Amazon, le plus grand revendeur en ligne au monde, a supprimé plus de 1000 commentaires négatifs sur le livre nouvellement publié de Hillary Clinton, What happened ? (Que s’est-il passé ?), pour donner au livre une note de cinq étoiles.
La note des usagers d’Amazon pour ce livre est plus élevée que les éditions les plus populaires de Guerre et Paix, et Le Conte de deux cités, largement considérées comme parmi les plus grands livres jamais écrits.
Très tôt mercredi, le jour de sa sortie, le livre avait une note extrêmement basse de deux étoiles et demie, sur la base de près de 1700 commentaires. Mais ce chiffre a été réduit à un peu plus de 500 plus tard dans la journée et s’élève à 623 au moment de la rédaction de cet article. La note a monté jusqu’à 4,9, ce qui fut arrondi à cinq étoiles dans le graphique montré aux usagers.
Amazon a cherché à justifier cet acte flagrant de censure de masse. Un porte-parole d’Amazon a déclaré au magazine Fortune : « Nous avons cependant des mécanismes en place pour nous assurer que les voix de beaucoup n’abolissent pas les voix de quelques-uns et nous éliminons les commentaires des clients qui violent nos directives communautaires. »
À la suite de ces actions, le livre avait seulement 21 commentaires « critiques » et 602 « positifs ». Et ceci en dépit du fait que les sept critiques des clients les plus populaires lui ont donné une ou deux étoiles.
En tant que travail d’écriture politique, le livre de Clinton ne mérite pas le score parfait que Amazon lui donne.
Abstraction faite de l’interprétation et de l’opinion, sa description des événements clés des élections de 2016 présente un niveau de sélectivité qui touche à la falsification. Le livre ignore le biais largement documenté au sein du Comité national démocrate (DNC) à l’égard de la campagne de Clinton, y compris le trucage de plusieurs débats, ce qui a conduit à la démission de Debbie Wasserman Schultz en tant que responsable de la DNC, et s’engage dans des théories du complot douteuses sur l’intervention de la Russie dans la campagne électorale, qu’il ne soutient par aucun élément objectif.
La moitié du livre environ est du remplissage, cela se lit comme du recyclage des discours de campagne. Les seules parties dont le lecteur peut déduire de manière fiable qu’elles ont été écrites par la candidate elle-même sont les parties écrites au vitriol éparpillées tout au long du livre pour dénoncer aussi bien des alliés que des ennemis politiques.
Pourquoi, donc, Amazon est-il intervenu de manière si agressive pour le promouvoir ? Bien que les objectifs commerciaux ne puissent pas être écartés, les préoccupations d’Amazon sont principalement politiques, et la suppression des commentaires critiques constitue un acte de censure politique.
Le livre de Clinton est un manifeste pour la poussée croissante des grandes entreprises, en collaboration avec les agences de renseignement et les gouvernements, pour censurer la liberté d’expression sur Internet.
Ce livre fournit le compte-rendu le plus complet à ce jour du récit selon lequel la victoire de Donald Trump a été le résultat « d’une intrigue russe pour saboter ma campagne et aider à faire élire Trump », qu’elle a qualifiée de « l’équivalent politique des attaques du 11 septembre 2001 ».
Cette « attaque » a pris la forme de la propagation de « fausses nouvelles » (fake news), qui est un terme appliqué par Clinton à tout ce qu’elle juge embarrassant dans sa campagne. Pour éviter la propagation de ces « fausses nouvelles », les entreprises doivent être habilitées à les bloquer.
Elle écrit : « Une grande partie de ce que nous voyons en ligne est régie par une série d’algorithmes qui déterminent quel contenu apparaît dans nos flux Facebook et Twitter, les résultats des recherches Google et ainsi de suite. Un facteur pour ces algorithmes est la popularité. Si beaucoup d’utilisateurs partagent la même publication ou cliquent sur le même lien – et si les « prescripteurs » clés qui ont de grands réseaux personnels le font aussi, alors il est plus susceptible de s’afficher sur votre écran.
Elle ajoute : « Des entreprises comme Facebook, Twitter et Google ont déjà commencé à prendre des mesures, à ajuster les algorithmes, à désactiver les réseaux de bots informatiques, et à établir des partenariats avec des vérificateurs de faits, mais ils doivent en faire davantage ».
Ceux qui sont particulièrement sensibles aux « fausses nouvelles », écrit-elle, sont ceux qui s’opposent à elle depuis la gauche. « Les Russes ont fait un effort particulier pour cibler les électeurs qui avaient soutenu Bernie Sanders dans les primaires », écrit Clinton, notamment en plantant de fausses nouvelles sur les forums électroniques et les groupes Facebook Pro-Sanders et en amplifiant les attaques des "Bernie Bros » [supporteurs de Sanders]. »
Clinton avertit, de manière sinistre : « Cela peut se reproduire de nouveau si nous ne l’arrêtons pas », invitant les politiciens à faire une pression plus forte pour faire avancer l’enquête « sur la Russie ».
Depuis l’élection, Facebook et Google (dont elle en fait une éloge de l’ancien PDG comme un allié clé de sa campagne) ont tous deux publié des documents déclarant leur intention de réprimer les « fausses nouvelles ». Google est manifestement passé à l’acte, sabrant le trafic des sites Web de gauche, progressistes et anti-guerre, y compris le WSWS, dont le trafic provenant de son moteur de recherche a baissé de deux tiers.
Le livre de Clinton, en plus de constituer un discours amer et subjectif, est un élément clé de la volonté de censurer la liberté d’expression sur Internet. Il a été soigneusement chorégraphié avec des déclarations des agences de renseignement, des membres de haut rang du Congrès tels que le sénateur démocrate Mark Warner, le membre du comité sénatorial du renseignement et les « enquêtes » du New York Times et du Washington Post.
C’est pourquoi Amazon, un monopole géant qui craint le mécontentement croissant de sa main-d’œuvre hautement exploitée autant que la désaffection générale envers la politique de droite du Parti démocrate, censure les critiques du livre de Clinton.
(Article paru d’abord en anglais le 15 septembre 2017)