Principal organe de la CIA aux États-Unis, le New York Times a publié dimanche un éditorial en première page sur l’enquête sur l’ingérence présumée de la Russie lors des élections présidentielles américaines de 2016. Il s’agit d’un exercice incendiaire et mensonger de désinformation visant à susciter un soutien pour une guerre contre la Russie.
La parution de cet éditorial a été bien organisée: il a été diffusé le matin même où l’armée américaine abattait un avion de guerre syrien, déclenchant du coup une escalade dramatique de l’antagonisme américain contre la Russie. Les rédacteurs en chef du Times qui ont des liens des plus étroits avec les responsables militaires et du renseignement américains savaient sans doute que quelque chose était planifié, et ont peut-être même été informés des détails.
Sous le titre «Mr. Trump’s Dangerous Indifference to Russia» (La dangereuse indifférence de Monsieur Trump envers la Russie), le Times affirme dans son éditorial sur un ton belliqueux: «Une puissance étrangère rivale a lancé une cyberattaque agressive contre les États-Unis, interférant avec les élections présidentielles de 2016... La nature sans précédent de cette attaque de la Russie se perd dans le tourbillon chaotique des dernières semaines, mais cela ne doit pas être ainsi.»
Le Times ne présente aucune preuve pour étayer ses déclarations folles quant à «la portée et l’audace des efforts russes». L’auteur de l’éditorial affirme simplement que «les agences de renseignement américain sont arrivées à des conclusions» et ajoute une longue liste d’allégations :
«Sous les ordres directs du président Vladimir Poutine, les pirates informatiques liés au renseignement militaire russe se sont introduits dans les comptes courriel des hauts responsables du Comité national démocrate et du directeur de la campagne de Hillary Clinton, John Podesta. Ils ont transmis des dizaines de milliers de courriels au site WikiLeaks, qui les a publiés au cours des derniers mois de la campagne pour tenter d’endommager la campagne de Clinton.
«Plus inquiétant encore, les pirates ont cherché à accéder aux bases de données des électeurs dans au moins 39 États et, dans certains cas, ils ont essayé de modifier ou de supprimer les données de ces électeurs. Ils semblent également avoir tenté de prendre le contrôle des ordinateurs de plus de 100 responsables électoraux locaux dans les jours précédant le vote du 8 novembre.»
Le rédacteur en chef de la page éditoriale James Bennet ne présente pas le moindre fait pour soutenir les affirmations du Times. Où sont ses preuves que des «ordres directs» venaient de Poutine, ou que des pirates informatiques liés au Renseignement russe ont attaqué les comptes courriel des démocrates et fourni des documents à WikiLeaks, ou que des pirates (les mêmes ou d’autres?) ont tenté d’accéder aux bases de données des électeurs et aux ordinateurs de responsables électoraux locaux? Toute cette montagne d’accusations ne repose sur rien.
Si l’on remonte jusqu’aux sources d’origine de ces accusations, elles se révèlent toutes être des déclarations non étayées sur quelque fait que ce soit et faites par les services de renseignement américains à l’occasion de la publication de «conclusions» en octobre 2016 et janvier 2017, ou encore elles proviennent d’une série de fuites de l’appareil de renseignement militaire, principalement au Times et au Washington Post.
Les allégations les plus récentes concernant le piratage présumé de bases de données des électeurs et d’ordinateurs des responsables électoraux locaux sont basées sur un rapport de la National Security Agency (l’Agence de sécurité nationale NSA), qui aurait été divulgué à la publication Web The Intercept. Même The Intercept admet que le rapport ne contient pas la moindre preuve sous-jacente venant étayer les allégations de la NSA.
Pas un seul article du Times ou du Post n’est le produit d’une enquête journalistique. Les principaux articles sur l’affaire du «piratage russe» consistent à prendre en dictée les propos de responsables du renseignement qui restent anonymes. Dans aucun cas ces fonctionnaires non identifiés n’ont fourni la moindre preuve pour étayer leurs affirmations, et ils font toujours appel à des tournures ambiguës du genre «nous pensons», «nous croyons», «nous sommes extrêmement confiants que», etc. Ces affirmations sont toutes aussi crédibles que les affirmations antérieures selon lesquelles l’Irak possédait des armes de destruction massive – un mensonge qui a justifié une guerre qui a tué plus d’un million de personnes.
Dans son mépris flagrant des normes les plus élémentaires lorsque vient le temps d’analyser les faits, le Times ignore des sources plus plausibles d’information provenant d’une ou plusieurs personnes ayant travaillé dans la campagne Hillary Clinton du Parti démocrate. Le journal n’a jamais mentionné le contenu des courriels qui lui ont été transmis documentant les efforts de la campagne Clinton et du Comité national démocrate pour saboter la candidature de Bernie Sanders lors des élections primaires.
En comparaison de toute la rhétorique enflammée à propos du supposé assaut de la Russie sur «l’intégrité de la démocratie américaine», pour reprendre les propos du Times, on ne trouve pas la moindre trace d’indignation en ce qui a trait aux dizaines d’interventions de Washington pour manipuler des élections partout dans le monde.
Une étude récente a révélé 81 cas – et cela, c’est sans compter les coups d’État militaires soutenus par la CIA – dans lesquels le gouvernement américain a financé des partis politiques, organisé des campagnes de désinformation, mené des assassinats, exercé du chantage contre des candidats ou cherché à installer ses propres candidats en organisant des élections dans des pays répartis sur tous les continents.
Les élections présidentielles remportées par Boris Eltsine en 1996 sont l’un des exemples les plus flagrants (voir à cet effet : «Bill Clinton and Boris Yeltsin: When the White House fixed a Russian election» – Bill Clinton et Boris Eltsine : quand la Maison-Blanche a arrangé les élections russes).
Outre son ingérence continue dans les élections, le gouvernement des États-Unis effectue constamment des opérations d’écoute contre les gouvernements étrangers, même contre ceux avec qui il est censé être allié. Il y a quelques années, il a été révélé que l’administration Obama avait piraté, oui, PIRATÉ, le téléphone cellulaire de la chancelière allemande, Angela Merkel. Obama, alors président, avait reconnu que les États-Unis faisaient toutes sortes de «choses» et avait offert des excuses hypocrites.
Quant au Times, il n’éprouve pas la moindre réserve à servir d'intermédiaire à la propagande dénuée de tous faits venant directement des agences de renseignement américaines. Ce fait souligne la putréfaction du journal survenue au cours des dernières décennies, et qui est démontrée surtout par le fait que son personnel de premier plan, qu’on peut lire en particulier dans ses pages éditoriales et sur les affaires étrangères, se compose de porte-parole d’office de l’impérialisme américain, notamment un groupe d’agents de presse de la CIA tels que Nicholas Kristof, Roger Cohen et Thomas Friedman.
Le rédacteur en chef de la page éditoriale, James Bennet, est le frère du sénateur démocrate de droite Michael Bennet du Colorado, et le fils de Douglas Bennet, ancien haut fonctionnaire du département d’État des administrations Carter et Clinton, et dont la carrière comprend un bref passage comme directeur de l’Agence pour le développement international (AID), un instrument fréquemment utilisé pour les provocations de la CIA.
En se faisant le canal des agences de renseignement, le Times poursuit un programme politique précis. De puissantes factions de la classe dirigeante veulent poursuivre et intensifier la politique étrangère antirusse adoptée par l’administration Obama, qui a commencé en particulier avec la campagne de 2014 pour renverser le gouvernement pro-russe élu en Ukraine et le remplacer par un régime fantoche pro-américain d'extrême droite.
Un récent article du Times portant sur l’adoption par le Sénat de nouvelles sanctions contre la Russie, présente ses positions de façon relativement claire. Dans l’article «Leaders Wary of Trump May Have an Ally: Congress», (Les dirigeants qui se méfient de Trump pourraient avoir un allié: le Congrès), le Times affirme que les dirigeants du Congrès, à la fois démocrates et républicains, travaillent pour faire en sorte que la politique étrangère américaine reste enracinée dans l’alliance transatlantique contre les rivaux traditionnels comme la Russie». L’article fait l’éloge des républicains qui tentent de mettre de l’avant «une politique étrangère anti-Trump» et d'imposer des sanctions à la Russie pour ses gestes de soutien au gouvernement syrien.
Aux yeux des factions de la classe dirigeante pour laquelle le Times parle, le problème n’est pas que la Russie interfère avec la «démocratie américaine», mais bien qu’elle interfère avec les intérêts géostratégiques essentiels de l’impérialisme américain en Syrie et dans l’ensemble du Moyen-Orient. Le journal tente de conditionner l’opinion publique américaine afin de surmonter l’opposition populaire à la progression vers une confrontation militaire contre la deuxième puissance nucléaire du monde.
Pour la classe ouvrière, la lutte contre l’administration Trump et la lutte contre ses adversaires de l’établissement politique, c’est le même combat. C’est une lutte contre la classe dirigeante capitaliste, qui s’apprête à infliger aux peuples du monde entier une nouvelle guerre mondiale catastrophique.
(Article paru en anglais le 20 juin 2017)