Une querelle budgétaire entre le ministère des Finances et l‘armée s‘est développée en quelques jours en affrontement public entre la président français Emmanuel Macron et le chef d’état-major des armées Pierre de Villiers, dans lequel se sont aussi engouffrés les médias et la classe politique. Selon la presse, l’avenir du chef des armées qui venait d’être reconduit dans ses fonctions, serait « en suspens ».
Dans le cadre de négociations concernant le budget de 2017, le gouvernement Macron avait demandé a à l’armée de trouver 850 millions d'euros d’économies qu’elle devait prendre sur ses équipements. Le chef d’état-major s’y est opposé et a ensuite exprimé sa colère durant une audition régulière par la Commission de Défense du parlement le 12 juillet.
Le lendemain, Macron critiquait le chef d‘état-major devant la hiérarchie militaire à une cérémonie au ministère de la Défense, la veille du 14 juillet. « Je considère... qu'il n'est pas digne d'étaler des débats sur la place publique. J'ai pris des engagements, je suis votre chef. Les engagements que je prends... devant les armées, je sais les tenir et je n'ai à cet égard besoin de nulle pression, de nul commentaire », avait-il dit.
Si les divergences financières ont pris un caractère aigu, il n’y a pas pour autant de conflit fondamental entre le président et l’armée. Macron a clairement fait savoir qu’à l’instar des autres gouvernements impérialistes, il mènerait une politique de préparation à la guerre. Il veut donner à l’armée un rôle prépondérant dans la politique du pays : il a proposé la réintroduction du service militaire, pour les hommes et les femmes, et a réitéré son objectif de dépenser 2 pour cent du PIB sur les forces armées.
Comme son prédécesseur, il considère la guerre comme un instrument privilégié de la politique étrangère.
Le principal objectif du gouvernement Macron est l’austérité, il s’est avant tout engagé à imposer une réduction du déficit budgétaire, qu’il veut porter à 2,7 pour cent du PIB en 2018. Il a annoncé 80 milliards de coupes supplémentaires pour l’an prochain.
Derrière Macron il y a les banques et l’UE, et il doit aussi rendre des comptes à Berlin. Une aggravation du déficit dès le début, avant qu’il ait imposé le gros des attaques prévues n’était pas une option. Mais la hiérarchie militaire, et il faut dire aussi l’industrie de l’armement s’attendaient à une augmentation rapide du budget militaire, suite aux gestes multipliés par Macron dans les premiers jours de sa présidence, non pas à une réduction.
L’opposition de l’état-major a été vue par le gouvernement comme de l’insubordination. De Villiers avait dit devant la commission de Défense qu’il « ne se laisserait pas baiser comme cela » et y avait obtenu le soutien des parlementaires. Ses propos ont fuité à la presse ; l’affaire a rapidement pris une ampleur que le gouvernement a craint. Macron avait par ailleurs promis d’augmenter le budget de l’armée dès 2018.
Le président a été soutenu par d‘autres hauts militaires. Le général Paloméros, chef de l'OTAN pour la transformation entre 2012 et 2015 et ex-chef d’état-major de l’armée de l’air (2009-2012) plaide dans une tribune au Monde pour une politique de réarmement à long terme, portée par l’ensemble de l’État.
Il estime qu’il faut repousser les investissements liés aux équipements militaires pour ne pas pénaliser «les activités » en cours. « L’état de nos finances publiques n’autorise pas une politique ambitieuse de réinvestissements, compte tenu de la dette abyssale qui ankylose la France et lui fait courir des risques graves si les taux d’intérêts repartaient à la hausse, » écrit-il.
Macron « s’est engagé à soutenir une remontée en puissance progressive [des dépenses militaires], confirmant, le 13 juillet, devant les forces armées une augmentation du budget de la défense pour le porter à 34,2 milliards d’euros en 2018. »ajoute-t-il.
Outre le conflit sur les mesures d’économies subites, une partie de l’establishment militaire et politique reproche à Macron d’être « à contre-courant ». Alors qu’il a boosté la propagande militariste de la classe dirigeante destinée à pousser la population à accepter des guerres néo-coloniales de plus en plus étendues et à briser sa vaste opposition à la militarisation de la société en vue d’une guerre majeure, la décision d’amputer le budget militaire nuit à ces efforts.
Une partie de cette propagande consiste à présenter l’armée comme « sous-équipée », « sous-financée », incapable de mener à bien ses guerres par « manque de moyens », une politique qui met « la vie des soldats en danger ». Le Monde rapporte les propos de militaires qualifiant les économies voulues par le gouvernement de prélude à la catastrophe : « Macron s’est mis dans la situation de Napoléon III, de devoir assumer le prochain désastre. C’est Sedan ! »
Certains des défenseurs les plus agressifs de cette propagande viennent du propre camp de Macron. Le nouveau président de la commission de la Défense, le député LRM (ex-PS) Jean-Jacques Bridey a déclaré qu’il «regrettait» les économies réclamées « alors que nos hommes risquent leur vie tous les jours sur les théâtres d’opérations ». Patricia Adam, ex-députée PS et prédécesseur de Bridey, a dit : « On ne peut pas demander à un chef d’état-major d’accomplir des missions sans s’assurer que les moyens matériels nécessaires sont mis à disposition. C’est lui qui a la responsabilité de veiller à ce que ses hommes reviennent vivants, et j’insiste sur ce dernier mot. »
Le conflit qui oppose ici diverses factions de l’establishement politique et militaire est avant tout un conflit sur la meilleure façon de contrer la résistance de la population travailleuse en France aux préparatifs de guerre. Macron et l’état-major se battent sur les moyens de faire au mieux accepter les sacrifices qu’ils lui demandent pour financer l’augmentation permanente des dépenses militaires et pour envoyer en masse des soldats des couches pauvres de la société mourir sur les champs de batailles au service de l’oligarchie financière.