Non-lieu dans le meurtre policier de Rémi Fraisse : l’État menace la classe ouvrière

La décision de non-lieu dans le meurtre policier de Rémi Fraisse en 2014, annoncée le 9 janvier, est non seulement le point final d‘une enquête judiciaire contestée de bout en bout, mais aussi un signal politique clair et menaçant à la classe ouvrière.

Le parquet de Toulouse avait réclamé le non-lieu, disant que l‘instruction avait conclu à un « épouvantable accident ». L‘avocat du gendarme ayant tiré la grenade qui tua Fraisse cita le procureur disant que « l‘emploi de la force avait été proportionné à la situation », et que l‘emploi « de la grenade correspondait à l‘application des textes ».

Rémi Fraisse, un jeune militant écologiste, avait été tué dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014 par une grenade offensive à la suite d‘une manifestation contre la construction d‘un barrage à Sivens, dans le Tarn. Sa mort avait provoqué l‘indignation et des manifestations dans toute la France.

Claire Dujardin, l‘avocate de la famille de la victime, et son père ont attaqué la décision du parquet. L‘avocate a déclaré que ses « demandes d'acte avaient toutes été refusées: absence de reconstitution, d'appel à témoins, d'auditions du préfet du Tarn ».

«Toute personne qui sait lire verra dans le dossier les incohérences, les zones à exploiter... Toute personne découvrira aussi les contradictions dans les auditions des gendarmes... Les juges ne s'en sont pas saisis!»

« On s‘y attendait. Tout a été fait par les juges et le parquet pour une instruction à décharge des gendarmes », a déclaré Jean-Pierre Fraisse, «de toutes les façons, la décision a été prise à un haut niveau. La justice est aux ordres, point barre», ajoutant « la raison d‘Etat de deux gouvernements successifs a prévalu».

Le parquet avait accepté depuis le début la thèse de manifestants violents qui justifiaient l‘usage massif de la force, avancée par la gendarmerie et le gouvernement. Tout a été fait pour camoufler la responsabilité des donneurs d‘ordres politiques, le président PS Francois Hollande, son premier ministre Manuel Valls et son ministre de l‘Intérieur, Bernard Caseneuve.

La mort de Rémi Fraisse est tout sauf un accident. Tout montre au contraire qu‘elle est le résultat assumé de la politique du Parti socialiste et de décisions prises sciemment aux sommets de l’État et du gouvernement. Comme l‘ont établi rapports et articles de presse, l‘escalade de la violence de la part de l’État durait depuis août, suivie de près par le gouvernement.

Selon un rapport de la LDH (Ligue des Droits de l‘Homme), « A partir de début septembre... les autorités préfectorales et les pro-barrages commencent à qualifier les zadistes de terroristes ou d’éco-terroristes ». Le 7 octobre, une jeune femme de 25 ans, Elsa Moulin, est grièvement blessée à la main en ramassant une grenade jetée à l’intérieur d’une caravane par un gendarme.

Le rapport cite encore Nadia, une étudiante brutalisée par les gendarmes début septembre: « L’un d’entre eux m’a écrasé la tête sur le bitume avec son pied et m’a répété: "On n’en a rien à foutre que tu crèves, pauvre connasse".»

Le six septembre, le premier ministre, Manuel Valls, faisait un discours devant de jeunes agriculteurs justifiant son « tenir bon » à Sivens.

Un document radio montre la députée écologiste Cécile Duflot, ministre du gouvernement Hollande jusqu‘en mars 2014, disant au préfet du Tarn cinq jours avant la manifestation: « On risque le dérapage à tout instant. Je pense que la grenade qui a été lancée dans la caravane, ça peut être très grave. »

Duflot déclare encore qu‘elle n’avait «jamais vu ça... il n’y avait aucune stratégie de désescalade, aucune réunion de dialogue… Le lendemain, j’alerte tout le monde par SMS, notamment le président de la République. Je les préviens que je suis très inquiète vis-à-vis de la manifestation prévue le samedi … que les conditions sont réunies pour que ça se passe mal.»

Le lieutenant-colonel de la gendarmerie de Limoges avait peu après les faits déclaré aux enquêteurs que « le préfet du Tarn […] avait demandé de faire preuve d’une extrême fermeté».

Le nombre des projectiles lancés par les gendarmes montre que la mort de manifestants était prise en compte. Dans la seule nuit du 25 au 26 octobre 2014, en trois heures, plus de 700 grenades en tout genre ont été tirées, dont une quarantaine de grenades offensives, plus de 500 grenades lacrymogènes, des dizaines de grenades explosives assourdissantes et de balles en caoutchouc.

Le Défenseur des droits de l‘époque constate dans son rapport «que l‘arme à l‘origine du décès de Rémi Fraisse est particulièrement dangereuse, puisque composée de substances explosives, qui peuvent être fatales en cas de contact. » Un chercheur du CNRS cité par la LDH explique: « Un tel degré de force, traduction des consignes d’extrême fermeté qui ont été données par le politique sur le site, réduit la part du hasard improbable. » Il est établi que le petit groupe de manifestants où était Fraisse, visé par les gendarmes, ne pouvait être une menace pour eux.

Bernard Cazeneuve, le ministre PS de l'Intérieur, a gardé le silence pendant 48 heures après la mort de Fraisse, alors que le parquet en avait été informé la nuit même et que les gendarmes ont su tout de suite que c'était leur grenade qui l’avait tué. Dans ses premières déclarations, le gouvernement a immédiatement brandi la thèse de la violence des manifestants.

Le 28 octobre, Valls déclare à l'Assemblée: « Avant même qu’une enquête ait été conclue, je n’accepterai pas une mise en cause de l’action des policiers et des gendarmes qui ont compté de nombreux blessés dans leurs rangs. […] Et je n’accepterai pas ces violences. Il n’y a pas de place dans notre République, en démocratie pour les casseurs. »

Les nombreuses irrégularités et contradictions de la procédure et les blocages du parquet pointés sur trois ans par les avocats indiquent clairement que ce qui a été organisé est une opération pour couvrir un meurtre politique supervisé par le PS.

Ce verdict de non-lieu, prononcé sous le gouvernement Macron, dit au pays: la police a le droit de vous tuer, et elle le fera si l’État le veut. Il entérine de fait les décisions prises par le gouvernement PS qui ont eu pour conséquence la mort du jeune écologiste.

Il doit être vu dans le contexte politique et social actuel, où le gouvernement Macron lance une offensive brutale contre les salaires et les emplois des travailleurs. Alors que les dispositions de l’état d‘urgence ont été inscrites dans la loi antiterroriste, Macron utilisera en grand les mêmes méthodes contre les travailleurs défendant leurs salaires, leur emplois et leur acquis sociaux.

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