L'emprisonnement cette semaine des dirigeants des plus grandes organisations séparatistes de Catalogne – Jordi Sànchez de l'Assemblée nationale catalane (ANC) et Jordi Cuixart d'Òmnium Cultural – a été suivi de manifestations à travers la Catalogne. La plus grosse a eu lieu à Barcelone mardi soir où 200.000 personnes ont manifesté.
Il s'agit des premières incarcérations de prisonniers politiques depuis la fin de la dictature fasciste du général Francisco Franco.
Une mobilisation de masse est prévue ce samedi après-midi pour demander leur libération. Le «Conseil pour la démocratie», qui regroupe 60 organisations, dont l'ANC, Òmnium Cultural, les syndicats UGT et CCOO et les organisations faîtières patronales, CECOT et PIMEC, parle d'une autre «grève nationale».
Sànchez et Cuixart sont détenus dans l'attente d'une enquête sur des accusations de sédition fabriquées de toutes pièces et sont passibles d'une peine maximale de 15 ans d'emprisonnement. Ils sont accusés d'avoir organisé des manifestations les 20 et 21 septembre qui ont tenté d'empêcher les raids de la police sur les organisations promouvant le référendum d'indépendance du 1er octobre en Catalogne.
Les arrestations ont eu lieu après des semaines de répression soutenue de la part du gouvernement du Parti populaire (PP) du premier ministre Mariano Rajoy. Des responsables du gouvernement catalan ont été arrêtés, des dizaines de sites Internet ont été fermés, des millions d'affiches et de tracts ont été saisis, des imprimeries et des journaux ont été perquisitionnés, des réunions ont été interdites et des centaines de maires ont été menacés de poursuites pour avoir soutenu le référendum.
Le 1er octobre, le gouvernement PP a envoyé des dizaines de milliers de policiers pour empêcher, sans succès, la tenue du référendum. Les médias sociaux ont été inondés d'images de gardes civils se frayant un chemin dans les bureaux de vote, saisissant des urnes et matraquant des électeurs pacifiques et sans défense, dont des centaines ont été blessés. Une hystérie nationaliste sécuritaire a été fomentée et les manifestations d'extrême droite sont encouragées.
Hier, à 10h, le premier ministre régional catalan, Carles Puigdemont, devait «clarifier» s'il a déclaré l'indépendance – suite à sa déclaration de la semaine dernière où il réaffirmait le droit de la Catalogne à l'indépendance, mais que l'indépendance ne serait pas déclarée pendant plusieurs semaines pour permettre des négociations avec Madrid.
S'il ne renonce pas à la déclaration d'indépendance, de nombreux articles ont suggéré que le Conseil des ministres de Rajoy invoquerait des mesures en vertu de l'article 155 de la Constitution espagnole – habituellement qualifié d'«option nucléaire» – qui suspendraient l'autonomie catalane. Une telle démarche jetterait les bases d'une administration directe de Madrid au moyen d'une intervention militaire.
Selon les médias, le parlement régional (Generalitat) sera dissout et une «autorité gouvernementale de transition» sera créée, composée de technocrates nommés qui assureront le fonctionnement des différents ministères catalans.
Puigdemont serait autorisé à continuer en tant que président du gouvernement régional, mais il serait dépouillé de ses pouvoirs. Le vice-président Oriol Junqueras, responsable des finances de la Generalitat, accusé d'avoir fait fuir les investissements de Catalogne et fait que des entreprises délocalisent leur siège, pourrait être limogé. Junqueras et d'autres responsables risquent d'être arrêtés et emprisonnés comme l'ont été Jordi Sánchez et Jordi Cuixart.
La prochaine étape, selon les reportages, serait alors de tenir de nouvelles élections en Catalogne. Celles-ci ne seraient pas convoquées par le gouvernement régional comme d'habitude, mais par Madrid. Il est de plus en plus improbable que les partis qui réclament l'indépendance soient autorisés à se présenter, alors que les appels exigeant leur interdiction sont de plus en plus nombreux.
Pour le moment le gouvernement ne parle pas ouvertement d'intervention militaire, mais des troupes de logistique ont été envoyées pour soutenir les unités de la police nationale et de la garde civile en Catalogne et les détails du plan de déploiement des troupes Cota de Malla (cotte de mailles) ont été publiés avec des commentaires de membres de l'armée.
Rajoy se rendait jeudi après-midi à Bruxelles pour prendre part au sommet du Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne (UE). L'UE a toujours déclaré que la sécession catalane est une crise «interne» que l'Espagne doit résoudre dans les limites fixées par sa Constitution: opinion exprimée par l'administration Trump aux États-Unis. La répression du PP bénéficie du soutien de l'UE et des États-Unis, car ils craignent que l'UE et l'OTAN n'éclatent en une mosaïque de mini-États concurrents.
À cette fin, la Catalogne ne devait même pas figurait en tant que point officiel de l'ordre du jour du sommet. «Nous n'avons pas l'intention de le mettre à l'ordre du jour, mais bien sûr, si le président Rajoy veut en parler, nous l'y mettrons», a déclaré un haut responsable européen.
Le secrétaire général du Parti socialiste (PSOE), Pedro Sánchez, se rendait également à Bruxelles. Son rôle principal est de défendre le PP et de tenter de contrer les représentations des mesures répressives adoptées par l'État espagnol. Il a rencontré mercredi le président du Parlement européen, Antonio Tajani, la haute représentante pour la politique étrangère, Federica Mogherini, et le président du groupe socialiste au Parlement européen, Giani Pittella, avant de participer à une conférence organisée par la faction sociale-démocrate européenne. Il devait rencontrer jeudi le président de la Commission européenne, Jean Claude-Juncker.
Le bulldozer implacable des mesures policières en Catalogne imposées par le gouvernement du PP, qui gouverne le cinquième pays capitaliste, prétendument démocratique en Europe, constitue un avertissement pour les travailleurs et les jeunes à travers le continent et à l'échelle internationale. Le feu vert donné à la répression du PP, appuyé par le parti de droite Citoyens et le PSOE, par l'UE et les États-Unis, est une confirmation supplémentaire du fait que les élites dirigeantes mondiales ne toléreront aucune opposition à leurs politiques sociales contre-révolutionnaires.
Ce qui se passe en Catalogne deviendra le modèle de gouvernance à travers l'Europe.
La réapparition rapide de telles mesures répressives dans un pays, qui aux dires insistants du PSOE et du Parti communiste, a résolu son amère histoire du XXe siècle de lutte des classes, de révolution et de dictature à travers la «transition vers la démocratie» – après la mort de Franco en 1975 – est une vive expression de l'effondrement de l'ordre capitaliste mondial d'après-guerre.
Le règlement politique concocté durant la Transition a volé en éclats. Le PSOE, principal parti de gouvernement de l'élite dirigeante espagnole dans la période post-franquiste, a été discrédité par des décennies de politique d'austérité et de guerre.
La question fondamentale est la mobilisation politique de toute la classe ouvrière espagnole et européenne dans la lutte contre le retour à un régime d'État policier et contre toute tentative de mobiliser l'armée.
Les travailleurs et les jeunes de Catalogne, de toute l'Espagne et de tout le continent doivent exiger la fin de la répression brutale menée en Catalogne. Toutes les troupes et les forces gouvernementales doivent être retirées de Catalogne et les prisonniers politiques immédiatement libérés.
L'opposition à la répression étatique ne peut être organisée sous l'égide des partis au pouvoir à Madrid ou des nationalistes catalans, qui sont résolument hostiles à la classe ouvrière.
Le Comité international de la Quatrième Internationale insiste sur le fait que la seule politique viable contre le danger de guerre et de dictature est de lutter pour unifier la classe ouvrière en Espagne et en Europe dans une lutte contre le capitalisme et pour la réorganisation socialiste de la société. Cela ne peut se faire que dans la lutte révolutionnaire contre toutes les factions bourgeoises espagnoles, que ce soit à Madrid ou à Barcelone.
(Article paru en anglais le 19 octobre 2017)