Le chef du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario, Patrick Brown, a été forcé de démissionner peu après minuit mercredi dernier, c’est-à-dire moins de 4 heures après que des accusations anonymes et non fondées d’agression sexuelle ont été portées à son endroit – des accusations qu'il a vigoureusement niées.
Brown est la première victime politique de haut rang au Canada de la chasse aux sorcières #MeToo entourant les inconduites sexuelles.
Brown, qui selon les sondages aspirait à devenir le premier ministre de l'Ontario après les élections provinciales de juin, était la cible d’un reportage de CTV News qui alléguait qu’il avait eu un comportement sexuel inapproprié avec deux jeunes femmes. Selon les allégations, Brown aurait saoulé les adolescentes pour ensuite les tripoter et leur demander des faveurs sexuelles.
Le World Socialist Web Site n’a aucune sympathie politique pour Brown, un politicien conservateur droitiste et antiouvrier. Mais le limogeage de politiciens, tout comme les personnes actives dans le domaine de l’art et du divertissement qui sont congédiées et clouer au pilori, sur la base d’allégations non fondées et souvent anonymes d’inconduite sexuelle établie un précédent à glacer le sang. Un procès en bonne et due forme, la présomption d’innocence et d’autres principes juridiques et démocratiques sont en train d’être jetés aux orties.
La vitesse avec laquelle les événements de mercredi se sont déroulés est à couper le souffle. Le public a eu vent pour la première fois des accusations portées contre Brown lorsqu’il a tenu une conférence de presse peu avant 22h pour annoncer que CTV était sur le point de mettre en ondes son reportage. Lors de la conférence de presse, qui a duré moins de 2 minutes, Brown a dit: «Il y a quelques heures, j’ai appris des allégations troublantes concernant ma conduite et ma personne. Ces allégations sont fausses, catégoriquement fausses – chacune d’entre elles. Je vais me défendre aussi solidement que je peux avec tous les moyens mis à ma disposition.»
Brown a juré de demeurer chef des progressistes-conservateurs. Mais des mesures étaient déjà mises en branle pour l’évincer. Ses plus proches conseillers avaient déjà démissionné. Peu après, le caucus parlementaire conservateur, réuni pour une téléconférence d’urgence, a donné un ultimatum presque unanime à Brown: c'est la démission ou le désaveu sur la place publique. La démission de Brown a été annoncée peu avant 1h dans la nuit.
Dans le premier incident allégué, qui serait survenu il y a une décennie, une femme, qui était une étudiante de niveau secondaire à l’époque, a dit qu’elle avait rencontré Brown, qui ne boit jamais d’alcool, dans un bar avec une amie commune. Après qu’ils soient allés à la maison de Brown, la femme a dit que Brown leur avait offert de l’alcool et qu’il leur a ensuite fait visiter la maison. Elle a ajouté qu’à ce moment, elle était en état d’ivresse, tandis que Brown n’avait pas consommé d’alcool. La femme a dit que lorsqu’ils sont entrés dans la chambre à coucher, Brown a fermé la porte et lui a demandé une fellation.
Dans le deuxième incident allégué, Brown aurait embrassé, pour ensuite tripoter une femme qui travaillait dans son bureau parlementaire. L’incident se serait produit lorsqu’ils étaient assis sur un lit dans la maison de Brown après une fête. Elle a ajouté que Brown l’a couchée sur le lit et a continué de l’embrasser. Elle lui a ensuite demandé d’arrêter, lui disant qu’elle avait un copain. Brown a obtempéré et l’a ramenée chez elle.
Aucune plainte n’a été faite à la police, lors des événements, ou maintenant, au moment où ils sont devenus l’objet d’une tempête médiatique. Les allégations n’ont pas non plus été vérifiées juridiquement.
Cela n’a pas mis fin au spectacle déjanté de politiciens provenant de toutes formations politiques qui s’en prennent à Brown avec des condamnations moralisatrices pour son comportement allégué et qui somment le public de «croire» celles qui l’accusent ainsi que toutes celles qui se présentent comme victimes d’inconduite sexuelle.
Les conditions pour cela ont été créées par les médias du patronat et leur promotion de la chasse aux sorcières #MeToo comme étant une grande avancée pour les droits des femmes et par son appui par les plus hauts échelons du gouvernement fédéral libéral. Ce dernier voit #MeToo comme un moyen de mobiliser des sections de la petite bourgeoisie derrière son programme de militarisme à l’étranger et d’attaques contre les droits démocratiques au pays. (voir: Pourquoi le gouvernement libéral canadien appuie la chasse aux sorcières de la campagne #MoiAussi?)
Mettant de côté toutes notions que les allégations devraient d’abord être vérifiées par une enquête, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré: «C’est très important que nous montrions très clairement que le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles sont inacceptables.»
«Mes pensées vont immédiatement aux femmes qui sortent de l’ombre en sachant que c’est très difficile, je les salue pour leur courage et leur leadership.»
La première ministre ontarienne, Kathleen Wynne, a décrit les allégations contre Brown de «bouleversantes», mais a refusé de donner son avis sur l’impact qu’elles pourraient avoir sur les élections à venir. Vendredi après-midi, les progressistes-conservateurs ont annoncé qu’ils allaient tenir une véritable course à la direction afin de remplacer Brown, ce qui vient infirmer l’idée que le caucus parlementaire allait lui-même choisir le remplaçant de Brown en raison de l’imminence des élections du 7 juin.
La chef néo-démocrate de l’Ontario, Andrea Horwath, était encore plus méprisante quant à toutes suggestions que la campagne #MeToo, appuyée par les médias, s’en prend directement aux droits démocratiques.
Lorsqu’un journaliste lui a demandé si elle pensait que Brown avait droit à un procès en bonne et due forme, Horwath a dit que sa réponse avait deux mots: «Jian Ghomeshi». Un animateur très connu de la radio de Radio-Canada en anglais avant qu’il soit congédié en 2014, Ghomeshi a été acquitté de plusieurs accusations d’agressions sexuelles après un procès hautement publicisé.
Horwath a poursuivi en justifiant l'accent mis par la campagne #MeToo pour que les victimes soient crues sur paroles et que des actions punitives soient entreprises sans que l’accusé, comme dans plusieurs cas, ne soit même informé des accusations contre lui, sans parler de la possibilité d’y répliquer. «Le système de justice laisse tomber les femmes», a déclaré Horwath. «C’est vraiment le cas.» Elle a poursuivi en affirmant que le système était incapable de «protéger» les femmes et de permettre que «les femmes obtiennent justice». Elle a suggéré, tout comme le ferait un défenseur droitiste de la loi et de l’ordre ou un partisan de l’autodéfense, que cela devait être corrigé en retirant aux accusés leurs droits élémentaires.
Compte tenu de la frénésie médiatique actuelle autour de #MeToo, il est peu probable que Brown ait pu survivre longtemps comme chef conservateur. Néanmoins, la vitesse avec laquelle ses collègues l’ont jeté par-dessus bord est liée à sa faible base d’appui au sein du parti.
En 2015, lorsqu’il était un député fédéral conservateur, il a gagné la chefferie du parti progressiste-conservateur ontarien en ralliant les conservateurs sociaux et les dirigeants des communautés ethniques qui avaient jusque-là eu peu d’influence au sein du parti et qui, dans certains cas, ne n’y étaient même pas impliqués.
À ce moment, au grand désarroi d’une bonne partie de la direction du parti et de sa base active, il a déplacé les progressistes-conservateurs, qui n’ont pas gagné d’élections depuis 1998, plus proche du «centre». Rejetant sa réputation passée d’acolyte de Stephen Harper, il a fait tout son possible pour donner l’impression qu’un gouvernement conservateur mené par Brown ne ferait pas de changement majeur de politiques. C’était sans commune mesure avec la campagne menée par les conservateurs en 2014 sous Tim Hudak, qui incluait des promesses de supprimer 100.000 emplois dans le secteur public et d’introduire des législations antiouvrières «right to work», basées sur ce qui se fait aux États-Unis.
Les inquiétudes quant à la direction du parti ont été exacerbées par le refus de Brown de se positionner clairement contre la hausse de 2,40 $ du salaire minimum par les libéraux. Les propriétaires de droite des entreprises ont contre-attaqué vigoureusement la hausse, récupérant les pourboires et abolissant les pauses payées afin de compenser leurs pertes.
La presse, pendant ce temps, a mis en doute le jugement de Brown après qu’il a fait des allégations de corruption manifestement fausses contre Wynne.
Rien de progressiste ne peut émerger du retrait forcé de Brown. Cela n’avance pas d’un iota la lutte pour développer un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière contre l’austérité. Au contraire, le caractère antidémocratique et de droite de la chasse aux sorcières #MeToo, ainsi que l’hystérie médiatique qui est alimentée contre Brown, seront utilisés pour pousser le climat politique en Ontario et partout au Canada encore plus à droite.
Les médias suggèrent déjà fortement que d’autres politiciens pourraient rapidement devenir la cible d’allégations d’inconduites sexuelles et être évincés eux aussi.
Jeudi, Trudeau a «accepté la démission de» – autrement dit, il l'a congédié – le ministre fédéral des Sports et des Personnes handicapées, Kent Hehr, seulement quelques heures après qu’une femme s’est plainte sur Twitter qu’Hehr, qui est en fauteuil roulant, l’avait mise dans une situation où elle ne se sentait «pas en sécurité» en faisant des commentaires sexuels suggestifs lorsqu’ils travaillaient ensemble dans le parlement de l’Alberta.
(Article paru en anglais le 27 janvier 2018)