Une bonne partie des médias américains et internationaux exigent que l’Administration Trump fasse suivre sa rhétorique d’actes et lance une offensive militaire massive contre le gouvernement syrien de Bachar al-Assad soutenu par la Russie. L’irresponsabilité de cette agitation éditoriale est soulignée par le fait que ces appels à « l’action » sont indifférents à la possibilité qu’une attaque contre la Syrie puisse provoquer une guerre avec la Russie dotée d’armes nucléaires.
Un échantillon de titres montre l’état d’esprit qui anime la presse de l’establishment américain. « Quelques missiles de croisière de Trump n’arrêteront pas les crimes de guerre de la Syrie » (Washington Post) ; « Pour une deuxième frappe sur la Syrie, Trump devra utiliser les grands moyens » (Foreign Policy) ; « En Syrie, Trump confronté aux limites de la hâblerie » (New York Times).
Le prétexte pour que l’Administration Trump ordonne une escalade majeure des opérations militaires américaines en Syrie est l’allégation non vérifiée et douteuse que l’armée syrienne a utilisé des armes chimiques lors d’une attaque le week-end dernier contre la ville rebelle de Douma. Des images filmées par des forces antigouvernementales — que certains médias se sont vus obligés de republier avec l’avertissement qu’ils ne pouvaient en vérifier l’authenticité — prétendent montrer des enfants souffrant des effets d’une arme à base de chlore.
Le gouvernement d’Assad et la Russie, qui compte des milliers de militaires sur le terrain soutenant les forces syriennes, nient avec véhémence ces accusations. Ils ont souligné les problèmes évidents : de quelque point de vue que ce soit, l’utilisation d’armes chimiques serait à la fois militairement inutile et stratégiquement préjudiciable à leurs intérêts. Les forces islamistes soutenues par les États-Unis avaient été complètement déroutées et ont depuis livré Douma.
Le seul bénéficiaire de l’attaque chimique présumée, comme cela a été démontré tout au long de la semaine, sont les fractions des classes dirigeantes américaine, européenne et internationale qui veulent empêcher la défaite totale des « rebelles » et utiliser le soutien de Moscou au gouvernement Assad comme moyen d’intensifier les préparatifs de guerre contre la Russie même.
En avril 2017, l’Administration Trump avait répondu à des allégations, réfutées par la suite et selon lesquelles le gouvernement syrien aurait utilisé des armes chimiques, en tirant 59 missiles de croisière sur une base aérienne où l’on savait que du personnel russe opérait. Trump s’est ensuite vanté d’avoir informé le président chinois, Xi Jinping, d’une attaque qui aurait pu déclencher une guerre nucléaire alors qu’ils mangeaient ensemble un gâteau au chocolat dans son manoir de Floride.
Un an plus tard, Trump publie des « tweets » belliqueux et des déclarations répondant aux dernières allégations non moins frauduleuses de gaz toxique, promettant que le gouvernement syrien paierait un « grand prix » et accusant l’Iran et la Russie de complicité dans l’attaque chimique présumée. Aux Nations Unies, l’ambassadrice américaine Nikki Haley a promis que les États-Unis « répondront », indépendamment de tout veto à l’ONU par la Russie et la Chine contre une action militaire.
Le New York Times et le Washington Post, et à travers eux l’appareil de renseignement militaire et le Parti démocrate pour lesquels ils écrivent, ont envoyé un message clair à Trump qu’une attaque limitée comme celle de 2017 serait dénoncée comme une chose pire qu’inutile. Ils ne demandent rien moins que le renversement du régime d’Assad et, si nécessaire, l’utilisation de la force militaire contre les forces russes et iraniennes en Syrie.
Le 11 avril, le Washington Post déclarait : « La réalité à laquelle M. Trump n’a pas encore fait face est que, tant que le dictateur qu’il a appelé « l’animalAssad » reste en place, les guerres syriennes vont continuer ».
L’éditorial du Times disait: « Pour réitérer : pour avoir une chance de succès, toute action de représailles internationale doit faire partie d’une stratégie diplomatique cohérente pour stabiliser la Syrie et mettre en place un règlement politique... Le conflit a permis à la Russie, à l’Iran, à la Turquie et à l’État islamique, aujourd’hui dégradé par une coalition dirigée par les Américains, de reprendre pied en Syrie ».
Le magazine Foreign Policy, après avoir entériné une attaque massive soulevait, indifférent, cette question : « Qu’une telle opération à grande échelle amène les États-Unis à une confrontation avec le principal mécène d’Assad, la Russie, est moins clair. La réponse dépend en partie de la sévérité de l’action militaire américaine... »
Les moyens militaires pour mener une « opération à grande échelle » sont déjà en place au Moyen-Orient, en raison des 25 années d’intrigues et de guerres impérialistes menées par les États-Unis à travers la région. Une vaste gamme d’avions américains est déployée en Irak et dans les États du Golfe. Des navires de guerre et des sous-marins américains, français et britanniques armés de missiles de croisière sont déployés en Méditerranée orientale.
Le gouvernement Macron en France et le gouvernement May en Grande-Bretagne ont indiqué qu’ils étaient prêts à s’engager dans une « coalition des volontaires » réorganisée et à participer à ce qui pourrait dégénérer en une guerre avec la Russie et l’Iran. La monarchie saoudienne, armée jusqu’aux dents par l’impérialisme américain a indiqué qu’elle participerait à une action militaire en Syrie et, implicitement, à un conflit régional plus large. Israël, le principal État client des États-Unis dans la région, soupçonné d’avoir lancé lundi une attaque de missiles sur une base aérienne syrienne, serait aussi inévitablement impliqué.
Un porte-parole du Département américain de la Défense, Éric Pahon, a déclaré à Foreign Policy : « Nous sommes en train de tout remettre à plat, mais, finalement, c’est la décision du Président. Il a beaucoup d’options qu’il peut prendre, et tous ne sont pas militaires ».
Le message véhiculé dans les médias américains, cependant, est que si Trump choisit une option non militaire, son administration déjà assiégée fera face à une attaque encore plus féroce de la part de ses adversaires. Seule la guerre les satisfera.
À court terme, un objectif clé est d’assurer la domination américaine sur le Moyen-Orient. À plus long terme, il y a le calcul acharné et irresponsable de paralyser et finalement de faire tomber le gouvernement russe du président Vladimir Poutine.
Face à la déconfiture des assertions que Moscou aurait tenté d’empoisonner l’agent double Sergueï Skripal avec un agent neurotoxique, les éléments de la classe dirigeante cherchant la confrontation avec la Russie ont utilisé les forces par procuration de l’impérialisme en Syrie pour lancer une nouvelle provocation.
Un autre facteur dans les provocations visant à attiser les tensions avec la Russie est le désespoir avec lequel la classe dirigeante tente de détourner et de réprimer le mouvement croissant des travailleurs pour des salaires, des emplois sûrs et des conditions sociales décentes.
Comme le soulignait mardi la perspective du « World Socialist Web Site » : « Au milieu d’une vague d’agitation syndicale aux États-Unis et en Europe et de crises politiques internes aiguës, les élites dirigeantes voient non seulement dans la guerre un moyen d’inverser une série de revers géopolitiques au Moyen-Orient, mais aussi celui de réprimer l’opposition politique ».
Dans les conditions d’un conflit militaire majeur, les grèves et les manifestations pour les droits sociaux et démocratiques des travailleurs seront inévitablement dénoncées comme « apportant de l’aide à l’ennemi ».
(Article paru d’abord en anglais le 11 avril 2018)