Samedi, le mouvement France Insoumise (FI) de Jean-Luc Mélenchon a tenu une convention dans la banlieue parisienne de Villejuif pour lancer sa campagne pour les législatives, les 11 et 18 juin.
Malgré des sondages qui montrent que FI n'a que 14 pour cent des intentions de vote, une baisse substantielle par rapport aux 19,6 pour cent des suffrages pour Mélenchon aux présidentielles, Mélenchon a affirmé que FI pourrait «gouverner le pays». Il répétait ainsi sa proposition, faite entre les deux tours des présidentielles, de servir en tant que Premier ministre sous le nouveau président français, Emmanuel Macron.
Mélenchon a bénéficié d'un soutien important au premier tour des présidentielles à cause de ses critiques de la guerre et des inégalités sociales. Mais la convention de samedi a clairement illustré le gouffre de classe qui sépare l'appel de Mélenchon pour des alliances parlementaires avec Macron de l'appel du Parti de l'Egalité socialiste (PES), pour un boycott actif du second tour, afin de préparer politiquement une mobilisation des travailleurs contre Macron.
Dans un discours d'une heure aux délégués, Mélenchon a déclaré: « La France insoumise propose aux électeurs d'organiser une nouvelle cohabitation, de mettre en échec la politique macroniste. Nous le pouvons, c'est à portée de main, que viennent les jours heureux »! Il a ajouté, « Nous sommes candidats partout, avec comme objectif gouverner le pays et constituer une nouvelle majorité ».
En tant que premier ministre, a dit Mélenchon, il pourrait guider Macron dans la mise en œuvre de sa politique. « Il faut montrer qu’il faut que ce jeune homme soit tempéré dans ses folies par la main avisée d’un sage qui connaît de quel côté est le bonheur du peuple », a-t-il ajouté.
Mélenchon sème des illusions absurdes sur Macron. Le programme d'austérité et de militarisme de Macron n'est pas le produit de la folie personnelle, mais de la crise du capitalisme. Macron est un ancien ministre PS et un ex-banquier à Rothschild ; son programme représente les intérêts des sections les plus puissantes de la classe dirigeante : les banques, l'armée et le renseignement. Pourtant, Mélenchon ne propose qu'un plan impuissant pour proposer des conseils « sages » à Macron, afin de rassurer tout le monde qu'il sait comment faire le bonheur du peuple.
C'est la continuation directe du soutien ambigu de Mélenchon pour Macron après le premier tour des présidentielles. Le PES a appelé à un boycott actif du second tour entre Macron et le candidat du Front national (FN), Marine Le Pen, et averti que Macron, comme Le Pen, imposerait une politique d'austérité, autoritaire et militariste. Bien que ses partisans aient très largement voté pour boycotter les élections, il a refusé de donner une consigne de vote au second tour, afin de garder les partisans de Macron et les partisans d'un boycott regroupés dans son organisation.
L'abdication lâche par Mélenchon de sa responsabilité politique envers ses électeurs a comme but de poser un piège politique pour les travailleurs. Une colère sociale explosive monte en France et en Europe : les deux tiers des Français disent que la lutte des classes est une réalité quotidienne, et 64 pour cent des jeunes Français s'opposent au rétablissement du service militaire. Mélenchon vise à conduire le malaise et la colère croissants des travailleurs envers Macron dans l'impasse d'une perspective parlementaire, vouée à la défaite.
De larges sections des travailleurs comprennent que Macron maintiendra l'état d'urgence, qui suspend les droits démocratiques, et l'utilisera pour imposer des politiques sociales profondément impopulaires. Macron veut réduire les impôts sur les sociétés et imposer l'austérité par ordonnances, en utilisant le cadre fourni par la loi du travail, imposée l'année dernière sans aucune légitimité démocratique face aux manifestations et à l'opposition de 70 pour cent des Français.
Dans ces conditions, même Mélenchon s'est senti obligé de présenter quelques critiques de Macron. Il s'est plaint du fait que Macron voulait « les pleins pouvoirs » pour forcer le passage de ses politiques au parlement par ordonnances: « Le premier vote que Macron demandera à ses députés, c'est les ordonnances, c'est à dire la soumission ».
Mélenchon a tenté de susciter des espoirs illusoires que les électeurs enverraient une majorité FI à l'Assemblée, il a insisté sur le fait qu'une lutte parlementaire contre Macron est encore viable. Si les électeurs devaient « donner une majorité à FI alors vous aurez une majorité qui appliquera la politique de la FI, le programme l'avenir en commun ».
En fait, il sera impossible sous Macron d'obtenir même les concessions sociales assez mineures proposées dans le programme de la FI. Macron s'est engagé non seulement à l'austérité et à l'état d'urgence, mais aussi à un renforcement militaire majeur, y compris un retour au service militaire obligatoire, ce que Mélenchon a également soutenu lors des présidentielles. Les fonds manqueront pour des initiatives sociales sous Macron, qui va dépenser d'innombrables milliards d'euros pour préparer des guerres majeures de l'OTAN au Moyen-Orient, en Afrique et en Europe de l'Est.
Une contradiction essentielle sous-tend le programme de Mélenchon. Il propose d'obtenir, sous le capitalisme, diverses concessions, augmentations de salaire, financement pour les étudiants, etc., répertoriés dans son programme, qu'on ne peut obtenir sans le renversement révolutionnaire du capitalisme et la construction du socialisme à travers l'Europe et à l'international. Tout en se présentant comme radical parce qu'il propose des revendications sociales, il essaie d'imposer aux travailleurs une perspective parlementaire bourgeoise en faillite.
Cette perspective a sa source dans l'histoire politique de Mélenchon et en particulier dans son hostilité au trotskysme. Il a rejoint l'Organisation communiste internationaliste (OCI) alors qu'elle rompait avec le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), dont la section française est aujourd'hui le PES, sur une perspective nationaliste réactionnaire de la construction du PS, fondé en 1971. Ensuite, l'OCI s'est intégrée dans le PS et sa périphérie politique.
Lionel Jospin a milité à la fois à l'OCI et au PS, pour devenir l'un des principaux collaborateurs du président François Mitterrand, puis premier ministre de France. Jospin a dirigé le gouvernement de la Gauche plurielle de 1997-2002 – qui comprenait le PS, le Parti communiste français (PCF) stalinien et les Verts – sous le président de droite Jacques Chirac. Mélenchon était un ministre dans le gouvernement de Jospin, dont les politiques réactionnaires ont été profondément impopulaires.
A Villejuif, Mélenchon a insisté que les électeurs FI devrait lui permettre de suivre le chemin tracé par Jospin, en établissant une cohabitation entre lui et Macron. Il a déclaré que « la cohabitation de Lionel Jospin pendant 5 ans a été l'un des moments les plus positifs de la vie de l'économie française ».
En traitant la Gauche plurielle de modèle, Mélenchon démontre qu'il est profondément hostile aux travailleurs. Jospin a mené une série de mesures d'austérité, y compris une forte réduction du nombre de fonctionnaires et la privatisation de nombreuses entreprises publiques, et a participé à la guerre en Afghanistan. Cela a produit une défaite humiliante pour Jospin lors du premier tour des présidentielles en 2002 : Jospin et le PS ont été éliminés au premier tour, ce qui a produit un second tour entre Jean-Marie Le Pen et Chirac.
Mélenchon et les descendants politiques de l'OCI ont soutenu Chirac en 2002 et Macron en 2017 contre le FN. Ces 15 dernières années, leur politique en faillite n'a produit que des catastrophes pour les travailleurs. Ils ont imposé des mesures d'austérité, de guerre et d'état policier, créant ainsi les conditions de la montée de l'influence du FN , qui a doublé son vote entre 2002 et 2017.
Les positions de Mélenchon confirment encore une fois la justesse de l'appel du PES pour un boycott actif du second tour, pour donner une ligne politique indépendante aux travailleurs et les armer politiquement avec une perspective révolutionnaire et socialiste pour les luttes à venir contre Macron et l'UE. Les forces qui, comme Mélenchon, cherchent à piéger la classe ouvrière dans l'impasse d'une politique parlementaire, n'ont rien à proposer que des illusions et des mensonges politiques.
(Article paru en anglais le 17 mai 2017)