Comment l’armée allemande couvre les réseaux terroristes néonazis

Une semaine après l’arrestation du lieutenant d’extrême-droite Franco A., des indices sont apparus montrant que ce terroriste suspecté faisait partie d’un important réseau néonazi dont l’existence a été dissimulée par les autorités allemandes.

Le militaire âgé de 28 ans a été arrêté la semaine dernière après avoir été appréhendé par la police autrichienne en février alors qu’il venait récupérer une arme à feu qu’il avait précédemment cachée à l’aéroport de Vienne. Il fut constaté par la suite qu’il s’était fait enregistrer en Bavière comme réfugié syrien et qu’il préparait apparemment sous cette fausse identité des attaques terroristes visant des politiciens et des militants de gauche.

Au cours de ces derniers jours, de nouveaux détails ont été révélés qui ne laissent aucun doute sur ses points de vue racistes et fascistes et ses intentions terroristes. Ses supérieurs connaissaient depuis longtemps ses opinions d’extrême-droite et, pour le moins, ils le couvraient ou bien même l’encourageaient.

En septembre 2009, Franco A. avait été muté au corps allemand stationné en France à Fontainebleau où il avait commencé des études en sciences sociales et politiques à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. En décembre 2013, il avait déposé une thèse de maîtrise intitulée « Changement politique et stratégie de subversion ». Le mémoire de maîtrise était manifestement nationaliste et droitier au point que le commandant des écoles de Saint-Cyr Coëquidan, Antoine Windeck, l’avait évalué comme « non satisfaisant » en disant à ses collègues allemands, « Si c’était un élève français, nous le relèverions. »

Les supérieurs de Franco A. ont alors chargé un historien indépendant d’examiner le mémoire. Le rapport de l’expert se trouve à la disposition du quotidien Die Welt, qui en a cité l’appréciation générale suivante : « Le texte, dans sa méthode et son contenu, ne constitue manifestement pas un travail de qualification universitaire, mais un appel raciste et nationaliste radical, que l’auteur s’applique avec quelque effort à étayer d’une manière pseudo-scientifique. »

« Certaines parties du texte se lisent comme le mode d’emploi d’une propagande raciste », pouvait-on lire plus loin. Ce faisant, Franco A. recourt à « l’interprétation raciste des gènes qui est bien connue » et à un « déterminisme écologique grossier ». Dans certains passages de sa thèse de maîtrise, Franco A. a également mis en garde contre un « brassage des races » ou le « mariage mixte ». Il ne peut être dans l’intérêt de la société majoritaire de propager les droits de l’Homme, dit-il, en relevant leur « caractère infectieux ». Selon lui, seules les minorités seraient intéressées par les droits de l’Homme.

En ce qui concerne l’émancipation des femmes, Franco A. voit « une menace pour la famille et donc aussi un affaiblissement délibéré du peuple (Volk) », indique l’expert. En conclusion, l’historien souligne que le travail est un appel « à obtenir un changement politique qui adapterait la situation donnée à la loi prétendument naturelle de la pureté raciale. »

à l’issue d’un entretien avec Franco A., cette expertise claire et sans équivoque fut intégralement rejetée par le magistrat responsable de la discipline militaire (Wehrdisziplinaranwalt), une sorte procureur de la Bundeswehr. « Au vu du profil de personnalité obtenu, des doutes quant à l’attitude requise à l’égard du système de valeurs [sociales] ne sont non seulement pas justifiés mais sont à exclure », a écrit le procureur émerveillé par les « capacités intellectuelles » de l’étudiant. C’est pour motif qu’il fut mis un terme à la procédure disciplinaire. Ni le magistrat responsable de la discipline militaire, ni les supérieurs de Franco A. ne signalèrent l’incident au service de contre-espionnage militaires allemand (MAD). Franco A. fut autorisé à rédiger une nouvelle thèse de maîtrise, passer son examen et débuter sa carrière d’officier.

Étant donné le contenu ouvertement fasciste de sa thèse de maîtrise, le comportement de ses supérieurs ne peut être considéré que comme un signe de soutien et d’encouragement à des positions radicales d’extrême-droite. C’est ce que souligne aussi le fait que Franco A. a écrit à ce même procureur après avoir été arrêté en février par la police autrichienne.

« Le lieutenant A. m’a envoyé un courrier électronique où il faisait référence à notre réunion passée lors de laquelle j’avais indiqué qu’il pouvait m’écrire s’il avait des problèmes », a déclaré le procureur dans une lettre envoyée vendredi à son supérieur, le lieutenant-général Martin Schelleis. Il résume dans cette lettre un échange de courriels entre lui et Franco A. en précisant que les courriels ont été définitivement supprimés.

Le fait que les supérieurs de Franco A. étaient au courant de ses opinions d’extrême-droite apparaît évident au vu des reliques militaires de la Wehrmacht (armée de l’époque hitlérienne) et des symboles nazis retrouvés en sa possession. De grandes peintures murales glorifiant la Wehrmacht d’Hitler recouvraient les murs des lieux collectifs de la caserne où Franco A. était stationné en dernier, le « bunker », De toute évidence, sur cette base militaire, Franco A. n’avait pas besoin de cacher son état d’esprit d’extrême-droite.

Bien au contraire, il semblerait plutôt qu’il recrutait régulièrement de nouveaux membres pour son groupe terroriste d’extrême-droite au sein de son bataillon d’infanterie stationné à Illkirch, en Alsace. Selon les informations des médias, le parquet qui a ouvert une enquête assume à présent que Franco A. était entouré d’un certain nombre de complices. Le journal Die Zeit rapporte l’existence d’un autre lieutenant, Maximilian T., du même bataillon, qui avait dressé une liste de cibles potentielles d’attaques terroristes qui fut retrouvée chez Franco.

La liste comprend des politiciens de haut rang, comme l’ancien président fédéral allemand Joachim Gauck, le ministre de la Justice, Heiko Maas, et le ministre président du Land de Thuringe, Bodo Ramelow, des militants de gauche tels Philipp Ruch du Centre pour la beauté politique (Zentrum für Politische Schönheit) ainsi que des institutions comme le Conseil central des Juifs en Allemagne.

Selon le quotidien Die Welt, un carnet de notes découvert dans l’appartement de Franco A. a dévoilé des points clés concernant des opérations concrètes. Il existe entre autres des indices qu’une attaque était prévue en se faisant passer pour un réfugié : « Groupe Antifa : laisser jeter des grenades par le demandeur d’asile, filmer. » L’officier mentionne également une octogénaire négationniste de l’Holocauste, Ursula Haverbeck. « Si Mme Haverbeck va en prison, alors action de libération », précisent ces notes.

Jeudi, le ministère de la défense a informé le Bundestag (parlement fédéral) qu’une centaine de cartouches pour des pistolets et des fusils avaient été trouvées en possession d’un complice supposé de Franco A. Ceci avait fait suite à des irrégularités détectées dans le relevé de la distribution de munitions à la caserne. Le journal Süddeutsche Zeitung et les radios WDR et NDR avaient également fait état du témoignage d’un soldat qui connaissait un groupe de soldats qui étaient en train de mettre de côté des armes et des munitions dans le but de combattre du « bon » côté en cas de guerre civile.

Ce n’est pas la première fois que des groupes fascistes et terroristes se sont formés au sein de la Bundeswehr (armée allemande) et ont été couverts par leurs supérieurs. Uwe Mundlos, qui, de concert avec d’autres extrémistes de droite, avait ultérieurement formé le groupe Clandestinité nationale-socialiste (Nationalsozialistische Untergrund, NSU) et tué au moins 10 personnes s’était fait remarquer durant son service militaire dans la Bundeswehr.

Pendant son service militaire, entre 1994 et 1995, Mundlos fut arrêté par la police pour possession d’un portrait de Hitler et de matériel interdit de propagande d’extrême-droite ; il fut par la suite condamné par un tribunal civil. Toutefois, une condamnation à sept jours de détention disciplinaire ordonnée par son responsable hiérarchique fut annulée par le tribunal militaire Sud. Mundlos, en dépit de ses conduites manifestement d’extrême-droite, a même été promu au grade de caporal. Comme Mundlos, il semblerait maintenant que Franco A. jouisse également d’une protection officielle.

Ce ne fut que bien plus tard qu’il s’avéra que des efforts avaient été faits durant cette période pour recruter Mundlos comme agent au service du renseignement militaire. Ces tentatives de recrutement furent suivies par une série d’initiatives multiples prises par diverses autorités policières et de services secrets en vue de protéger Mundlos et le NSU contre des poursuites judiciaires, leur permettant ainsi de commettre des attentats terroristes. Selon différentes estimations, le NSU compterait jusqu’à 150 membres ou sympathisants. Le réseau fasciste qui vient d’apparaître dans la caserne de Franco A. à Illkirch pourrait être de même envergure voire encore plus grand.

(Article original paru le 6 mai 2017)

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