance marxiste internationale pseudo-gauche. Mais cela ne diminue pas notre détermination à défendre les droits démocratiques fondamentaux des tendances politiques de présenter leurs programmes et leurs politiques aux travailleurs et aux jeunes, surtout dans des conditions où ces derniers sont engagés dans une lutte acharnée contre les forces combinées de la direction universitaire et du gouvernement provincial libéral.
Devin Lefebvre, président de la section locale 3903 du SCFP, a annoncé l’interdiction de Fightback dans une lettre laconique le 29 mars. «L’interdiction immédiate de toute présence de Socialist Fightback sur les lignes de piquetage et des endroits où se réunit la section 3903 du SCFP» est justifiée par Lefebvre comme une réponse à «la violence sexuelle et, de façon choquante, au harcèlement de survivants qui tentent de s’exprimer, que votre organisation a récemment démontré». Lefebvre a cité un vote en faveur de l’interdiction lors d’une réunion «spéciale» organisée à la hâte, la veille, et à laquelle seulement une infime fraction des 3000 grévistes a participé. Puis, avec arrogance, il a déclaré: «Nos membres ne se sentent pas à l’aise avec votre organisation, car vous continuez à ne pas prendre les mesures appropriées pour assumer la responsabilité collective des actions de votre groupe.»
Lefebvre n’a fourni aucune preuve pour étayer ses accusations incendiaires, et aucune personne n’a été identifiée comme ayant commis quelque «violence sexuelle» ou autre acte illégal ou même déplacé que ce soit. Dans un style qui rappelle l’inquisition, aucun incident, «victime» ou acte spécifique n’a été mentionné, hormis cette vague accusation de «harcèlement de survivants».
Le recours du SCFP à la censure politique va de pair avec sa détermination à isoler et à réprimer les luttes ouvrières chaque fois qu’elles éclatent. Comme les autres syndicats procapitalistes, le SCFP capitule, maintes et maintes fois, devant les demandes de concession des employeurs et les lois antigrèves.
À l’échelle internationale, une vague montante de rébellion des enseignants et du personnel enseignant déferle contre l’austérité et la privatisation, avec des grèves et des protestations qui éclatent de l’Oklahoma à la Virginie-Occidentale aux États-Unis, ainsi qu’en Grande-Bretagne et en Amérique latine. Mais le SCFP, qu’il s’agisse du niveau national, régional ou local, est bien déterminé à isoler la grève de l’Université York. L’appareil syndical bien doté en ressources n’a en effet pas même levé le petit doigt pour unir les grévistes de l’Université York au personnel de soutien à l’éducation de l’Université Carleton à Ottawa qui était aussi il y a peu de temps encore en grève.
Dès le début de la grève à l’Université York, il était clair que les chargés de cours et les assistants de recherche diplômés allaient avoir contre eux non seulement l’administration universitaire, mais aussi le gouvernement libéral de Wynne, qui a sabré dans le financement de l’éducation dans le cadre de ses compressions d’envergure dans les dépenses sociales et décrété illégales à répétition les grèves des enseignants.
Mais le SCFP est absolument opposé à ce que la lutte des grévistes de l’Université York contre la précarité de l’emploi et la pauvreté soit un point de ralliement pour la lutte contre l’austérité capitaliste et ses exécuteurs libéraux. Il n’a rien fait pour préparer les grévistes et les sympathisants à leur cause contre l’intervention presque inévitable des libéraux de l’Ontario pour mettre fin à la grève, même après que le gouvernement de Kathleen Wynne ait décrété illégale la grève des enseignants universitaires il y a moins de six mois.
Le SCFP, Unifor et les autres syndicats concentrent tous leurs efforts pour obtenir la réélection des libéraux, représentants du monde des affaires, lors des élections provinciales du 7 juin, au nom de leur «opposition pour stopper» Doug Ford et ses progressistes-conservateurs.
De concert avec son isolement et son étouffement des luttes ouvrières, la bureaucratie syndicale subordonne politiquement les travailleurs aux partis pro-austérité et proguerres comme les libéraux et les néo-démocrates. En Ontario, elle a fermement soutenu le gouvernement libéral McGuinty-Wynne au cours des 15 dernières années, alors même que celui-ci procédait au démantèlement des services publics et réduisait les impôts des grandes entreprises et des riches. Au niveau fédéral, les syndicats collaborent étroitement avec les libéraux de Trudeau, qui prévoient augmenter de 70 % les dépenses militaires au cours de la prochaine décennie et qui ne cessent d’intégrer davantage le Canada aux offensives stratégiques militaires de Washington partout dans le monde.
L’interdiction de Fightback souligne le caractère antidémocratique de la bureaucratie syndicale, prête à recourir aux calomnies, à la chasse aux sorcières et à la censure politique pour réprimer tout débat politique, l’opposition des travailleurs et protéger les privilèges de ses dirigeants bien payés.
Les implications politiques du recours du SCFP à une telle censure politique flagrante sont soulignées par le virage de l’élite dirigeante à l’échelle internationale vers des formes autoritaires de gouvernement. Les gouvernements des États-Unis, du Canada et d’Europe soulèvent un tollé contre les «fausses nouvelles», parce qu’ils redoutent justement les effets de l’aliénation croissante des travailleurs envers l’establishment et les médias du monde des affaires, ainsi que l’utilisation croissante des médias sociaux pour exposer les injustices et organiser l’opposition. Le New York Times, par exemple, a publié une série d’articles au cours des dernières semaines exprimant son désarroi face à l’utilisation des médias sociaux par les enseignants en grève pour coordonner leurs luttes indépendamment des syndicats.
Comme l’illustre l’interdiction de Fightback par le SCFP, la campagne #MoiAussi est propice à la chasse aux sorcières. Elle est utilisée pour légitimer le saccage des principes juridiques démocratiques vitaux comme le droit d’être dûment informé de toute accusation d’inconduite et de présenter une défense. Des allégations vagues et non fondées d’inconduite sexuelle sont ainsi utilisées pour régler des comptes, mettre fin à des carrières et réprimer un débat politique ouvert.
La campagne #MoiAussi (#MeToo) a été lancée dans les pages du New York Times proguerre et sert au Parti démocrate droitiste de moyen de renforcer la politique identitaire après la débâcle de Hillary Clinton lors de l’élection présidentielle de 2016. Avec #MoiAussi, les éléments des 10 % les plus privilégiés de la société mènent une lutte acharnée pour une redistribution plus favorable des richesses et des privilèges entre eux. Plus important encore, #MoiAussi est le moteur servant à l’élite dirigeante pour diviser la classe ouvrière en fonction de la race, du sexe et de l’orientation sexuelle à un moment où de plus en plus de travailleurs reconnaissent leurs intérêts communs dans la lutte contre les discriminations sociales, l’inégalité, l’austérité et la guerre.
L’EJIES demande instamment à toutes les facultés en grève et aux étudiants sympathisants au mouvement de grève d’exiger que le SCFP annule immédiatement son interdiction antidémocratique de Fightback. Une telle action doit devenir une étape importante pour que les grévistes et leurs sympathisants étudiants et dans les facultés prennent le contrôle de la grève et la transforment en fer de lance de la lutte contre l’austérité au Canada et dans le monde, ainsi que pour le développement d’un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière contre le système de profit capitaliste.
(Article paru en anglais le 16 avril 2018)