Quatre ans et demi après l’invasion du Mali en janvier 2013 par une force d’invasion française soutenue par les États-Unis, la guerre part en vrille vers un conflit régional plus vaste, entraînant la fermeture des frontières par les gouvernements voisins et stimulant les escalades des gouvernements occidentaux.
Les zones frontalières du Mali connaissent « une expansion significative des activités extrémistes et terroristes violentes, y compris des attaques transfrontalières coordonnées contre les postes de sécurité et le pillage des colonies frontalières », a déclaré jeudi le haut fonctionnaire des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest.
En outre, des groupes d’opposition ont organisé des manifestations pendant le week-end à Bamako, la capitale du Mali, en rassemblant des milliers de manifestants avec pour but de bloquer des changements juridiques en projet qui donneraient les pouvoirs d’urgence au gouvernement du président Ibrahim Boubacar Keita.
Lundi dernier, huit soldats maliens en déplacement entre Gao et Menaka ont été embusqués et tués. Mercredi, les forces armées du Burkina Faso se sont heurtées à des militants fortement armés le long de la frontière Burkina-Mali. Vendredi, la Mauritanie a déclaré que sa frontière nord-est est une zone fermée et militarisée, annonçant que « toute personne qui circule ou transite dans cette partie du territoire national sera considérée comme une cible militaire. »
Le 8 juillet, Nusrat al-Islam wal Muslimin (JNIM, Soutien de l’Islam et des Musulmans) a attaqué une base de l’armée française près de la ville de Tessalit, tuant au moins trois soldats français. Le 9 juillet, les combattants de JNIM ont attaqué un poste de police dans la province de Mobti. En mars, les principales factions islamistes du Mali, Ansar Dine, Al-Mourabitoun, les factions Massina et Al Qaida ont annoncé leur fusion dans une nouvelle formation, Nusrat-ul-Islam, sous la direction d’Iyad Ag Ghaly.
Une filiale d’Al Qaida au Mali, JNIM, a attaqué une garnison nigériane près du village de Tsawah le long de la frontière entre le Mali et le Niger en juin.
Le président français Emmanuel Macron s’est rendu à Tombouctou début juillet afin de discuter des plans visant à renforcer l’armée multinationale du G5 Sahel, une coalition impérialiste constituée en février 2014, composée de forces des gouvernements du Niger, du Tchad, du Burkina Faso et de la Mauritanie. Le 2 juillet, Macron a demandé à cette coalition G5 de mettre 5000 soldats à l’appui des activités militaires françaises contre les « terroristes, les voyous et les meurtriers ».
« Cette force va d’abord sécuriser les frontières, en particulier dans les régions où des groupes terroristes se sont développés », a déclaré le ministre français des Affaires étrangères Yves Le Drian au Monde.
« Il ne semble pas que la France se retirera du Mali de si tôt », a dit France 24 en réponse à l’annonce.
En complément des opérations militaires françaises en expansion, le parlement allemand a voté en janvier pour augmenter les déploiements de troupes au Mali de 350 à 1000, ce qui fait du Mali la plus grande mission d’outre-mer de l’armée allemande.
Les causes immédiates de la guerre du Mali provenaient des retombées de la guerre des États-Unis et de l’Otan de 2011 contre la Libye. À partir de janvier 2012, le Mouvement national pour la libération d’Azawad (MNLA), une milice ethnique touareg, a lancé une insurrection contre le gouvernement central et a établi le contrôle sur des sections du nord du Mali. En mars 2012, un coup d’État dirigé par des soldats du gouvernement se présentant comme le Comité national pour la restauration de la démocratie et de l’État (CNRDR) a enlevé le président Amadou Toure du pouvoir. Des groupes de milices rebelles ont pris le contrôle des villes maliennes de Gao, Tombouctou et Kidal à la suite du coup d’État.
À partir de janvier 2013, Paris a répondu avec des vagues répétées de déploiement de troupes, avec le soutien de Washington. L’invasion de 2013, « l’opération Serval », a servi de fer de lance pour une expansion majeure du militarisme français dans les anciennes exploitations coloniales du pays en Afrique de l’Ouest.
En échange de « l’aide » française pour stabiliser le nord du Mali, Paris a exigé et reçu le droit d’installer ses troupes dans tout le pays. Les gouvernements maliens précédents ont été parmi les quelques régimes de l’Afrique francophone qui résistaient à de tels arrangements, limitant les activités militaires françaises à la formation à petite échelle des forces locales. Avant 2013, les troupes françaises de combat étaient absentes du territoire malien depuis leur retrait suite à l’indépendance formelle du pays en 1960.
Dans le cadre de « l’Opération Barkhane », successeur de « Serval », quelque 6000 soldats de l’armée de terre française, des centaines de véhicules blindés, des avions de combat, des hélicoptères d’attaque et des drones sont maintenant déployés dans tout le Sahel. Des troupes allemandes et françaises supplémentaires ont été déployées sous les drapeaux de l’Union européenne en février 2014, à des fins officielles de formation des unités maliennes.
Les élites dominantes américaines et européennes sont déterminées à resserrer leur emprise sur le Sahel, qui abrite des ressources naturelles massives, qui comprennent l’uranium et de nombreux métaux précieux, et auraient, selon des spéculations, les plus grandes réserves de pétrole inexploitées en Afrique.
Le bassin du Taoudeni au nord de Mali est connu depuis les années 1970 pour contenir de grandes réserves de pétrole et de gaz. En 2011, la firme française Total a déclaré avoir trouvé « l'El Dorado des réserves de pétrole » dans la région désertique du Nord. Une analyse géologique faite en 2015 par des américains a révélé que le bassin de Taoudeni contient « 160 millions de barils de pétrole conventionnel, 1880 milliards de pieds cubes de gaz conventionnel, 602 millions de barils de pétrole de schiste et 6395 milliards de pieds cubes de gaz de schiste ».
L’implication des forces françaises, allemandes et d’autres forces de l’Union européenne (UE) dans le Sahel fait partie d’une « nouvelle orientation majeure dans la politique de sécurité européenne », selon le Conseil européen des relations extérieures.
Selon les puissances européennes, le Sahel représente « un deuxième front dans la guerre contre le terrorisme », c’est-à-dire « construire à côté d’un nombre croissant de multinationales dans l’espoir d’extraire des réserves de pétrole et de gaz du Mali et de la Mauritanie et une forte présence militaire française », selon l’Environmental Justice Atlas. En plus de s’emparer du contrôle des ressources du continent et de faire valoir les intérêts des banques et sociétés européennes dominantes, les puissances européennes considèrent la militarisation du Sahel comme un moyen de supprimer le flot de réfugiés qui part vers le nord et la Méditerranée.
Ces politiques visent à rétablir l’ordre colonial établi par l’impérialisme mondial au cours des 19ᵉ et 20ᵉ siècles. Tout au long de la période de « décolonisation » à partir des années 1960, les économies et les sociétés de l’Afrique de l’Ouest étaient subordonnées aux besoins de l’impérialisme français grâce à un éventail de mécanismes, y compris le contrôle des réserves de monnaie et des matières premières africaines, les droits de monopole des entreprises françaises dans tous les secteurs clés de l’économie et des arrangements permanents pour installer des forces militaires et policières sur le sol africain.
Des dizaines de coups d’État ont été conçus depuis Paris contre les gouvernements africains, à commencer par l’assassinat du chef de l’État du Togo, Sylvanus Olympio en 1963, qui a commis l’erreur fatale de tenter de faire passer l’économie du Togo à sa propre monnaie nationale. Le président malien Modiba Keita a connu un sort semblable après avoir cherché à quitter la zone monétaire française en juin 1962.
En 1975 et encore en 1989, des officiers militaires français ont organisé le renversement des présidents tchadiens. En 2003, les troupes françaises ont renversé le président de la République centrafricaine (RCA), Ange-Felix Patasse, mettant au pouvoir le général François Bozize, après que Patasse a cherché à expulser la présence militaire française de la RCA. À l’heure actuelle, près de
2 000 soldats français opèrent en République centrafricaine dans le cadre de la « mission de maintien de la paix » aux côtés des troupes de l’Union africaine.
Plus récemment, en 2009, Paris a organisé un coup d’État contre le gouvernement malgache de Marc Ravalomanana, après qu’il avait cherché à conclure des accords commerciaux avec des intérêts impérialistes rivaux aux dépens des sociétés françaises.
« La France a établi des bases militaires en Afrique pendant la période coloniale et a maintenu une présence militaire en Afrique après « l’indépendance du drapeau » de ses anciennes colonies dans les années 1960 », a écrit Gary Busch dans un article pour Pambazuka News cette semaine.
« Ces accords ont permis à la France d’avoir des troupes et des policiers prépositionnés dans des bases à travers l’Afrique ; en d’autres termes, des unités de l’armée et de gendarmerie françaises présentes en permanence et par rotation dans les bases et les installations militaires en Afrique, entièrement dirigées par les Français. Le Pacte colonial était bien plus qu’un accord pour stationner des soldats en Afrique. Il a lié les économies de l’Afrique au contrôle de la France », a noté Busch.
Malgré la rhétorique incessante à propos de « combattre le terrorisme », les milliers de soldats occidentaux qui envahissent l’Afrique sont envoyés principalement pour assurer des intérêts stratégiques. La scène se met en place pour une lutte féroce entre les grandes puissances pour le contrôle du continent. L’arrivée au pouvoir de l’administration Trump, avec son programme ultra-nationaliste de « l’Amérique d’abord », intensifie les tensions inter-impérialistes et alimente les conflits dans toutes les sous-régions de l’Afrique.
Cette semaine, les médias occidentaux ont lancé des avertissements inquiétants concernant les dangers du piratage et du terrorisme dans le golfe de Guinée, le delta du Niger et le bassin du lac Tchad. Quelque 5,2 millions de personnes ont déjà été déplacées par l’invasion au nord du Nigeria dirigée par le Tchad et soutenue par l’Occident, justifiée au nom du « combat » contre Boko Haram.
L’expansion de la guerre du Mali est une expression avancée des tendances à la guerre et de la crise sociale au travail dans toute l’Afrique et dans le monde entier. Deux demi-décennies après la dissolution de l’Union soviétique et la supposée « fin de l’histoire », les gouvernements africains chancellent face à la guerre, la famine et la maladie. La seule réponse des élites nationales d’Afrique c’est d’autres préparatifs de guerre et une intégration plus profonde dans les establishments capitalistes, politiques et militaires d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest.
(Article paru en anglais le 18 juillet 2017)